Cour d’appel de Toulouse, le 1 juillet 2025, n°24/03224

Le bail d’habitation à loyer modéré constitue un contrat social par excellence. La clause résolutoire qui y est insérée vise à protéger le bailleur contre les impayés, tout en ménageant au locataire un délai pour régulariser sa situation. L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Toulouse le 1er juillet 2025 illustre les difficultés d’appréciation de l’acquisition de cette clause lorsque les modalités d’imputation des paiements sont discutées.

Un office public d’HLM a consenti un bail d’habitation le 26 octobre 2016, moyennant un loyer mensuel hors charges de 309,46 euros. Des impayés étant survenus, un commandement de payer visant la clause résolutoire a été signifié le 30 janvier 2024 pour une somme de 87,35 euros. L’assignation en référé a été délivrée le 26 avril 2024. Le juge des contentieux de la protection a rejeté les demandes en résiliation et expulsion, considérant que la dette avait été soldée par le versement de l’aide personnalisée au logement. Il a toutefois condamné la locataire au paiement d’une provision de 1 173,55 euros. Le bailleur a interjeté appel.

La question posée à la Cour d’appel de Toulouse était de déterminer si les causes du commandement de payer avaient été soldées dans le délai de deux mois, compte tenu de l’imputation des versements d’allocation logement intervenue postérieurement à la délivrance dudit commandement.

La Cour d’appel de Toulouse infirme l’ordonnance entreprise. Elle constate l’acquisition de la clause résolutoire au 31 mars 2024 et ordonne l’expulsion de la locataire. Elle retient que « le versement d’allocation logement d’un montant de 229,77 euros intervenu le 31 janvier 2024 au titre du loyer imputé le même jour ne saurait constituer un paiement fait par le débiteur qui devrait par priorité être imputé sur la dette échue, cette allocation n’étant pas versée au titre d’un arriéré, mais en règlement partiel du loyer courant postérieur à la délivrance du commandement ».

Cet arrêt présente un intérêt certain en ce qu’il précise la distinction entre les versements effectués par le locataire et ceux provenant d’organismes tiers au regard des règles d’imputation des paiements. Il convient d’examiner successivement les conditions d’acquisition de la clause résolutoire (I), puis les conséquences tirées par la cour quant à l’imputation des versements d’allocation logement (II).

I. L’appréciation rigoureuse des conditions d’acquisition de la clause résolutoire

La Cour d’appel de Toulouse procède à une vérification méthodique des conditions de recevabilité de la procédure (A) avant d’analyser les conditions de fond de l’acquisition de la clause résolutoire (B).

A. Le contrôle préalable de la régularité procédurale

La cour vérifie en premier lieu le respect des formalités imposées par l’article 24 de la loi du 6 juillet 1989. Elle relève que le bailleur « a porté le commandement de payer du 30 janvier 2024 à la connaissance de la CCAPEX en date du 02 février 2024 » et qu’il a « adressé copie de l’assignation au représentant de l’État dans le département le 29 avril 2024 ».

Ces vérifications ne sont pas de pure forme. Le législateur a entendu, par ces signalements obligatoires, permettre aux autorités administratives d’intervenir en amont de l’expulsion. La commission de coordination des actions de prévention des expulsions locatives joue un rôle d’alerte et de médiation. Le délai de six semaines entre la délivrance de l’assignation et l’audience permet cette intervention préventive.

La cour note que les délais légaux ont été respectés. Elle en déduit que « les dispositions de l’article 24 II. et III. de la loi du 06 juillet 1989 ayant été respectées, la procédure est régulière et les demandes recevables ». Cette rigueur procédurale témoigne de l’attention portée par les juridictions aux garanties offertes au locataire défaillant avant toute mesure d’expulsion.

B. L’exigence d’un paiement effectif dans le délai du commandement

La cour rappelle le principe fondamental selon lequel « il appartient au locataire auquel est délivré un commandement de payer visant la clause résolutoire d’en solder les causes dans le délai imparti et de rapporter la preuve d’un paiement libératoire ». La charge de la preuve pèse donc sur le locataire.

En l’espèce, le premier juge avait estimé que la dette était soldée au 31 janvier 2024 par le versement de l’APL. La cour infirme cette analyse. Elle observe qu’un prélèvement de 106,38 euros du 12 février 2024 a été rejeté le 15 février suivant pour provision insuffisante. Elle en déduit que « la locataire n’a effectué aucun paiement pour solder la dette ».

La cour relève également que « postérieurement à la délivrance du commandement de payer, l’ensemble des prélèvements a été rejeté pour le même motif de provision insuffisante ». Cette accumulation de rejets démontre l’absence de toute volonté ou capacité de la locataire à honorer ses obligations. Le constat est sans appel : « à l’expiration du délai de deux mois suivant la délivrance du commandement, la locataire n’en avait pas soldé les causes ».

II. La distinction décisive entre paiements du débiteur et versements de tiers

La cour opère une distinction essentielle entre les règles d’imputation applicables aux paiements effectués par le débiteur lui-même et ceux provenant d’organismes tiers (A), avant de tirer les conséquences de cette qualification sur l’acquisition de la clause résolutoire (B).

A. L’inapplicabilité de l’article 1342-10 du code civil aux versements d’allocation logement

La cour énonce que « la règle posée par l’article 1342-10 du code civil selon laquelle en l’absence d’indication par le débiteur un paiement est par priorité imputé sur les dettes échues ne concerne que les paiements effectués par le débiteur ». Cette précision revêt une importance capitale.

L’allocation personnalisée au logement n’est pas versée par le locataire mais par un organisme social. Elle est calculée et attribuée au titre du loyer courant. La cour souligne que cette allocation n’est « pas versée au titre d’un arriéré, mais en règlement partiel du loyer courant postérieur à la délivrance du commandement ».

Cette analyse s’inscrit dans une logique cohérente. L’APL a pour fonction de permettre au locataire de faire face à son obligation mensuelle de paiement du loyer. Elle n’a pas vocation à apurer des dettes antérieures. Le locataire qui entend solder les causes d’un commandement doit effectuer lui-même un paiement spécifiquement affecté à cette fin. La cour refuse ainsi d’assimiler le versement d’une aide sociale à un paiement volontaire du débiteur susceptible d’imputation prioritaire sur la dette échue.

B. Les conséquences pratiques de la qualification retenue

La distinction opérée par la cour produit des effets considérables. En refusant d’imputer le versement de l’APL sur la dette visée au commandement, la cour maintient l’existence de cette dette au terme du délai de deux mois. La clause résolutoire est donc acquise.

La cour constate la résiliation du bail au 31 mars 2024 et ordonne l’expulsion. Elle condamne la locataire au paiement d’une indemnité d’occupation fixée « au montant du loyer et des charges tels qu’ils auraient été si le bail s’était poursuivi ». Cette indemnité court jusqu’au départ effectif de l’occupante.

La cour procède néanmoins à un examen critique du décompte produit par le bailleur. Elle retranche les frais d’enquête sociale indûment facturés, rappelant que l’article L. 441-9 du code de la construction et de l’habitation dispense le bailleur de cette formalité lorsque le locataire bénéficie de l’APL. Elle écarte également les frais de poursuite qui relèvent des dépens. Cette vigilance témoigne du souci de la cour de ne pas faire peser sur le locataire des charges injustifiées, malgré le prononcé de son expulsion.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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