Cour d’appel administrative de Marseille, le 20 janvier 2025, n°23MA01385

La Cour administrative d’appel de Marseille a rendu, le 20 janvier 2025, une décision précisant le champ d’application des garanties des constructeurs. Un acheteur public a confié la réalisation de fresques murales sur un pont ferroviaire à un prestataire privé par un contrat de service. Des dégradations liées à l’humidité sont apparues quelques mois après la réception des travaux qui avait été effectuée sans aucune réserve. Le maître d’ouvrage a alors sollicité l’indemnisation de ses divers préjudices devant les premiers juges sur le fondement de la responsabilité décennale. Le tribunal administratif a rejeté la demande en considérant que les désordres constatés n’entraient pas dans le champ des garanties légales obligatoires. La juridiction d’appel devait déterminer si des peintures décoratives constituent un ouvrage ou un équipement soumis aux garanties décennale ou biennale. La Cour écarte l’application de ces régimes de responsabilité spéciale au profit du droit commun des contrats et des vices cachés. Cette solution repose sur l’exclusion des garanties légales pour les prestations esthétiques (I) et sur l’extinction de la responsabilité contractuelle après réception (II).

I. L’exclusion des garanties légales pour les prestations à finalité esthétique

A. La qualification de simple prestation de service

La Cour juge que la fresque litigieuse, « à finalité purement esthétique », ne peut être regardée comme un ouvrage au sens du code civil. Elle souligne que cette application picturale sur un support appartenant à un tiers constitue une « simple prestation de service » soumise au contrat. Les juges refusent ainsi d’étendre la notion d’ouvrage aux éléments dont la fonction est exclusivement décorative et dépourvue de toute technicité structurelle. Cette qualification juridique écarte d’emblée l’application de la responsabilité décennale des constructeurs qui ne protège que les éléments affectant la solidité. L’absence de nature immobilière ou d’intégration structurelle de la peinture murale interdit ainsi l’usage des garanties protectrices du maître de l’ouvrage.

B. L’inapplicabilité de la garantie de bon fonctionnement aux éléments inertes

Les juges précisent que la fresque constituerait, au mieux, un « élément inerte » s’il fallait absolument la rattacher à un ouvrage de construction. Or, la garantie de bon fonctionnement ne s’applique qu’aux seuls éléments d’équipement dissociables destinés à fonctionner de manière technique et autonome. La Cour confirme que les peintures, « n’étant pas destinées à fonctionner », échappent par nature à cette garantie biennale prévue par la loi. Ce raisonnement rigoureux limite le champ des garanties spéciales aux seuls éléments mécaniques dont un dysfonctionnement matériel est techniquement possible. Cette exclusion des garanties légales de parfait achèvement ou de bon fonctionnement déplace le litige vers le terrain de la responsabilité contractuelle.

II. L’extinction de la responsabilité contractuelle par l’effet de la réception

A. Le principe de la fin des rapports contractuels après admission

La réception des travaux sans réserve met fin de manière définitive aux rapports contractuels entre le maître d’ouvrage et son cocontractant privé. La Cour rappelle que « l’admission des prestations met fin, sauf cas de vices cachés, aux rapports contractuels » unissant les parties au marché. Le procès-verbal de réception, signé sans observation particulière, purge ainsi les vices apparents et les éventuels manquements aux règles de l’art. L’acheteur public perd la faculté d’invoquer la responsabilité contractuelle pour des désordres qui étaient décelables lors de la remise des prestations. Cette extinction du lien de droit ne peut être remise en cause que dans l’hypothèse très restrictive d’un vice caché sciemment dissimulé.

B. L’exigence probatoire stricte du vice caché sciemment dissimulé

L’engagement de la responsabilité contractuelle après réception suppose la preuve d’un vice caché que l’entreprise ne pouvait légitimement ignorer lors des travaux. La Cour constate que l’acheteur public n’établit pas la « connaissance, par la société, du vice affectant la prestation » au moment de l’exécution. Une simple remarque non étayée concernant des infiltrations d’eau en cours de chantier ne suffit pas à caractériser une faute lourde du prestataire. Les juges exigent une démonstration probante de la mauvaise foi du titulaire pour écarter l’effet extinctif attaché à la réception sans réserve. La requête est donc rejetée faute pour le requérant de produire les éléments matériels nécessaires à la caractérisation d’une dissimulation du vice.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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