Le Conseil constitutionnel a rendu, le 19 octobre 2018, la décision n° 2018-740 QPC portant sur l’article L. 442-10 du code de l’urbanisme. Ce texte permet de modifier les documents d’un lotissement, notamment le cahier des charges, par une décision administrative prise à la majorité qualifiée. Des colotis ont contesté cette faculté devant le Conseil d’État qui a transmis la question prioritaire de constitutionnalité le 18 juillet 2018. Les requérants soutiennent que ce mécanisme porte atteinte au droit de propriété ainsi qu’au principe du maintien des conventions légalement conclues. Ils estiment que l’administration ne peut remettre en cause un contrat privé sans un motif d’intérêt général suffisant ni garanties protectrices. Le juge constitutionnel doit déterminer si la modification forcée des clauses contractuelles du lotissement respecte l’équilibre entre l’intérêt général et les libertés. La juridiction déclare les mots contestés conformes, sous une réserve d’interprétation interdisant l’aggravation injustifiée des contraintes pesant sur les propriétaires. L’examen de cette décision commande d’analyser la conciliation entre urbanisme et liberté contractuelle, avant d’aborder les garanties entourant la protection du droit de propriété.
I. La conciliation entre intérêt général d’urbanisme et liberté contractuelle
A. Le régime de modification administrative du cahier des charges
Le texte attaqué organise une procédure de modification des cahiers des charges approuvés ou des clauses réglementaires des cahiers des charges non approuvés. Le législateur a entendu « faciliter l’évolution, dans le respect de la politique publique d’urbanisme, des règles propres aux lotissements ». Cette ambition répond à un objectif d’intérêt général identifié par les sages pour moderniser la gestion foncière et urbaine locale. L’autorité administrative intervient pour valider une volonté collective exprimée par une majorité qualifiée de propriétaires détenant une partie de la superficie. Cette intervention publique sur une norme privée se justifie par la nature hybride du lotissement, entre espace contractuel et zone d’urbanisme. La loi limite toutefois cet empire administratif en excluant expressément « l’affectation des parties communes » de ce champ d’application.
B. La sauvegarde du droit au maintien des conventions légales
Le législateur peut apporter des limitations à la liberté contractuelle justifiées par l’intérêt général, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées. Cette liberté, découlant de l’article 4 de la Déclaration de 1789, protège la stabilité des engagements contre les modifications législatives imprévisibles. Le juge vérifie alors si l’atteinte portée aux contrats légalement conclus répond à un « motif d’intérêt général suffisant » pour être validée. Les clauses visées par la procédure de modification sont uniquement celles qui contiennent des règles d’urbanisme régissant l’organisation spatiale du lotissement. La protection contractuelle s’efface ainsi devant la nécessité d’adapter l’usage des sols aux impératifs de la politique urbaine actuelle. L’atteinte n’est pas jugée disproportionnée car elle ne permet pas de modifier les clauses étrangères à cet objet intéressant les seuls colotis.
II. L’encadrement constitutionnel garantissant le respect du droit de propriété
A. La validation de la procédure par majorité qualifiée des colotis
Le droit de propriété, garanti par les articles 2 et 17 de la Déclaration de 1789, exige que toute restriction soit proportionnée à l’objectif. Les requérants soutenaient que le mécanisme de majorité qualifiée privait les propriétaires minoritaires de leur droit fondamental de s’opposer aux changements. La modification est subordonnée au recueil de l’accord de la moitié des propriétaires détenant ensemble les deux tiers au moins de la superficie. Alternativement, le texte prévoit que les deux tiers des propriétaires détenant au moins la moitié de cette superficie peuvent valider la demande. Cette exigence assure une légitimité collective forte au sein du groupement avant toute intervention de l’autorité administrative pour modifier les documents. La juridiction rappelle également l’obligation d’une « information suffisamment précise des colotis intéressés » préalablement à toute décision définitive de modification administrative.
B. La réserve d’interprétation limitant l’aggravation des contraintes privées
La conformité de la loi est assortie d’une réserve d’interprétation capitale destinée à préserver l’équilibre des droits entre les différents propriétaires. La modification ne saurait « aggraver les contraintes pesant sur les colotis sans que cette aggravation soit commandée par le respect des documents d’urbanisme ». Cette précision interdit à une majorité d’imposer des charges nouvelles ou plus pesantes par pure convenance ou pour des motifs privés. Seule la mise en conformité nécessaire avec la réglementation publique d’urbanisme peut justifier une intensification des obligations contractuelles initiales du cahier des charges. La portée de cette réserve offre aux juridictions judiciaires un pouvoir de contrôle efficace sur la légalité des décisions administratives de modification. L’institution veille ainsi à ce que l’évolution du lotissement ne porte pas une atteinte excessive au droit de chaque propriétaire sur son bien.