Avis n° 2025-09 du 12 décembre 2025 relatif au projet de décret portant modification du cahier des charges de la société nationale de programme France Télévisions

Saisie par le Gouvernement, en application des articles 9 et 48 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 modifiée relative à la liberté de communication, d’un projet de décret portant modification du cahier des charges de la société nationale de programme France Télévisions, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ci-après : « l’ARCOM »), après en avoir délibéré le 12 décembre 2025, émet un avis favorable, assorti des observations suivantes.

I. – Observations générales

Le cahier des charges de France Télévisions avait été modifié en décembre 2022 afin de tirer les conséquences de la modernisation du régime de contribution au développement de la production et d’exposition des œuvres intervenue dans le cadre de la modification de la loi du 30 septembre 1986 et de l’adoption des décrets n° 2021-793 du 22 juin 2021 relatif aux services de médias audiovisuels à la demande (dit décret « SMAD »), et n° 2021-1926 du 30 décembre 2021 relatif à la contribution à la production d’œuvres cinématographiques et audiovisuelles des services de télévision diffusés par voie hertzienne terrestre (dit décret « TNT »).
Il conservait le cadre existant, issu notamment des accords professionnels alors en vigueur, tout en l’adaptant afin de le mettre en conformité avec le nouveau dispositif réglementaire. L’ARCOM avait relevé à cet égard que certaines des obligations de production risqueraient d’être amenées à évoluer afin de tenir compte des accords professionnels qui pourraient être conclus le cas échéant. Le cahier des charges a par la suite été modifié en 2023 afin d’adapter le régime applicable en matière de contribution à la production audiovisuelle, dans l’attente de la conclusion d’un accord professionnel, et en 2024 afin d’intégrer les paramètres de l’accord signé entre France Télévisions et les organisations professionnelles du cinéma le 17 mai 2024.
Le projet de décret dont est saisie l’ARCOM a pour objet principal l’adaptation du cahier des charges de France Télévisions afin de tenir compte de certaines stipulations de l’accord professionnel signé entre France Télévisions et les organisations professionnelles de l’audiovisuel le 2 juillet 2024, négocié dans le prolongement et concomitamment à l’élaboration du projet de contrat d’objectifs et de moyens (COM) pour la période 2024-2028 pour lequel l’ARCOM avait rendu, le 24 juillet 2024, un avis positif, sous réserve d’observations. Si l’ARCOM avait noté la mise en œuvre d’une trajectoire financière ambitieuse, elle relevait toutefois son caractère incertain, voire précaire. Depuis, ce projet de COM a été rendu caduc à la suite des avis négatifs émis par la représentation parlementaire, lesquels prenaient notamment en compte la situation critique des finances publiques.
L’ARCOM relève l’intégration, dans le cahier des charges de France Télévisions, d’obligations accrues en faveur de l’audiovisuel, qui se traduisent notamment par un renforcement du niveau de l’obligation d’investissements dans la production d’œuvres audiovisuelles patrimoniales et de certains engagements visant le financement des genres d’œuvres et leur exposition ainsi que certains assouplissements permettant en particulier l’acquisition de droits plus étendus dans le cadre de la part indépendante de sa contribution.
Dans le contexte d’absence de COM décrit plus haut, l’ARCOM constate que les éléments de l’accord professionnel ainsi intégrés au cahier des charges ne sont applicables que pour la seule et unique année 2025. Les exercices suivants s’inscriront ainsi dans une relative imprévisibilité juridique. Cette intégration intervient au surplus à la fin de l’exercice concerné par les obligations, ce qui a pu induire des incertitudes dans le pilotage des investissements, la plupart ayant déjà été réalisés.
Cette limitation au seul exercice 2025 crée ainsi une distorsion avec les engagements négociés entre France Télévisions et l’industrie audiovisuelle dans leur accord interprofessionnel du 2 juillet 2024, qui a été initialement conclu pour trois exercices. Celle-ci semble par ailleurs conditionner le maintien du cadre applicable, notamment l’étendue des droits acquis dans la part indépendante de la contribution du groupe public, au niveau de ses obligations. L’ARCOM comprend que les différents engagements et assouplissements négociés au sein d’un accord participent d’un équilibre global auquel a abouti la négociation professionnelle, dans un contexte budgétaire incertain. Elle appelle cependant l’attention du Gouvernement sur les conséquences, à court et moyen terme, d’une absence de prévisibilité sur le montant et les modalités des obligations de production audiovisuelle de la télévision publique qui fragilise le pilotage de la contribution de la société nationale de programme et complexifie les conditions de la négociation contractuelle de ses investissements.

