Troisième chambre civile de la Cour de cassation, le 3 juillet 2025, n°23-16.723
La troisième chambre civile de la Cour de cassation, par un arrêt du 3 juillet 2025, apporte des précisions sur deux questions relatives au bail d’habitation : l’incidence d’une mesure judiciaire de mise sous scellés sur l’obligation de délivrance du bailleur et le fondement de l’indemnité d’occupation due par un colocataire après l’expiration du bail.
Une propriétaire a donné à bail un appartement à deux locataires le 14 mars 2017. Un tiers s’est porté caution solidaire. Quelques jours après la signature du contrat, le bien loué a été placé sous scellés dans le cadre d’une information judiciaire. Le 3 avril 2017, les locataires ont donné congé avec un préavis de trois mois. Le 12 décembre 2017, un procès-verbal de constat a établi la levée des scellés et la remise de trois clés à l’une des locataires. Celle-ci a libéré les lieux de ses effets personnels fin décembre 2017. Le second locataire n’a restitué les clés que le 11 décembre 2018.
La bailleresse a assigné les deux locataires et la caution en paiement d’un arriéré locatif. La cour d’appel de Lyon, par arrêt du 2 novembre 2022, a condamné solidairement la locataire avec le second locataire et la caution au paiement d’une indemnité d’occupation pour la période du 13 décembre 2017 au 30 juin 2018.
Devant la Cour de cassation, la locataire soulevait deux questions. D’une part, elle soutenait que le placement sous scellés constituait une inexécution de l’obligation de délivrance par la bailleresse, justifiant le non-paiement des loyers. D’autre part, elle faisait valoir que l’indemnité d’occupation, fondée sur la faute quasi-délictuelle de celui qui se maintient sans droit dans les lieux, ne pouvait lui être imputée dès lors que le second locataire était seul responsable de l’absence de libération des lieux.
La Cour de cassation rejette le premier moyen mais casse partiellement l’arrêt sur le second. Elle juge que « l’indisponibilité du bien loué n’était pas constitutive d’une inexécution de l’obligation de délivrance par la bailleresse » dès lors que cette indisponibilité résultait d’une décision judiciaire. Elle reproche en revanche à la cour d’appel de ne pas avoir recherché si le second locataire n’était pas le seul responsable de l’absence de libération des lieux, et partant seul débiteur de l’indemnité d’occupation pour la période postérieure au départ de la première locataire.
Cette décision invite à examiner successivement le sort de l’obligation de délivrance face à une mesure judiciaire de mise sous scellés (I), puis le caractère individuel de la responsabilité en matière d’indemnité d’occupation entre colocataires (II).
I. L’obligation de délivrance du bailleur préservée par l’origine judiciaire de l’indisponibilité du bien
A. Le placement sous scellés, obstacle étranger au bailleur
La Cour de cassation approuve la cour d’appel d’avoir considéré que l’indisponibilité du bien n’était pas imputable à la bailleresse. Le placement sous scellés résultait d’une décision du juge d’instruction, autorité extérieure aux parties au contrat de bail. Cette circonstance distingue fondamentalement la situation d’une défaillance volontaire ou fautive du bailleur dans l’exécution de son obligation de délivrance.
L’article 1719 du code civil impose au bailleur de délivrer au preneur la chose louée et de l’en faire jouir paisiblement. Cette obligation suppose que le bailleur mette effectivement le bien à disposition du locataire et s’abstienne de tout trouble. La jurisprudence admet que le bailleur puisse être exonéré lorsque l’impossibilité de délivrance procède d’un cas de force majeure ou d’un fait de l’autorité publique.
La décision du juge d’instruction constitue précisément un tel fait de l’autorité judiciaire. Le bailleur n’a aucune prise sur une mesure ordonnée dans le cadre d’une information pénale. Il ne saurait lui être reproché de ne pas avoir assuré la jouissance paisible du bien pendant la période où celui-ci était légalement indisponible. La Cour de cassation consacre ainsi une application rigoureuse du principe selon lequel nul ne peut être tenu responsable d’un fait qu’il n’a pas causé.
