Conseil constitutionnel, Décision n° 2024-869 DC du 20 juin 2024

Le Parlement a adopté une loi visant à renforcer l’efficacité des dispositifs de saisie et de confiscation des avoirs criminels par les autorités judiciaires françaises. L’article 16 de ce texte modifie le code pénal pour instaurer un titre d’expulsion automatique consécutif à une décision définitive de confiscation immobilière pénale. Plus de soixante députés ont déféré cette loi au Conseil constitutionnel le 22 mai 2024 pour en faire contrôler la conformité aux exigences de la Constitution. Les requérants contestaient particulièrement le mécanisme permettant l’éviction des occupants de bonne foi sans qu’un juge n’ait préalablement apprécié leur situation personnelle spécifique. Ils invoquaient la méconnaissance du droit au respect de la vie privée, du principe de l’inviolabilité du domicile ainsi que du droit au recours effectif. La question centrale posée au juge constitutionnel résidait dans la proportionnalité de l’expulsion automatique des occupants non condamnés au regard de l’objectif de sauvegarde de l’ordre public. Le Conseil constitutionnel a déclaré les dispositions conformes sous réserve d’une individualisation par le juge mais a censuré les conditions temporelles imposées aux tiers locataires. L’étude de cette décision conduit à examiner la validation d’une procédure d’expulsion simplifiée avant de détailler la censure des restrictions excessives aux droits des tiers.

I. La validation d’une procédure d’expulsion simplifiée au service de l’efficacité pénale

A. La consécration d’un titre d’expulsion fondé sur la sauvegarde de l’ordre public

Le législateur a entendu que la décision définitive de confiscation d’un bien immobilier constitue directement un titre d’expulsion opposable à la personne condamnée. Le juge constitutionnel relève que cette mesure vise à « renforcer l’efficacité de la peine de confiscation en facilitant l’expulsion des occupants du bien concerné ». Cette finalité s’inscrit dans l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public dont le législateur doit assurer la pleine réalisation concrète. La notion d’occupant de son chef désigne les personnes tenant exclusivement leur droit d’occupation du condamné, ce qui inclut notamment les membres de sa famille. Le Conseil écarte le grief d’imprécision en considérant que ces termes permettent d’identifier clairement les personnes dépourvues de titre d’occupation propre et indépendant. Cette simplification procédurale évite aux autorités de devoir engager des actions civiles distinctes pour obtenir la libération effective des locaux après leur confiscation.

B. L’encadrement du dispositif par des garanties juridictionnelles et personnelles

La constitutionnalité de la mesure repose sur le maintien de garanties substantielles protégeant les occupants contre une éviction manifestement inique ou brutale dans sa réalisation. Le Conseil constitutionnel précise qu’il « appartiendra au juge qui prononce la peine de confiscation de prendre en compte » la situation personnelle et familiale de l’intéressé. Cette réserve d’interprétation impose une individualisation de la sanction dès le stade du prononcé de la peine complémentaire par la juridiction pénale compétente. Les occupants bénéficient également des délais fixés par le code des procédures civiles d’exécution, notamment le délai de deux mois suivant le commandement de quitter. Le juge de l’exécution demeure investi du pouvoir d’accorder des délais renouvelables lorsque le relogement ne peut intervenir immédiatement dans des conditions décentes. Si le principe de l’expulsion est validé pour l’entourage du condamné, le juge refuse d’imposer des conditions excessives aux occupants extérieurs de bonne foi.

II. La censure des conditions restrictives imposées aux occupants de bonne foi

A. L’inconstitutionnalité des critères chronologiques liés à la saisie du bien

La loi contestée prévoyait qu’une convention d’occupation ne protégeait le tiers de bonne foi que si elle avait été conclue avant la décision de saisie. Le Conseil constitutionnel juge que cette condition peut « conduire à l’expulsion de l’occupant de bonne foi au motif que la convention a été conclue après une saisie ». La saisie immobilière n’étant pas systématiquement portée à la connaissance du futur occupant, ce dernier peut légitimement ignorer la situation juridique réelle du logement. En imposant une antériorité de l’acte par rapport à une mesure souvent occulte, le législateur faisait peser une charge imprévisible sur le locataire étranger à l’infraction. Cette disposition méconnaît les exigences de l’article 2 de la Déclaration de 1789 qui protège les droits naturels dont la propriété et la sûreté font partie. La juridiction censure donc cette règle arbitraire car elle ne permettait pas de garantir la protection effective des droits des contractants n’ayant commis aucune faute.

B. La protection du locataire contre les conséquences d’une inexécution imputable au condamné

Le texte législatif subordonnait également le maintien dans les lieux à l’exécution régulière de la convention d’occupation par les deux parties au contrat de bail. Le Conseil censure cette exigence en relevant qu’un occupant de bonne foi pourrait être expulsé même si l’inexécution est « imputable à la seule personne condamnée ». Il est contraire aux principes constitutionnels de faire subir à un tiers les conséquences dommageables d’un manquement contractuel dont il ne porte pas la responsabilité. Le juge constitutionnel réaffirme que la seule démonstration de la bonne foi doit suffire à protéger les droits de l’occupant titulaire d’un titre onéreux régulier. Cette décision limite la portée opérationnelle du titre d’expulsion automatique en élargissant substantiellement le champ des personnes bénéficiant d’une protection contre l’éviction immédiate. La primauté de la sûreté des tiers l’emporte ainsi sur la volonté de célérité dans la récupération des avoirs criminels par la puissance publique.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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