Première chambre civile de la Cour de cassation, le 25 juin 2025, n°24-16.711

L’exigence de motivation de la déclaration d’appel en matière de rétention administrative des étrangers constitue une garantie procédurale essentielle. Elle vise à assurer l’efficacité du contrôle juridictionnel tout en préservant les droits fondamentaux des personnes retenues. La première chambre civile de la Cour de cassation, par un arrêt du 25 juin 2025, apporte une clarification décisive sur les conditions dans lesquelles le premier président peut déclarer irrecevable un appel formé contre une décision de prolongation de rétention.

Un ressortissant étranger en situation irrégulière a été placé en rétention administrative le 1er février 2024 en exécution d’une obligation de quitter le territoire français. Sa rétention a été prolongée une première fois pour vingt-huit jours par ordonnance du 3 février 2024. Le préfet a ensuite sollicité une nouvelle prolongation sur le fondement de l’article L. 742-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Par ordonnance du 3 mars 2024, le juge des libertés et de la détention a prolongé la rétention pour une durée de trente jours. L’intéressé a relevé appel de cette décision.

Le premier président de la cour d’appel de Douai, par ordonnance du 5 mars 2024, a déclaré cet appel irrecevable. Il a considéré que le moyen soulevé dans la déclaration d’appel, tiré de l’insuffisance de diligences de l’administration pour obtenir un laissez-passer consulaire et un vol, était irrecevable, concluant que l’appel était dénué de motivation.

L’étranger a formé un pourvoi en cassation. Il soutenait que le premier président ne pouvait constater l’irrecevabilité d’une déclaration d’appel que si celle-ci était totalement dépourvue de motivation. La pertinence du moyen invoqué ne devait pas entrer en considération à ce stade.

La question posée à la Cour de cassation était la suivante : le premier président peut-il déclarer irrecevable une déclaration d’appel au motif que le moyen qu’elle contient serait lui-même irrecevable, alors que cette déclaration comporte une motivation ?

La Cour de cassation casse l’ordonnance sans renvoi. Elle énonce que « seules peuvent être déclarées irrecevables par le premier président de la cour d’appel, par ordonnance motivée et sans avoir préalablement convoqué les parties, les déclarations d’appel manifestement irrecevables, telles que celles qui sont dépourvues de toute motivation, peu important leur pertinence ». Elle relève que la déclaration d’appel comportait bien un moyen et était donc motivée.

Cet arrêt invite à examiner les contours de l’exigence de motivation de la déclaration d’appel en matière de rétention administrative (I), avant d’analyser les limites du pouvoir de filtrage du premier président (II).

I. L’exigence de motivation de la déclaration d’appel : une condition formelle et non substantielle

A. Le cadre légal de la motivation obligatoire

L’article R. 743-11 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile impose que la déclaration d’appel contre une décision prolongeant la rétention soit motivée à peine d’irrecevabilité. Cette exigence répond à une logique de célérité propre au contentieux de la rétention. Les délais de jugement sont extrêmement brefs : le premier président doit statuer dans les quarante-huit heures suivant sa saisine. La motivation de l’appel permet au juge d’identifier immédiatement les griefs et de préparer son analyse.

La Cour de cassation rappelle dans l’arrêt commenté le triptyque normatif applicable : les articles L. 743-23, R. 743-11 et R. 743-14 du CESEDA. Ces textes organisent un mécanisme de filtrage des appels manifestement irrecevables. Le premier président peut rejeter ces déclarations « par ordonnance motivée et sans avoir préalablement convoqué les parties ». L’article R. 743-14 précise que sont manifestement irrecevables les déclarations d’appel non motivées.

L’exigence de motivation trouve sa justification dans la spécificité du contentieux de la liberté individuelle. Elle constitue un compromis entre la nécessité d’un contrôle juridictionnel effectif et l’impératif de rapidité. L’étranger retenu doit pouvoir contester la décision de prolongation. L’administration doit pouvoir exécuter les mesures d’éloignement dans des délais raisonnables. La motivation obligatoire permet de concilier ces deux impératifs.

