Tribunal judiciaire de Saint Quentin, le 16 juin 2025, n°22/00422

Le compromis de vente constitue un engagement synallagmatique dont l’efficacité dépend souvent de la réalisation de conditions suspensives. Le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Saint-Quentin le 16 juin 2025 illustre les conséquences de l’inertie d’un acquéreur dans l’accomplissement des diligences contractuellement prévues.

Une société civile immobilière, propriétaire d’un immeuble situé dans l’Aisne, a conclu le 4 mai 2021 un compromis de vente au bénéfice d’une société par actions simplifiée, pour un prix de 155 000 euros. L’acquéreur projetait d’y exercer une activité de crèche. Le compromis était assorti de plusieurs conditions suspensives, notamment l’obtention d’un permis de construire, l’acquéreur devant déposer sa demande et en justifier au vendeur par la production d’un récépissé dans un délai de six mois, soit au plus tard le 30 septembre 2021.

La société venderesse a mis en demeure l’acquéreur, par lettre recommandée du 20 octobre 2021, de justifier des démarches effectuées. Face au silence de celui-ci, elle l’a assigné le 14 avril 2022 aux fins de voir prononcer la résolution du compromis. Entre-temps, l’acquéreur a fait l’objet d’un jugement de liquidation judiciaire prononcé le 24 mai 2023 par le tribunal de commerce de Nice, et son dirigeant a été condamné pénalement pour abus de biens sociaux.

Le tribunal devait déterminer si l’inexécution par l’acquéreur de son obligation de déposer une demande de permis de construire justifiait la résolution du compromis de vente à ses torts exclusifs.

Le tribunal judiciaire de Saint-Quentin a prononcé la résolution du compromis aux torts de l’acquéreur. Il a fixé au passif de la procédure collective la créance du vendeur au titre de la clause pénale pour 15 500 euros, ainsi qu’une somme de 97 euros à titre de dommages intérêts correspondant aux seules factures d’électricité justifiées.

La décision mérite examen tant au regard de l’appréciation de la défaillance contractuelle de l’acquéreur (I) que des conséquences indemnitaires attachées à cette résolution (II).

I. La caractérisation de la défaillance contractuelle de l’acquéreur

L’analyse du jugement révèle une appréciation rigoureuse du manquement de l’acquéreur à ses obligations (A), fondée sur une charge de la preuve strictement appliquée (B).

A. L’obligation positive de diligence pesant sur le bénéficiaire de la condition suspensive

Le tribunal rappelle que le compromis stipulait « l’obligation pour l’acquéreur de déposer sa demande et d’en justifier au vendeur par la production d’une copie du récépissé de dépôt délivré par l’autorité compétente dans le délai de six mois ». Cette formulation contractuelle transformait la condition suspensive en véritable obligation de moyens à la charge de l’acquéreur.

La juridiction relève que le vendeur produit « un courriel, en date du 26 janvier 2022, dans lequel le service de l’urbanisme de la commune […] indique qu’aucune demande de permis de construire n’a été déposée pour la parcelle objet de la promesse de vente ». Cette constatation établit l’absence totale de diligence de l’acquéreur.

Le tribunal écarte l’argumentation de la société défaillante qui invoquait un manquement du vendeur à ses propres obligations. Il relève que « contrairement à ce que la société ALLIANCE FONCIERE affirme, la société CAVI a, pour sa part, communiqué un permis de construire qui lui a été accordé le 23 avril 2021 ». Le vendeur avait donc accompli les démarches nécessaires à la régularisation administrative préalable.

B. L’application stricte de la charge probatoire

Le jugement énonce que « la société ALLIANCE FONCIERE n’apporte pas la preuve d’avoir accompli les diligences nécessaires à l’obtention du permis de construire, ainsi qu’elle s’y est engagée ». Cette formulation traduit une application orthodoxe de l’article 1353 du code civil.

L’acquéreur, débiteur de l’obligation de déposer la demande de permis, devait établir l’exécution de son engagement. Son silence contentieux, matérialisé par l’absence de conclusions au fond après l’ouverture de la procédure collective, ne pouvait suppléer cette carence probatoire. Le tribunal tire les conséquences de cette défaillance en prononçant la résolution sur le fondement de l’article 1224 du code civil, pour « inexécution suffisamment grave ».

Cette qualification emporte des effets patrimoniaux dont l’étendue a été strictement encadrée par le tribunal.

II. La détermination mesurée des conséquences indemnitaires

Le tribunal procède à une application intégrale de la clause pénale contractuelle (A), tout en soumettant la demande de dommages intérêts complémentaires à une exigence probatoire rigoureuse (B).

A. L’application sans modération de la clause pénale stipulée

Le compromis prévoyait qu’« au cas où l’une quelconque des parties, après avoir été mise en demeure, ne régulariserait pas l’acte authentique […] elle devra verser à l’autre partie à titre de pénalité […] une somme de 15.500 euros ». Le tribunal fait application de cette stipulation sans user de la faculté de modération que lui offre l’article 1231-5 du code civil.

Cette solution se justifie par la gravité de l’inexécution constatée. L’acquéreur n’a accompli aucune des diligences promises pendant plus de cinq mois. Le montant de la clause, représentant 10 % du prix de vente, correspond aux usages en matière de promesse immobilière et ne présente pas de caractère manifestement excessif.

La particularité de l’espèce réside dans la situation de l’acquéreur, placé en liquidation judiciaire. Le tribunal ne prononce pas de condamnation mais « fixe à la somme de 15.500 euros, la créance de la société CAVI à inscrire au passif ». Cette formulation respecte les règles de la procédure collective qui interdisent toute condamnation au paiement contre le débiteur dessaisi.

B. L’exigence de justification des préjudices complémentaires

Le vendeur réclamait 7 541,81 euros au titre des frais de maintenance supportés pendant la période de blocage de la vente. Le tribunal n’accorde que 97 euros correspondant à trois factures d’électricité. Il relève que l’avis de taxe foncière produit concernait « un immeuble situé sur la Commune […] sans davantage de précision sur l’immeuble concerné, ce qui ne permet pas de démontrer qu’il s’agit de l’immeuble objet du compromis de vente ».

Cette motivation illustre l’exigence probatoire applicable à la réparation du préjudice. La production d’un tableau récapitulatif des dépenses ne suffit pas. Chaque poste de préjudice doit être individuellement justifié et rattaché à l’immeuble litigieux. Le tribunal applique le principe de réparation intégrale dans sa dimension restrictive : seul le préjudice certain et prouvé ouvre droit à indemnisation.

Cette rigueur probatoire s’inscrit dans une jurisprudence constante. Elle rappelle au créancier que l’existence d’une faute contractuelle ne dispense pas d’établir avec précision l’étendue du dommage subi. La clause pénale forfaitise une partie du préjudice, mais les demandes complémentaires demeurent soumises au droit commun de la responsabilité contractuelle.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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