II. – Observations détaillées

– S’agissant du montant de la contribution au développement de la production audiovisuelle

Dans le cadre de la prévision budgétaire favorable qui prévalait lors de sa signature, l’accord du 2 juillet 2024 a consolidé l’engagement de France Télévisions dans la création audiovisuelle patrimoniale en prévoyant un investissement annuel minimal fixé à 440 M€ par an de 2025 à 2027.
L’ARCOM prend note de l’introduction de ce montant d’obligation réhaussé dans le cahier des charges de la société nationale publique, correspondant au montant qui figurait dans le contrat d’objectifs et de moyens de l’entreprise pour la période 2020-2022 et prolongé, par voie d’avenant, jusqu’au 31 décembre 2023.
L’ARCOM tient à rappeler qu’elle avait indiqué dans son avis motivé sur les résultats de la société France Télévisions (2020-2024), publié en janvier 2025, que « pour remplir la pluralité de ses missions, France Télévisions devrait pouvoir bénéficier d’un environnement institutionnel stable, les orientations des pouvoirs publics et la trajectoire financière associée étant impérativement appelées à s’inscrire dans le temps long », en sa qualité de premier contributeur à la création française. En outre, elle précisait, dans ce même avis, que les facultés issues de ce nouvel accord interprofessionnel « pourrai[en]t cependant être remis en cause au regard de la conjoncture économique et des modalités de financement de l’audiovisuel public ».
Or, dans un contexte d’instabilité de la trajectoire financière de France Télévisions et de risque de diminution de sa dotation budgétaire, l’ARCOM relève que ce niveau d’obligation est intégré dans le projet de décret pour la seule année 2025, fragilisant ainsi une stratégie pérenne de soutien à la création et invite à la conclusion prochaine d’un contrat d’objectifs et de moyens entre France Télévisions et le Gouvernement afin de définir une nouvelle feuille de route stratégique et financière pour les années à venir.

– S’agissant du soutien à la diversité des œuvres audiovisuelles

L’ARCOM relève le renforcement des engagements de France Télévisions en faveur de l’animation, du documentaire de création et de la création et recréation de spectacles vivants ainsi que l’introduction d’un engagement en faveur du court métrage, circonscrits cependant à la seule année 2025.

– S’agissant de la modification de l’équilibre entre part dépendante et part indépendante

Tenant compte de l’accord du 2 juillet 2024, la contribution du groupe public maintient un modèle binaire, avec toutefois une part indépendante abaissée à 80 % et une part dépendante rehaussée à 20 % de la contribution (contre respectivement 82,5 % et 17,5 % dans le cahier des charges actuellement en vigueur).
L’ARCOM accueille positivement le nouvel équilibre global d’investissements auquel sont parvenus France Télévisions et les organisations professionnelles de l’industrie audiovisuelle, repris dans le projet de décret qui lui est soumis, lequel traduit la volonté du groupe public de développer le recours à ses capacités de production internes, par sa filiale France.TV Studio.
L’ARCOM constate cependant que le projet de décret ne contient pas la précision de l’accord selon laquelle peuvent être pris en compte dans la part dépendante de sa contribution les investissements réalisés auprès des filiales de France Télévisions, y compris lorsqu’elles sont associées à des producteurs indépendants. L’ARCOM propose d’intégrer cette clarification dans le projet de décret.

– S’agissant de la modification de l’étendue des droits acquis

Dans un contexte de concurrence accrue entre éditeurs et d’évolution rapide des usages entre services linéaires et plateformes numériques, l’ARCOM accueille positivement la reprise dans le projet de décret de la possibilité pour France Télévisions de bénéficier, dans la part indépendante de sa contribution, de droits élargis sur l’ensemble de ses environnements, dits droits « 360 », ainsi que l’allongement de la durée des droits de télévision de rattrapage pour la plupart des genres d’œuvres préachetées. Ces évolutions permettent ainsi d’accroître l’attractivité de la plateforme numérique de l’entreprise publique et de soutenir sa politique de développement numérique tout en contribuant au rayonnement des œuvres produites, qui peuvent également être distribuées par un tiers grâce à ses accords de distribution.
Cet encadrement n’étant intégré que pour l’exercice 2025, il serait préférable que le groupe public puisse bénéficier rapidement de visibilité sur l’étendue des droits qui pourront être acquis dans le cadre de la part indépendante de sa contribution à compter de l’exercice 2026.