B. Le maintien de l’obligation de paiement des loyers malgré l’indisponibilité temporaire
La conséquence de cette qualification est que la locataire ne pouvait invoquer l’exception d’inexécution pour refuser le paiement des loyers. L’arrêt relève que « des affaires personnelles des locataires étaient restées dans les lieux » pendant la période de mise sous scellés. Cette circonstance factuelle renforce la solution retenue.
L’exception d’inexécution, prévue à l’article 1219 du code civil, suppose que l’inexécution soit suffisamment grave et imputable au cocontractant. Or, la bailleresse n’avait commis aucun manquement. Elle était elle-même privée de l’accès à son bien par une décision judiciaire. La locataire conservait d’ailleurs une forme d’emprise sur le logement puisque ses effets personnels y demeuraient.
Cette solution présente une rigueur certaine pour le locataire qui, bien que privé de la jouissance effective du bien, reste tenu au paiement du loyer. Elle se justifie par l’équilibre des obligations contractuelles. Le bailleur supporte également un préjudice : il ne perçoit pas les fruits de son bien sans pouvoir en disposer autrement. Faire peser sur lui les conséquences d’une mesure judiciaire dont il n’est pas à l’origine reviendrait à lui imposer une charge inéquitable. La Cour de cassation maintient ainsi une répartition des risques conforme à l’économie du contrat de bail.
II. La responsabilité individuelle du colocataire maintenu dans les lieux après le départ de l’autre
A. Le fondement quasi-délictuel de l’indemnité d’occupation
Le second moyen amène la Cour de cassation à rappeler le fondement juridique de l’indemnité d’occupation. La locataire soutenait que cette indemnité « est due en raison de la faute quasi-délictuelle commise par celui qui se maintient sans droit dans les lieux ». La Haute juridiction accueille cet argument et casse l’arrêt pour défaut de base légale au regard de l’article 1240 du code civil.
L’indemnité d’occupation se distingue du loyer contractuel. Après l’expiration du bail, le maintien dans les lieux constitue une occupation sans titre. Celle-ci engage la responsabilité délictuelle de l’occupant qui, par son fait personnel, prive le propriétaire de la jouissance de son bien. Le montant de cette indemnité correspond généralement à la valeur locative, mais son fondement demeure la réparation d’un préjudice causé par une faute.
Cette qualification emporte des conséquences importantes en présence de plusieurs colocataires. La responsabilité délictuelle est par principe individuelle. Chacun ne répond que de son propre fait. La solidarité entre codébiteurs délictuels ne se présume pas et n’existe que lorsque les auteurs ont participé ensemble à la réalisation du dommage.
B. L’exigence d’une recherche sur l’imputabilité individuelle du maintien dans les lieux
La Cour de cassation reproche à la cour d’appel de ne pas avoir recherché « si M. [N] n’était pas le seul responsable de l’absence de libération des lieux ». Ce grief procédural révèle une exigence de fond. La condamnation solidaire d’un colocataire au paiement de l’indemnité d’occupation suppose que lui soit personnellement imputable le maintien sans droit dans les lieux.
En l’espèce, la locataire avait libéré les lieux de ses effets personnels fin décembre 2017. Le second locataire n’avait restitué les clés que le 11 décembre 2018, soit près d’un an plus tard. La cour d’appel avait pourtant condamné solidairement la première locataire pour toute la période du 13 décembre 2017 au 30 juin 2018, sans distinguer selon le comportement de chacun.
La Cour de cassation statue au fond et limite la condamnation de la locataire à la somme de 284,51 euros, correspondant à la période du 13 au 31 décembre 2017. Cette période correspond au temps durant lequel elle avait encore ses effets dans les lieux. Pour la période postérieure, le maintien dans les lieux était imputable au seul second locataire.
Cette solution protège le colocataire diligent qui a quitté les lieux dans un délai raisonnable. Elle évite qu’il supporte les conséquences du comportement fautif de l’autre occupant. La Cour de cassation affirme ainsi que la solidarité entre colocataires, qui peut exister sur le terrain contractuel pendant l’exécution du bail, ne se prolonge pas automatiquement sur le terrain délictuel après son expiration.
