Cour d’appel de Riom, le 1 juillet 2025, n°23/01181

Par un arrêt du premier juillet deux mille vingt-cinq, la cour d’appel de Riom a statué sur un litige opposant deux propriétaires voisins à propos d’une servitude de passage. Le fonds dominant, acquis en deux mille dix-neuf, bénéficie d’un droit de passage de cinq mètres de large stipulé dans un acte de vente du trente décembre mil neuf cent quatre-vingt-seize, lequel précise que ce passage « ne devra jamais être fermé ni encombré ».

Les propriétaires du fonds servant avaient installé une balançoire occupant la quasi-totalité de la largeur du passage, édifié une terrasse surélevée sur son emprise et laissé des véhicules y stationner. Un procès-verbal de constat dressé le premier août deux mille vingt attestait de ces entraves. Malgré une mise en demeure adressée le vingt-trois octobre deux mille vingt, les propriétaires du fonds servant n’ont réagi qu’après avoir été assignés le treize octobre deux mille vingt-et-un devant le tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand.

Par jugement du vingt-sept mars deux mille vingt-trois, le tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand a condamné solidairement les propriétaires du fonds servant à supprimer la construction édifiée sur l’emprise de la servitude sous astreinte, leur a fait interdiction d’y stationner des véhicules et les a condamnés à des dommages-intérêts pour préjudice de jouissance. Les propriétaires du fonds servant ont interjeté appel le vingt juillet deux mille vingt-trois, soutenant s’être conformés à leurs obligations dès la mise en demeure et invoquant une autorisation concernant l’installation d’un trampoline.

Il appartenait à la cour d’appel de Riom de déterminer si les propriétaires du fonds servant avaient méconnu leurs obligations conventionnelles et si les mesures ordonnées par le premier juge étaient justifiées. La cour confirme le jugement en retenant que « le respect de la servitude convenue dans l’acte de vente du 30 décembre 1996 impose aux époux [I] de ne jamais fermer ni encombrer l’assiette du droit de passage » et que les éléments du dossier « caractérisent suffisamment le non-respect flagrant par les époux [I] de la servitude dont ils étaient pourtant débiteurs par convention depuis le 30 décembre 1996 ».

La servitude conventionnelle de passage constitue un droit réel immobilier dont le régime juridique impose des obligations précises au propriétaire du fonds servant. La cour d’appel de Riom rappelle avec fermeté l’étendue de ces obligations tout en appréciant souverainement les éléments de preuve rapportés (I). La sanction du manquement aux obligations du propriétaire du fonds servant révèle par ailleurs l’office du juge dans la préservation effective des droits du bénéficiaire de la servitude (II).

I. La détermination des obligations du propriétaire du fonds servant

La cour d’appel de Riom procède à une analyse rigoureuse du titre constitutif de la servitude pour en déduire les obligations pesant sur le propriétaire du fonds servant (A), avant d’apprécier souverainement les preuves du manquement à ces obligations (B).

A. L’interprétation stricte du titre constitutif de la servitude

La servitude de passage litigieuse trouve sa source dans l’acte de vente du trente décembre mil neuf cent quatre-vingt-seize. La cour d’appel de Riom relève que cet acte stipule un « droit de passage en tout temps et à tout usage, de 5 mètres de large » et précise expressément que ce passage « ne devra jamais être fermé ni encombré ». Cette formulation conventionnelle détermine avec précision l’étendue des obligations du propriétaire du fonds servant.

L’article 686 du code civil dispose que les servitudes établies par le fait de l’homme se règlent par le titre qui les constitue. La cour applique ce principe en se fondant exclusivement sur les stipulations de l’acte de mil neuf cent quatre-vingt-seize pour définir les obligations des propriétaires du fonds servant. La mention selon laquelle le passage ne doit « jamais être fermé ni encombré » constitue une obligation de ne pas faire, à caractère perpétuel, qui s’impose aux propriétaires successifs du fonds servant.

La cour écarte l’argument des appelants relatif à une prétendue autorisation concernant un trampoline en relevant qu’il avait été constaté « que le passage était encombré non pas par un trampoline mais par une grande balançoire qui en occupait quasiment toute la largeur, ce qui n’est pas du tout la même chose ». Cette distinction témoigne de l’appréciation concrète des juges du fond quant à la nature des entraves au passage. L’autorisation éventuellement donnée pour un équipement déterminé ne saurait valoir renonciation générale au respect de la servitude.