– S’agissant des facultés de report

L’ARCOM approuve l’extension des facultés de report permises par le 3° de l’article 25 du décret « TNT », dont France Télévisions pourra se prévaloir en 2025. Le groupe public aura la possibilité de reporter sur l’exercice suivant la réalisation d’une partie de sa contribution dans la limite de 5 % de celle-ci, complétant ainsi sa faculté de déclarer, dans une limite rehaussée à 5 % de sa contribution, des dépenses engagées lors de l’exercice précédent non encore prises en compte dans le cadre de ses obligations.
Dans le contexte actuel d’incertitude sur sa dotation budgétaire et d’absence de visibilité sur le long terme, l’introduction et le renforcement de cette souplesse dans le pilotage des investissements sont bienvenus et permettent un certain alignement avec les flexibilités dont peuvent se prévaloir la plupart des autres groupes audiovisuels. L’ARCOM préconise ainsi que cette disposition soit applicable au-delà de la seule année 2025.

– S’agissant du critère de rattachement d’une dépense à un exercice

Le projet de décret introduit dans le cahier des charges une disposition selon laquelle « toutes les dépenses » sont prises en compte, pour le montant total correspondant à chacune des œuvres identifiées dans le contrat, au titre de l’exercice au cours duquel l’éditeur a commencé à exécuter l’engagement financier. Ce critère de rattachement correspond à celui fixé par le premier alinéa de l’article 6 du décret « TNT ».
L’ARCOM souligne cependant que cet encadrement, prévu pour toutes les dépenses, n’est pas strictement compatible avec le dernier alinéa de l’article 6 du décret selon lequel par dérogation, pour le financement des travaux d’écriture et de développement, chacun des versements est pris en compte au titre de l’exercice au cours duquel il a été réalisé.
En outre, le projet de décret introduit une précision, issue de l’accord professionnel précité, selon laquelle le début de l’exécution de l’engagement financier s’entend comme la réalisation du fait générateur de la première échéance contractuelle de paiement de ladite œuvre. L’ARCOM comprend qu’il s’agit de prendre en compte l’échéance du premier versement prévue au contrat, au lieu du premier versement effectivement réalisé, ce qui permet de faciliter et sécuriser le pilotage des investissements sans être tributaire de délais extérieurs tels que l’émission d’une facture par un tiers.
Si telle est bien l’intention du Gouvernement, l’ARCOM préconise un aménagement rédactionnel afin d’en clarifier la portée, dans la mesure où « la réalisation du fait générateur de la première échéance contractuelle » ne signifie pas clairement qu’il s’agit de se référer à la date de premier versement figurant au contrat. En tout état de cause, bien qu’une telle flexibilité ne soit pas prévue par le décret, l’ARCOM considère qu’elle en respecte l’esprit et la prendra en compte dans le cadre du contrôle des investissements.

– S’agissant de la modification du régime des 120 heures

Le projet de décret prévoit de faire évoluer les modalités de prise en compte au titre de l’obligation de diffuser annuellement un volume minimum annuel de 120 heures d’œuvres audiovisuelles européennes ou d’expression originale française inédites et dont la diffusion débute entre 20 heures et 21 h 30. Cette modification, qui s’inscrit dans le cadre de l’accord du 2 juillet 2024, rehausse pour l’exercice 2025 le plafond des rediffusions de 15 % à 25 %.
Bien que France Télévisions n’ait jusqu’ici jamais utilisé cette faculté de rediffusion, l’ARCOM souscrit avec réserve à cette évolution. Si celle-ci permet un alignement de son obligation avec celles des autres éditeurs linéaires historiques et pourrait traduire une nécessité pour le groupe public de mieux rentabiliser les investissements réalisés dans certains genres de programmes, elle ne doit pas inviter France Télévisions à réduire la diversité de son offre inédite de programmes en soirée.

Le présent avis sera publié au Journal officiel de la République française.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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