La troisième chambre civile de la Cour de cassation, par un arrêt du 3 juillet 2025, apporte des précisions sur deux questions relatives au bail d’habitation : l’incidence d’une mesure judiciaire de mise sous scellés sur l’obligation de délivrance du bailleur et le fondement de l’indemnité d’occupation due par un colocataire après l’expiration du bail.
Une propriétaire a donné à bail un appartement à deux locataires le 14 mars 2017. Un tiers s’est porté caution solidaire. Quelques jours après la signature du contrat, le bien loué a été placé sous scellés dans le cadre d’une information judiciaire. Le 3 avril 2017, les locataires ont donné congé avec un préavis de trois mois. Le 12 décembre 2017, un procès-verbal de constat a établi la levée des scellés et la remise de trois clés à l’une des locataires. Celle-ci a libéré les lieux de ses effets personnels fin décembre 2017. Le second locataire n’a restitué les clés que le 11 décembre 2018.
La bailleresse a assigné les deux locataires et la caution en paiement d’un arriéré locatif. La cour d’appel de Lyon, par arrêt du 2 novembre 2022, a condamné solidairement la locataire avec le second locataire et la caution au paiement d’une indemnité d’occupation pour la période du 13 décembre 2017 au 30 juin 2018.
Devant la Cour de cassation, la locataire soulevait deux questions. D’une part, elle soutenait que le placement sous scellés constituait une inexécution de l’obligation de délivrance par la bailleresse, justifiant le non-paiement des loyers. D’autre part, elle faisait valoir que l’indemnité d’occupation, fondée sur la faute quasi-délictuelle de celui qui se maintient sans droit dans les lieux, ne pouvait lui être imputée dès lors que le second locataire était seul responsable de l’absence de libération des lieux.
La Cour de cassation rejette le premier moyen mais casse partiellement l’arrêt sur le second. Elle juge que « l’indisponibilité du bien loué n’était pas constitutive d’une inexécution de l’obligation de délivrance par la bailleresse » dès lors que cette indisponibilité résultait d’une décision judiciaire. Elle reproche en revanche à la cour d’appel de ne pas avoir recherché si le second locataire n’était pas le seul responsable de l’absence de libération des lieux, et partant seul débiteur de l’indemnité d’occupation pour la période postérieure au départ de la première locataire.
Cette décision invite à examiner successivement le sort de l’obligation de délivrance face à une mesure judiciaire de mise sous scellés (I), puis le caractère individuel de la responsabilité en matière d’indemnité d’occupation entre colocataires (II).
I. L’obligation de délivrance du bailleur préservée par l’origine judiciaire de l’indisponibilité du bien
A. Le placement sous scellés, obstacle étranger au bailleur
La Cour de cassation approuve la cour d’appel d’avoir considéré que l’indisponibilité du bien n’était pas imputable à la bailleresse. Le placement sous scellés résultait d’une décision du juge d’instruction, autorité extérieure aux parties au contrat de bail. Cette circonstance distingue fondamentalement la situation d’une défaillance volontaire ou fautive du bailleur dans l’exécution de son obligation de délivrance.
L’article 1719 du code civil impose au bailleur de délivrer au preneur la chose louée et de l’en faire jouir paisiblement. Cette obligation suppose que le bailleur mette effectivement le bien à disposition du locataire et s’abstienne de tout trouble. La jurisprudence admet que le bailleur puisse être exonéré lorsque l’impossibilité de délivrance procède d’un cas de force majeure ou d’un fait de l’autorité publique.
La décision du juge d’instruction constitue précisément un tel fait de l’autorité judiciaire. Le bailleur n’a aucune prise sur une mesure ordonnée dans le cadre d’une information pénale. Il ne saurait lui être reproché de ne pas avoir assuré la jouissance paisible du bien pendant la période où celui-ci était légalement indisponible. La Cour de cassation consacre ainsi une application rigoureuse du principe selon lequel nul ne peut être tenu responsable d’un fait qu’il n’a pas causé.