B. L’appréciation souveraine des preuves du manquement

La cour d’appel de Riom fonde son appréciation sur les procès-verbaux de constat produits par les parties. Le constat du premier août deux mille vingt établit la présence d’une « grande balançoire, qui occupe quasiment toute la largeur disponible » sur l’assiette de la servitude. Les photographies versées aux débats attestent également du stationnement de véhicules sur le passage.

Les juges du fond exercent leur pouvoir souverain d’appréciation des éléments de preuve. La cour retient que ces « éléments incontestables caractérisent suffisamment le non-respect flagrant par les époux [I] de la servitude dont ils étaient pourtant débiteurs par convention depuis le 30 décembre 1996 ». L’emploi de l’adjectif « flagrant » traduit l’évidence du manquement aux yeux de la cour.

La question du grillage qui aurait réduit la largeur du passage illustre la rigueur probatoire exigée par les juges. La cour relève que « cette situation n’est pas démontrée par les pièces produites » et ajoute que les appelants ont reculé le grillage après l’assignation. Cette exigence de preuve protège le propriétaire du fonds servant contre des allégations non étayées tout en sanctionnant les manquements établis.

II. La sanction judiciaire du manquement aux obligations de la servitude

La confirmation des mesures ordonnées par le premier juge révèle l’efficacité des sanctions disponibles pour assurer le respect de la servitude (A). Le traitement de la résistance du propriétaire du fonds servant souligne l’importance de la dimension temporelle dans l’appréciation du comportement des parties (B).

A. L’astreinte comme instrument d’exécution forcée

Le tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand avait prononcé une condamnation sous astreinte à supprimer la construction édifiée sur l’emprise de la servitude et fait interdiction de stationner des véhicules sous astreinte par manquement constaté. La cour d’appel de Riom confirme ces mesures en précisant les modalités d’application de l’astreinte relative à « la suppression de la marche de la terrasse », laquelle « courra trois mois après la signification du présent arrêt aux époux [I], et ce durant six mois ».

L’astreinte constitue une mesure de contrainte efficace pour obtenir l’exécution d’une obligation de faire ou de ne pas faire. La cour module son application en accordant un délai de trois mois pour permettre aux propriétaires du fonds servant de s’exécuter volontairement. Cette adaptation temporelle témoigne de la recherche d’un équilibre entre l’effectivité des droits du bénéficiaire de la servitude et le respect du principe de proportionnalité.

La terrasse qualifiée de « construction un peu surélevée » empiétant sur l’assiette de la servitude « constitue donc un empêchement à l’usage complet de la servitude ». L’article 701 du code civil dispose que le propriétaire du fonds débiteur ne peut rien faire qui tende à diminuer l’usage de la servitude. La démolition ordonnée trouve ainsi son fondement dans ce texte et sanctionne l’atteinte portée à l’assiette du droit de passage.

B. L’indemnisation du préjudice né de la résistance abusive

La cour d’appel de Riom confirme les dommages-intérêts alloués pour « préjudice de jouissance et résistance abusive ». Elle relève que les propriétaires du fonds servant, « nonobstant la mise en demeure qu’ils avaient reçue de la part du conseil de Mme [M] par lettres RAR le 23 octobre 2020, ont attendu d’être assignés pour réagir et s’exécuter ». Ce constat caractérise une résistance fautive ouvrant droit à réparation.

Le bénéficiaire d’une servitude subit un préjudice de jouissance lorsqu’il ne peut exercer pleinement son droit de passage. L’indemnisation de ce préjudice à hauteur de mille cinq cents euros sanctionne la privation de jouissance subie pendant la période d’entrave. La cour considère que le tribunal a « justement arbitré » ce montant, manifestant ainsi son approbation de l’appréciation portée par le premier juge.

La demande reconventionnelle des appelants tendant à la condamnation de l’intimée pour procédure abusive est implicitement rejetée par la confirmation du jugement. L’action exercée par le bénéficiaire de la servitude était fondée au vu des manquements établis. La cour sanctionne les appelants par une condamnation aux dépens d’appel et au paiement de deux mille euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, confirmant le caractère mal fondé de leur recours.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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