Cour d’appel de Paris, le 18 juin 2025, n°22/14739

La garantie d’éviction du vendeur constitue l’une des garanties fondamentales de la vente immobilière. Elle vise à protéger l’acquéreur contre toute atteinte à la propriété qu’il a acquise, qu’elle émane du vendeur lui-même ou d’un tiers. La question de son articulation avec les clauses contractuelles d’exclusion de garantie soulève des difficultés récurrentes, particulièrement en matière de copropriété lorsque des parties communes ont été annexées aux lots privatifs.

La Cour d’appel de Paris, par un arrêt rendu le 18 juin 2025, apporte une contribution significative à cette problématique. En l’espèce, un acquéreur avait fait l’acquisition en 2011 de plusieurs lots situés au septième étage d’un immeuble en copropriété. À la suite de travaux entrepris dans un autre appartement, il fut découvert qu’un conduit de fumée desservant un lot du deuxième étage avait été supprimé au niveau du septième étage. Le syndicat des copropriétaires assigna l’acquéreur en rétablissement du conduit, partie commune selon le règlement de copropriété. Condamné en première instance à procéder à cette remise en état, l’acquéreur appela en garantie la venderesse. Le tribunal judiciaire de Paris, par jugement du 2 juin 2022, rejeta cette demande. L’acquéreur interjeta appel limité à cette disposition.

La question posée à la cour était de déterminer si l’acquéreur pouvait invoquer la garantie d’éviction du fait d’un tiers à l’encontre de son vendeur, alors que l’acte de vente contenait une clause excluant la garantie pour les erreurs ou omissions dans la désignation du bien et pour les différences de surface.

La Cour d’appel de Paris confirme le jugement entrepris. Elle reconnaît que les conditions de la garantie d’éviction du fait d’un tiers sont réunies : le trouble invoqué constitue un trouble de droit, existant au moment de la vente et non déclaré à l’acquéreur. Elle écarte l’argument de la prescription acquisitive invoqué par la venderesse. Cependant, elle juge que la clause d’exclusion de garantie stipulée au contrat, prévoyant que les différences de surface feraient le profit ou la perte de l’acquéreur sans recours contre le vendeur, s’applique au litige et prive l’acquéreur de tout recours au titre de la garantie d’éviction.

Cette décision mérite examen tant au regard des conditions de mise en œuvre de la garantie d’éviction (I) que de l’effet des clauses contractuelles d’aménagement de cette garantie (II).

I. La reconnaissance des conditions de la garantie d’éviction du fait d’un tiers

La cour procède à une analyse rigoureuse des conditions légales de la garantie d’éviction (A) avant d’écarter l’exception de prescription acquisitive opposée par la venderesse (B).

A. La caractérisation du trouble de droit existant lors de la vente

La garantie d’éviction du fait d’un tiers, prévue aux articles 1625 et 1626 du code civil, suppose la réunion de trois conditions cumulatives. Le trouble subi par l’acquéreur doit constituer un trouble de droit, exister au moment de la vente et être inconnu de l’acheteur.

La cour rappelle cette exigence en visant expressément la jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle « la garantie d’éviction du fait d’un tiers est due si le trouble subi par l’acheteur est un trouble de droit existant au moment de la vente, non déclaré et ignoré de l’acheteur ». Elle précise que « le trouble subi doit être un trouble de droit ».

En l’espèce, la cour caractérise sans difficulté ces trois conditions. Elle relève que « le trouble invoqué par ce dernier constitue bien un trouble de droit puisque la remise en état du conduit considéré, partie commune, désormais effective ainsi qu’il l’établit, conduit à une emprise sur ses parties privatives ». Cette qualification est exacte : l’obligation de rétablir un conduit de fumée partie commune au sein d’un lot privatif constitue une atteinte juridique au droit de propriété de l’acquéreur.

La cour constate ensuite que « ce trouble existait au moment de la vente puisqu’il apparaît acquis que le conduit de fumée dont le syndicat a demandé le rétablissement avait été supprimé antérieurement à la vente, à une date et dans des conditions indéterminées ». L’antériorité du fait générateur du trouble par rapport à la vente suffit à caractériser cette condition, peu important que le trouble ne se soit manifesté que postérieurement.

Enfin, la cour note qu’« il n’est pas démontré que Mme [O] avait connaissance de cette situation lors de la vente » et que « l’acte authentique de vente ne contient par ailleurs aucune énonciation sur la suppression des deux conduits ». L’absence de déclaration du trouble à l’acquéreur est ainsi établie.

B. Le rejet de la prescription acquisitive des parties communes

La venderesse soutenait qu’au moment de la vente, elle avait acquis par prescription la propriété de l’espace libéré par la suppression du conduit, de sorte qu’aucune cause d’éviction n’existait lors de la cession.

La cour écarte cet argument en rappelant les exigences de l’article 2261 du code civil : « pour pouvoir prescrire, il faut une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire ».