B. La distinction entre absence de motivation et motivation insuffisante ou inopérante

L’apport essentiel de l’arrêt du 25 juin 2025 réside dans la clarification de la nature de l’exigence de motivation. La Cour de cassation pose une règle claire : seules les déclarations « dépourvues de toute motivation » peuvent être déclarées irrecevables par le premier président statuant sans convocation des parties. La pertinence de la motivation est indifférente à ce stade.

Cette distinction est fondamentale. Elle trace une frontière entre le contrôle formel et le contrôle substantiel. Le premier président, lorsqu’il exerce son pouvoir de filtrage, ne procède qu’à une vérification formelle. Il doit simplement constater si la déclaration d’appel contient ou non une motivation. Il ne lui appartient pas d’apprécier le bien-fondé des moyens invoqués.

En l’espèce, le premier président de la cour d’appel de Douai avait relevé que la déclaration d’appel contenait un moyen « tiré de l’insuffisance de diligences de l’administration pour obtenir un laissez-passer consulaire et un vol ». La déclaration comportait donc bien une motivation. Le premier président ne pouvait pas la déclarer irrecevable au motif que ce moyen serait lui-même irrecevable. Il confondait l’absence de motivation avec l’irrecevabilité du moyen.

II. Les limites du pouvoir de filtrage du premier président

A. L’interdiction de préjuger du fond sans débat contradictoire

La procédure de rejet des appels manifestement irrecevables, prévue à l’article L. 743-23 du CESEDA, constitue une dérogation au principe du contradictoire. Le premier président statue sans convoquer les parties. Cette faculté exceptionnelle doit être strictement encadrée pour préserver les droits de la défense.

La Cour de cassation, dans l’arrêt commenté, rappelle implicitement cette exigence. En déclarant l’appel irrecevable au motif que le moyen invoqué était lui-même irrecevable, le premier président a tranché une question de fond sans débat contradictoire. Il a préjugé de la recevabilité du moyen alors que cette appréciation supposait un examen au fond de l’affaire.

Le pouvoir de filtrage du premier président est un pouvoir de vérification formelle. Il peut constater l’absence totale de motivation. Il peut relever le dépassement du délai d’appel. Il peut identifier un défaut de qualité de l’appelant. En revanche, il ne peut pas apprécier la recevabilité ou le bien-fondé des moyens invoqués. Cette appréciation relève du jugement au fond et suppose le respect du contradictoire.

L’arrêt s’inscrit dans une jurisprudence constante protectrice de l’accès au juge. La Cour de cassation veille à ce que les mécanismes de filtrage procédural ne deviennent pas des obstacles disproportionnés à l’exercice des voies de recours. Cette vigilance est particulièrement nécessaire en matière de rétention administrative, où la liberté individuelle est en jeu.

B. La cassation sans renvoi : une solution pragmatique dictée par l’écoulement du temps

La Cour de cassation prononce une cassation sans renvoi. Elle relève que « les délais légaux pour statuer sur la mesure étant expirés, il ne reste plus rien à juger ». Cette solution illustre la spécificité temporelle du contentieux de la rétention administrative.

Les décisions de prolongation de rétention sont soumises à des durées limitées. Une fois ces délais expirés, la personne retenue doit être remise en liberté si aucune mesure d’éloignement n’a été exécutée. Le contrôle juridictionnel perd alors son objet immédiat. L’annulation de la décision n’emporte plus de conséquence pratique sur la situation de l’intéressé.

La cassation sans renvoi constitue néanmoins une sanction de l’irrégularité commise. Elle permet à la Cour de cassation d’énoncer le droit applicable et de rappeler les règles procédurales aux juridictions du fond. La décision a ainsi une portée normative qui dépasse le cas d’espèce.

Cette solution pragmatique témoigne également de la difficulté à articuler le temps du procès avec celui de la rétention. Le pourvoi en cassation, malgré la procédure accélérée applicable en la matière, intervient nécessairement après l’expiration des délais de rétention. L’arrêt commenté a été rendu le 25 juin 2025, soit plus d’un an après l’ordonnance cassée du 5 mars 2024. La Cour de cassation ne peut que constater l’absence de matière à juger et prononcer une cassation à visée exclusivement normative.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

Laisser un commentaire

En savoir plus sur Avocats en droit immobilier et droit des affaires - Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture