Cour de justice de l’Union européenne, le 16 février 2023, n°C-519/21

La Cour de justice de l’Union européenne, par un arrêt rendu le 29 septembre 2022, statue sur l’assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée des groupements sans personnalité juridique. Elle précise les conditions d’exercice du droit à déduction lorsque les factures sont établies au nom d’associés distincts du redevable identifié par l’administration.

Deux sœurs, copropriétaires d’un terrain, s’associent par contrat avec deux autres personnes physiques pour bâtir un complexe immobilier destiné à la vente à des tiers. Les associés prennent contractuellement en charge les dépenses de construction tandis que les propriétaires foncières réalisent les ventes des appartements une fois les immeubles achevés. L’administration fiscale notifie ensuite un avis d’imposition à l’encontre de l’une des propriétaires pour l’ensemble de la taxe due sur les cessions immobilières.

La requérante saisit la Cour d’appel de Cluj d’un recours tendant à l’annulation de l’avis d’imposition en invoquant l’existence du contrat d’association entre les quatre participants. Elle demande également la reconnaissance du droit de déduire la taxe correspondant aux factures de travaux établies au nom de ses partenaires financiers. Par un arrêt du 23 juillet 2020, la Haute Cour de cassation et de justice de Roumanie renvoie l’affaire devant la juridiction de second degré.

Le juge européen doit déterminer si les membres d’une association non enregistrée sont assujettis et si le redevable peut déduire la taxe facturée à ses associés. La Cour répond négativement aux deux interrogations en soulignant l’absence d’activité indépendante des partenaires et le défaut de preuves objectives de livraison au redevable. L’étude de cette décision impose d’examiner l’identification de l’assujetti dans les associations informelles (I) avant d’analyser l’encadrement du droit à déduction (II).

I. La détermination rigoureuse de la qualité d’assujetti au sein de l’association informelle

A. L’exigence d’un exercice indépendant de l’activité économique

La Cour rappelle que la notion d’assujetti repose sur l’exercice indépendant d’une activité économique, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité. Pour les livraisons immobilières litigieuses, il convient de vérifier quel intervenant a agi en son nom propre et pour son propre compte. « Les termes utilisés à l’article 9 de la directive TVA donnent de la notion d’assujetti une définition large axée sur l’indépendance ». Toutefois, cette indépendance suppose que la personne supporte effectivement le risque économique lié à l’exercice des activités concernées par l’imposition.

Dans cette affaire, les associés financeurs n’apparaissaient pas dans les contrats de vente conclus devant notaire par les propriétaires du terrain en cause. Leurs interventions se limitaient à l’exécution d’un mandat de représentation pour le compte des seules propriétaires foncières lors des transactions immobilières. Dès lors, ils ne sauraient être considérés comme ayant accompli de manière indépendante une activité économique au sens de la directive européenne. Cette solution préserve la sécurité juridique des acquéreurs en rattachant l’opération à l’entité concrète identifiée lors de la livraison des biens.

Cette analyse individuelle de la qualité d’assujetti se prolonge par l’examen du régime spécifique applicable aux groupements fiscaux constitués entre plusieurs personnes indépendantes.

B. L’inopposabilité du groupement fiscal en l’absence de formalités déclaratives

L’article 11 de la directive permet aux États membres de considérer comme un seul assujetti des personnes indépendantes mais étroitement liées entre elles. Cette faculté d’assimilation à un assujetti unique exclut que les membres du groupe continuent à souscrire séparément des déclarations de taxe sur la valeur ajoutée. La Cour précise qu’un État peut légitimement soumettre ce régime à une déclaration préalable d’enregistrement auprès de l’autorité fiscale compétente. Une telle mesure est jugée nécessaire et appropriée pour prévenir les comportements abusifs et faciliter le contrôle des opérations imposables.

L’absence d’enregistrement du contrat d’association avant le début de l’activité économique prive les intéressés du bénéfice des dispositions relatives au groupe fiscal. Le principe de neutralité fiscale ne s’oppose pas à cette exigence formelle dès lors qu’elle vise la bonne tenue du registre des redevables. Les associés ne peuvent donc prétendre à une qualité d’assujetti collectif rétroactive pour couvrir des opérations réalisées individuellement par les propriétaires. Le juge confirme ainsi la primauté des règles d’identification fiscale sur les conventions privées qui n’ont pas été déclarées aux autorités.

Si la définition de l’assujetti s’avère restrictive, les conditions d’exercice du droit à déduction suivent une rigueur probatoire identique dans le cadre du litige.

II. L’encadrement strict du droit à déduction face aux lacunes documentaires

A. La subordination de la neutralité fiscale à la preuve de la livraison

Le droit à déduction constitue un principe fondamental du système commun visant à soulager l’entrepreneur du poids de la taxe sur la valeur ajoutée. La Cour souligne que ce droit s’exerce si les conditions matérielles sont satisfaites, nonobstant l’omission de certaines conditions formelles relatives aux factures. « Le principe fondamental de neutralité de la TVA exige que la déduction de celle-ci en amont soit accordée si les conditions matérielles sont satisfaites ». L’administration ne peut refuser la déduction au seul motif d’une facture incomplète si elle dispose des données de vérification nécessaires.

Cependant, l’assujetti doit impérativement établir que les biens ou les services lui ont été effectivement fournis pour les besoins de ses propres opérations taxées. Dans cette espèce, le redevable ne disposait pas de factures à son nom pour les travaux de construction réalisés par ses partenaires. Le risque d’une double déduction du même montant de taxe par différents membres de l’association justifie une rigueur probatoire particulièrement accrue. En l’absence de preuves objectives de la réalité de la livraison en amont au profit du redevable, le droit à déduction est valablement refusé.

Au-delà de la réalité matérielle de la livraison, l’identité du destinataire des factures demeure un élément déterminant du droit à déduction dans le système européen.

B. L’impossibilité de déduire une taxe facturée à des tiers non assujettis

Le système de la taxe sur la valeur ajoutée exige un lien direct entre la dépense engagée en amont et l’opération imposable réalisée en aval. La Cour rejette la possibilité pour un assujetti de déduire la taxe payée par un autre membre d’une association sans personnalité juridique propre. « L’assujetti est tenu de fournir des preuves objectives que des biens et des services lui ont effectivement été fournis en amont par des assujettis ». Cette exigence protège l’intégrité du système fiscal contre les tentatives de transfert de droits à déduction entre entités juridiquement distinctes.

La situation du redevable est ici fragilisée par le fait que les factures de construction ont été émises au nom des seuls associés financeurs. Ces derniers ne possédant pas la qualité d’assujettis pour ces opérations, la taxe qu’ils ont acquittée ne peut pas être transférée au propriétaire. Le principe de proportionnalité n’impose pas d’accorder une déduction pour des dépenses dont le bénéficiaire réel demeure incertain au regard des pièces. La décision renforce ainsi la nécessité d’une gestion rigoureuse des flux de facturation dès la formation des partenariats économiques entre particuliers.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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