Le Conseil constitutionnel a rendu, le 5 août 2004, une décision majeure relative à la loi sur le service public de l’électricité et du gaz. Cette réforme législative organisait principalement la transformation d’établissements publics nationaux en sociétés anonymes régies par les règles du droit privé. Saisis par des groupes de parlementaires, les juges devaient examiner la conformité de cette mutation institutionnelle aux principes fondamentaux du Préambule de 1946. Les requérants soutenaient que ces structures constituaient des services publics nationaux dont la propriété devait obligatoirement demeurer entre les mains de la collectivité. Ils contestaient également des dispositions relatives au financement des retraites et dénonçaient des irrégularités commises durant la procédure d’adoption du texte législatif. La question centrale portait sur la compatibilité entre la forme sociétaire de ces entités et l’exigence constitutionnelle de propriété publique des monopoles. Le Conseil constitutionnel a validé l’essentiel de la réforme tout en censurant certains articles introduits de manière irrégulière lors des débats.
I. La consécration de la nature constitutionnelle du service public
A. Le maintien des obligations de service public
Le juge constitutionnel affirme que le changement de forme juridique des opérateurs historiques n’altère en rien la permanence de leurs missions. Les magistrats soulignent que « le législateur a confirmé leur qualité de services publics nationaux » malgré leur transformation en sociétés anonymes par actions. Cette reconnaissance juridique assure que les objectifs d’intérêt général demeurent au sommet des priorités stratégiques des nouvelles entités économiques ainsi créées. La décision précise que les modalités d’exécution de ces missions font désormais l’objet de contrats spécifiques conclus directement avec l’autorité publique. Ces instruments conventionnels visent à garantir la continuité des prestations essentielles malgré l’évolution structurelle et l’ouverture progressive des marchés de l’énergie. L’obligation de respecter les principes d’égalité et de continuité demeure « inhérente au service public » quel que soit le statut de l’opérateur.
B. L’exigence de la propriété publique majoritaire
L’interprétation du neuvième alinéa du Préambule de 1946 impose que toute entreprise présentant le caractère d’un monopole national reste sous le contrôle collectif. Le Conseil constitutionnel valide la privatisation partielle dès lors que la puissance publique conserve une participation supérieure à soixante-dix pour cent du capital. Cette garantie empêche le transfert définitif d’actifs stratégiques vers le secteur privé sans l’intervention préalable et explicite d’une nouvelle disposition législative. La décision énonce que « l’abandon de cette participation majoritaire ne pourrait résulter que d’une loi ultérieure » soumise à un contrôle de constitutionnalité. Les juges considèrent ainsi que la propriété nationale est préservée par le maintien d’une influence prépondérante de la collectivité sur les infrastructures. La sécurité de l’approvisionnement et le contrôle des réseaux de transport restent ainsi protégés contre les risques de démantèlement purement commercial.
II. La sanction de la procédure et l’application de l’égalité
A. Le contrôle de la régularité du droit d’amendement
La juridiction exerce un contrôle rigoureux sur les amendements pour éviter l’insertion de mesures étrangères au périmètre initial du projet de loi. Elle censure notamment une disposition relative à la limite d’âge des dirigeants au motif qu’elle est « dépourvue de tout lien avec l’objet ». Cette pratique, qualifiée de cavalier législatif, porte une atteinte directe à la clarté ainsi qu’à la sincérité des travaux conduits au Parlement. Le juge rappelle que les adjonctions effectuées en cours de discussion ne sauraient méconnaître les exigences procédurales découlant des articles constitutionnels en vigueur. Les mesures introduites tardivement par la commission mixte paritaire sont également déclarées non conformes pour non-respect des étapes de discussion législative. Cette rigueur assure que les représentants de la nation délibèrent sereinement sur les mesures engageant durablement l’organisation administrative et économique.
B. La justification des différences de traitement économique
Les auteurs de la saisine critiquaient les modalités de financement du régime spécial d’assurance vieillesse au nom du principe général d’égalité. Le Conseil constitutionnel rejette cette argumentation en expliquant que le législateur peut traiter différemment des situations qui ne sont pas rigoureusement identiques. Il relève que les mesures contestées ont précisément « pour objet de corriger une disparité de situation » héritée du cadre réglementaire antérieur. Les entreprises concernées ne disposaient pas des mêmes capacités de provisionnement pour leurs charges de retraite par rapport aux principaux opérateurs historiques. En autorisant une réduction forfaitaire de la base de calcul, la loi permet de rétablir un équilibre économique favorable à l’équité. Cette solution démontre que l’égalité juridique n’est pas une uniformité mécanique mais une recherche de justice tenant compte des réalités sociales.