B. Le maintien de l’obligation de paiement des loyers malgré l’indisponibilité temporaire
La conséquence de cette qualification est que la locataire ne pouvait invoquer l’exception d’inexécution pour refuser le paiement des loyers. L’arrêt relève que « des affaires personnelles des locataires étaient restées dans les lieux » pendant la période de mise sous scellés. Cette circonstance factuelle renforce la solution retenue.
L’exception d’inexécution, prévue à l’article 1219 du code civil, suppose que l’inexécution soit suffisamment grave et imputable au cocontractant. Or, la bailleresse n’avait commis aucun manquement. Elle était elle-même privée de l’accès à son bien par une décision judiciaire. La locataire conservait d’ailleurs une forme d’emprise sur le logement puisque ses effets personnels y demeuraient.
Cette solution présente une rigueur certaine pour le locataire qui, bien que privé de la jouissance effective du bien, reste tenu au paiement du loyer. Elle se justifie par l’équilibre des obligations contractuelles. Le bailleur supporte également un préjudice : il ne perçoit pas les fruits de son bien sans pouvoir en disposer autrement. Faire peser sur lui les conséquences d’une mesure judiciaire dont il n’est pas à l’origine reviendrait à lui imposer une charge inéquitable. La Cour de cassation maintient ainsi une répartition des risques conforme à l’économie du contrat de bail.
II. La responsabilité individuelle du colocataire maintenu dans les lieux après le départ de l’autre
A. Le fondement quasi-délictuel de l’indemnité d’occupation
Le second moyen amène la Cour de cassation à rappeler le fondement juridique de l’indemnité d’occupation. La locataire soutenait que cette indemnité « est due en raison de la faute quasi-délictuelle commise par celui qui se maintient sans droit dans les lieux ». La Haute juridiction accueille cet argument et casse l’arrêt pour défaut de base légale au regard de l’article 1240 du code civil.
L’indemnité d’occupation se distingue du loyer contractuel. Après l’expiration du bail, le maintien dans les lieux constitue une occupation sans titre. Celle-ci engage la responsabilité délictuelle de l’occupant qui, par son fait personnel, prive le propriétaire de la jouissance de son bien. Le montant de cette indemnité correspond généralement à la valeur locative, mais son fondement demeure la réparation d’un préjudice causé par une faute.
Cette qualification emporte des conséquences importantes en présence de plusieurs colocataires. La responsabilité délictuelle est par principe individuelle. Chacun ne répond que de son propre fait. La solidarité entre codébiteurs délictuels ne se présume pas et n’existe que lorsque les auteurs ont participé ensemble à la réalisation du dommage.
B. L’exigence d’une recherche sur l’imputabilité individuelle du maintien dans les lieux
La Cour de cassation reproche à la cour d’appel de ne pas avoir recherché « si M. [N] n’était pas le seul responsable de l’absence de libération des lieux ». Ce grief procédural révèle une exigence de fond. La condamnation solidaire d’un colocataire au paiement de l’indemnité d’occupation suppose que lui soit personnellement imputable le maintien sans droit dans les lieux.
En l’espèce, la locataire avait libéré les lieux de ses effets personnels fin décembre 2017. Le second locataire n’avait restitué les clés que le 11 décembre 2018, soit près d’un an plus tard. La cour d’appel avait pourtant condamné solidairement la première locataire pour toute la période du 13 décembre 2017 au 30 juin 2018, sans distinguer selon le comportement de chacun.
La Cour de cassation statue au fond et limite la condamnation de la locataire à la somme de 284,51 euros, correspondant à la période du 13 au 31 décembre 2017. Cette période correspond au temps durant lequel elle avait encore ses effets dans les lieux. Pour la période postérieure, le maintien dans les lieux était imputable au seul second locataire.
Cette solution protège le colocataire diligent qui a quitté les lieux dans un délai raisonnable. Elle évite qu’il supporte les conséquences du comportement fautif de l’autre occupant. La Cour de cassation affirme ainsi que la solidarité entre colocataires, qui peut exister sur le terrain contractuel pendant l’exécution du bail, ne se prolonge pas automatiquement sur le terrain délictuel après son expiration.