L’arrêt relève que le rapport d’architecte évoquant des travaux réalisés « il y a plus de quinze ans » ne constitue qu’« une évaluation minimale de la date des travaux de bouchage des conduits ». La cour en déduit qu’« il ne peut être tirée la conclusion certaine que ces travaux ont été réalisés lorsque la mère de Mme [O], qui avait acquis les lots en 1997, était elle-même propriétaire des lots ».

La cour identifie surtout un défaut dans le caractère public de la possession. Elle observe que « l’absence de certitude quant à l’existence d’une action globale de bouchage de conduits menée par le syndicat des copropriétaires tend à exclure tout caractère publique de la jouissance de l’espace laissé libre par la suppression du conduit ». La prescription acquisitive est donc écartée, la venderesse « échouant à établir le caractère publique de cette possession dont elle invoque le caractère continu et paisible ».

Cette analyse est conforme aux exigences jurisprudentielles en matière de prescription acquisitive de parties communes. La possession doit être ostensible et connue des autres copropriétaires pour pouvoir être qualifiée de publique. Une annexion dissimulée à l’intérieur d’un lot privatif ne satisfait pas à cette condition.

II. L’effet de la clause contractuelle d’exclusion de garantie

La cour, après avoir reconnu les conditions de la garantie d’éviction, juge néanmoins que celle-ci est paralysée par une clause contractuelle (A), ce qui soulève la question de la portée de telles stipulations (B).

A. L’interprétation extensive de la clause relative aux différences de surface

L’article 1627 du code civil autorise les parties à aménager la garantie d’éviction voire à l’exclure totalement. La cour fait application de cette faculté en l’espèce.

L’acte de vente comportait une clause prévoyant que l’acquéreur prendrait le bien sans garantie notamment à raison « d’erreur ou d’omission dans la désignation » et que « la différence en plus ou en moins s’il en existe, entre la contenance sus-indiquée et celle réelle, excédât-elle un vingtième, devant faire le profit ou la perte de l’ACQUEREUR, sans aucun recours contre le VENDEUR ».

La cour interprète cette clause comme couvrant le litige. Elle juge qu’« il résulte ainsi sans ambiguité de ces stipulations contractuelles et plus particulièrement celles excluant la garantie du vendeur à raison de la différence en plus ou en moins entre la contenance sus-indiquée et celle réelle que les parties à l’acte de vente sont convenues d’une clause d’exclusion de garantie en cas de litiges affectant la surface de l’immeuble objet de la vente qu’elles qu’en soit les causes ».

Cette interprétation mérite discussion. La clause invoquée concerne les différences de surface et les erreurs de désignation. Or, le litige portait sur l’annexion d’une partie commune, ce qui n’est pas strictement identique à une simple différence de contenance. L’acquéreur soutenait d’ailleurs que « la notion de servitude est incompatible avec celle de partie commune au sein d’une copropriété » et que la clause d’exclusion devait être interprétée strictement.

La cour opte pour une lecture large de la clause, considérant que dès lors que le préjudice se traduit par une perte de surface, la clause trouve application. Cette solution est pragmatique mais peut être discutée au regard du principe d’interprétation stricte des clauses exonératoires.

B. Les limites de l’exclusion contractuelle de garantie

La solution retenue illustre les limites de la protection de l’acquéreur face aux clauses d’exclusion de garantie. Certes, l’article 1628 du code civil prévoit que le vendeur de mauvaise foi ne peut se prévaloir d’une clause d’exclusion de garantie. Toutefois, la cour relève qu’« aucune pièce produite ne démontre la connaissance, par la venderesse, de la suppression du conduit de fumée litigieux, au moment de la vente ».

L’acquéreur ne pouvait donc se prévaloir de la mauvaise foi du vendeur pour écarter la clause d’exclusion. La cour précise qu’« il ne peut lui être reproché de ne pas avoir livré une information qu’elle n’avait pas », écartant ainsi le grief tiré du manquement au devoir d’information.

L’arrêt laisse néanmoins entrevoir une difficulté. La cour avait reconnu que le trouble existait au moment de la vente et qu’il n’avait pas été déclaré. Ces conditions auraient dû permettre la mise en œuvre de la garantie d’éviction. Pourtant, la clause contractuelle neutralise cette garantie légale. L’acquéreur se trouve ainsi privé de tout recours alors même qu’il subit une éviction partielle de son bien du fait d’un droit préexistant d’un tiers.

Cette solution invite à la prudence lors de la rédaction des actes de vente. Les clauses de non-garantie relatives aux différences de surface peuvent avoir une portée plus large que celle initialement envisagée par les parties. L’acquéreur d’un lot de copropriété aurait intérêt à exiger une vérification préalable de la conformité des parties privatives au règlement de copropriété et à l’état descriptif de division, particulièrement lorsque des travaux anciens ont été réalisés dans le lot.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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