Cour d’appel de Agen, le 10 septembre 2025, n°24/00983

La résiliation du bail d’habitation pour défaut de paiement du loyer constitue un contentieux récurrent devant les juridictions civiles. La charge de la preuve des paiements libératoires incombe au débiteur, principe cardinal que la Cour d’appel d’Agen rappelle dans son arrêt du 10 septembre 2025.

En l’espèce, un couple de locataires avait pris à bail une maison d’habitation le 3 février 2019, moyennant un loyer mensuel de 620 euros outre 18 euros de charges provisionnelles. Un commandement de payer visant la clause résolutoire leur fut signifié le 24 août 2023, portant sur une somme de 3 260 euros d’arriérés locatifs. Les locataires n’ayant pas déféré à ce commandement, le bailleur les assigna devant le tribunal de proximité de Marmande le 16 novembre 2023 aux fins de voir constater l’acquisition de la clause résolutoire et obtenir leur expulsion.

Par jugement du 5 septembre 2024, le tribunal constata que les conditions d’acquisition de la clause résolutoire étaient réunies au 25 octobre 2023, ordonna l’expulsion des locataires et les condamna solidairement au paiement de l’arriéré locatif. Les locataires interjetèrent appel le 29 août 2024, contestant le montant de la dette qu’ils évaluaient à 2 241 euros et sollicitant un délai de trois ans pour s’acquitter de leur obligation. Le bailleur forma appel incident, demandant la condamnation des appelants aux frais irrépétibles.

La question posée à la Cour d’appel d’Agen était double. Il s’agissait de déterminer si les locataires rapportaient la preuve de paiements de nature à réduire le montant de leur dette locative et, subsidiairement, si leur situation justifiait l’octroi de délais de paiement.

La Cour d’appel confirma le jugement en toutes ses dispositions. Elle retint que « n’appartenant qu’au débiteur de prouver les paiements et non au créancier de fournir la preuve négative contraire, la seule production par les époux [locataires] de leur propre décompte unilatéral est impuissante à rapporter la preuve, tant du montant discordant de leur dette, que de leurs paiements divergents avec le commandement de payer ». Elle refusa également d’accorder des délais de délaissement au regard des retards injustifiés dans le paiement depuis la résiliation, de la non-réaction au commandement et de la situation personnelle du bailleur.

Cette décision invite à examiner successivement la rigueur probatoire imposée au débiteur d’une obligation de paiement (I), puis l’appréciation restrictive des délais de grâce en matière de bail d’habitation (II).

I. L’exigence probatoire pesant sur le locataire débiteur

La Cour d’appel d’Agen rappelle avec fermeté le principe de la charge de la preuve du paiement (A), avant d’en tirer les conséquences sur la valeur probante des décomptes unilatéraux produits par le débiteur (B).

A. Le rappel du principe de la charge de la preuve du paiement

L’arrêt énonce que « n’appartenant qu’au débiteur de prouver les paiements et non au créancier de fournir la preuve négative contraire ». Cette formulation reprend le principe consacré par l’article 1353 du Code civil, selon lequel celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation.

En matière de bail, ce principe revêt une importance particulière. Le locataire qui conteste le montant des arriérés réclamés ne peut se contenter d’alléguer des paiements. Il doit en rapporter la preuve par tous moyens admissibles. La Cour relève que les preneurs « allèguent 700 euros de règlements en 2025 sans en justifier sur pièces ». L’allégation dépourvue de justificatif demeure inopérante.

Cette position s’inscrit dans une jurisprudence constante de la Cour de cassation. Le paiement étant un fait juridique, sa preuve peut certes être rapportée par tous moyens, mais encore faut-il que des éléments probants soient effectivement produits. La simple affirmation du débiteur ne saurait suffire à renverser les éléments avancés par le créancier.

B. L’insuffisance du décompte unilatéral comme mode de preuve

La Cour juge que « la seule production par les époux [locataires] de leur propre décompte unilatéral est impuissante à rapporter la preuve ». Cette formulation souligne l’absence de force probante d’un document établi par la partie qui s’en prévaut.

Le décompte unilatéral procède d’une déclaration que le débiteur se fait à lui-même. Il ne constitue pas une preuve au sens juridique du terme, faute d’émanation du créancier ou d’un tiers. Les locataires auraient dû produire des relevés bancaires, des quittances signées par le bailleur ou tout autre élément objectif corroborant leurs allégations.

Cette exigence probatoire protège le créancier contre les contestations dilatoires. Elle incite le débiteur à conserver les justificatifs de ses paiements tout au long de la relation contractuelle. En l’espèce, l’écart entre le montant réclamé par le bailleur et celui reconnu par les locataires rendait d’autant plus nécessaire la production de preuves tangibles.

II. Le refus des délais de grâce fondé sur le comportement du locataire

La Cour d’appel apprécie strictement les conditions d’octroi des délais de paiement (A) et prend en considération la situation personnelle du bailleur (B).

A. L’appréciation stricte des conditions d’octroi des délais

L’article 1343-5 du Code civil permet au juge d’accorder des délais de paiement au débiteur malheureux et de bonne foi. La Cour d’appel d’Agen refuse d’en faire application aux locataires au motif des « retards injustifiés dans le paiement des loyers dus depuis la date de la résiliation, il y a 21 mois, la non-réaction au commandement et l’absence d’efforts de règlements ».

Ces éléments caractérisent un comportement incompatible avec la notion de bonne foi exigée par le texte. Le locataire qui sollicite des délais doit démontrer qu’il a accompli des efforts sérieux pour honorer ses obligations. En l’espèce, le défaut de réaction au commandement de payer et l’absence de paiements significatifs depuis la résiliation révèlent une inertie préjudiciable.

La Cour relève également que les locataires « offrent 81 euros par mois de régularisation sous réserve implicite de rester dans les lieux » sans engagement sur les loyers courants. Cette proposition insuffisante ne traduit pas la volonté sincère de s’acquitter de la dette. Elle démontre au contraire l’absence de perspective réaliste d’apurement.

B. La prise en compte de la situation du bailleur

La Cour justifie également son refus par « le grand âge du bailleur né en 1939, agriculteur retraité au revenu monétaire très limité avec le besoin de relouer ». Cette motivation révèle une appréciation globale des intérêts en présence.

L’octroi de délais de grâce ne doit pas porter une atteinte disproportionnée aux droits du créancier. Le bailleur âgé de plus de quatre-vingt-cinq ans au moment de l’arrêt dispose de revenus limités. Le maintien dans les lieux de locataires défaillants le prive des ressources nécessaires à sa subsistance et l’empêche de relouer le bien.

Cette prise en considération de la situation personnelle du bailleur s’inscrit dans une appréciation équilibrée du contentieux locatif. Le juge ne peut accorder des délais au débiteur sans mesurer les conséquences de cette décision sur le créancier. En l’espèce, la vulnérabilité économique du bailleur justifiait pleinement le rejet de la demande de délais.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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