Première chambre civile de la Cour de cassation, le 2 juillet 2025, n°23-15.780

L’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 2 juillet 2025 illustre le mécanisme du rabat d’arrêt, procédure exceptionnelle par laquelle la haute juridiction corrige ses propres erreurs.

En l’espèce, un litige opposait un particulier à une association d’aide à domicile. À la suite d’un arrêt rendu par la Cour d’appel de Lyon le 9 février 2023, un pourvoi en cassation fut formé. Par un arrêt du 29 janvier 2025, la Cour de cassation condamna le demandeur au pourvoi à verser à l’association la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile. Or, le même jour, un second arrêt, rendu entre les mêmes parties sur un autre pourvoi, prononça une condamnation identique. Cette double condamnation résultait d’une erreur de procédure non imputable aux parties.

La Cour de cassation se saisit d’office en vue du rabat partiel de son premier arrêt. La question posée était de savoir si la haute juridiction pouvait revenir sur sa décision lorsqu’une erreur purement procédurale, étrangère aux parties, aboutit à une double condamnation injustifiée.

La Cour répond par l’affirmative. Elle rabat partiellement l’arrêt du 29 janvier 2025, rejette les demandes fondées sur l’article 700 du Code de procédure civile et met les dépens à la charge du Trésor public.

Cette décision invite à examiner les conditions du rabat d’arrêt en tant qu’instrument de correction des erreurs judiciaires (I), avant d’en apprécier les conséquences sur le régime des frais irrépétibles (II).

I. Le rabat d’arrêt, instrument exceptionnel de correction des erreurs de la Cour de cassation

Le rabat d’arrêt constitue une voie de recours atypique dont les conditions d’exercice sont strictement encadrées (A), et dont la mise en œuvre d’office par la Cour révèle sa fonction de garantie de bonne administration de la justice (B).

A. Une procédure subordonnée à l’existence d’une erreur non imputable aux parties

Le rabat d’arrêt permet à la Cour de cassation de rétracter sa propre décision lorsqu’une erreur matérielle ou de procédure a vicié le prononcé. Cette procédure, dérogatoire au principe de dessaisissement du juge après le prononcé, suppose la démonstration d’une erreur extérieure aux parties.

En l’espèce, la Cour relève expressément qu’il s’agit d’une « erreur de procédure non imputable aux parties ». Cette formulation exclut toute faute des plaideurs et cantonne l’origine du vice au fonctionnement interne de la juridiction. Le demandeur au pourvoi s’est trouvé condamné deux fois à verser 2 000 euros à la même association, au titre des mêmes dispositions, par deux arrêts rendus le même jour.

Cette situation révèle un dysfonctionnement dans le traitement des affaires connexes. La Cour ne pouvait laisser subsister une double condamnation dépourvue de fondement. Le rabat s’imposait pour rétablir l’équilibre rompu par l’erreur judiciaire.

B. Une saisine d’office révélatrice de la fonction régulatrice de la procédure

La particularité de l’arrêt commenté réside dans la saisine d’office de la Cour. Celle-ci n’a pas attendu qu’une partie sollicite le rabat. Elle a pris l’initiative de corriger l’anomalie dès sa découverte.

Cette démarche traduit une conception exigeante de la mission de la Cour de cassation. La haute juridiction ne se contente pas de trancher les pourvois. Elle veille à la cohérence de sa propre jurisprudence et à la régularité de ses décisions. La saisine d’office manifeste cette vigilance.

Le rabat partiel, et non total, mérite également attention. La Cour ne remet pas en cause l’ensemble de l’arrêt du 29 janvier 2025. Elle se borne à supprimer la condamnation au titre de l’article 700, laissant subsister les autres dispositions. Cette technique chirurgicale préserve l’autorité des chefs de décision non affectés par l’erreur.

II. Les incidences du rabat sur le régime des frais irrépétibles

La correction de l’erreur emporte des conséquences sur le sort des demandes fondées sur l’article 700 (A) et sur la charge des dépens de l’instance en rabat (B).

A. Le rejet des demandes au titre de l’article 700 du Code de procédure civile

Le rabat partiel conduit la Cour à « statuer à nouveau » sur les demandes au titre de l’article 700 du Code de procédure civile. Elle les rejette purement et simplement.

Cette solution s’explique par l’existence d’une condamnation identique dans l’arrêt parallèle du même jour. Maintenir l’une des deux condamnations aurait suffi à indemniser l’association de ses frais de défense. Prononcer une seconde condamnation revenait à accorder un enrichissement sans cause.

La Cour ne se prononce pas sur le bien-fondé intrinsèque de la demande de l’association. Elle constate simplement que celle-ci a déjà obtenu satisfaction dans l’autre instance. Le rejet procède d’une logique de non-cumul, non d’une appréciation défavorable des frais exposés par le défendeur au pourvoi.

B. L’imputation des dépens au Trésor public, conséquence logique de l’erreur judiciaire

La décision innove sur un point remarquable. Les dépens afférents à l’instance en rabat sont laissés à la charge du Trésor public. Cette solution rompt avec la règle habituelle selon laquelle les dépens incombent à la partie perdante.

L’imputation au Trésor public se justifie pleinement. L’erreur à l’origine du rabat provient exclusivement du fonctionnement de la juridiction. Faire supporter aux parties les frais d’une procédure rendue nécessaire par une faute de l’institution judiciaire heurterait l’équité.

Cette solution présente une portée symbolique. Elle reconnaît implicitement la responsabilité de l’État dans le dysfonctionnement. Sans aller jusqu’à l’indemnisation du préjudice subi par le demandeur doublement condamné, elle évite d’aggraver sa situation en lui faisant supporter les frais du rabat.

L’arrêt du 2 juillet 2025 confirme ainsi que le rabat d’arrêt, procédure discrète et peu connue, constitue un outil indispensable pour garantir la fiabilité des décisions de la Cour de cassation. Son usage d’office et ses conséquences sur la charge des frais témoignent d’une conception responsable de l’office du juge suprême.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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