Tribunal judiciaire de Versailles, le 19 juin 2025, n°25/00268
Le contentieux lié aux études géotechniques préalables à la construction soulève des questions récurrentes quant aux conditions de mise en œuvre des mesures d’instruction in futurum. L’ordonnance de référé rendue par le Tribunal judiciaire de Versailles le 19 juin 2025 en offre une illustration significative.
Des acquéreurs d’un terrain à bâtir ont découvert, postérieurement à leur acquisition, une contradiction entre deux études géotechniques successives, l’une réalisée par une première société de diagnostic, l’autre par un second bureau d’études. Cette discordance a engendré un surcoût substantiel de travaux confortatifs, évalué à près de 94 000 euros, pris en charge par le vendeur et le constructeur aux termes d’un protocole transactionnel. Les acquéreurs, aux côtés du vendeur intervenant volontairement, ont sollicité une expertise judiciaire à l’encontre des deux sociétés ayant réalisé les études litigieuses. Celles-ci ont demandé leur mise hors de cause, contestant l’existence d’un motif légitime et invoquant, pour l’une d’elles, l’absence de lien contractuel avec les demandeurs. Le juge des référés devait déterminer si les conditions de l’article 145 du code de procédure civile étaient réunies, notamment au regard de la recevabilité de l’action envisagée par des tiers au contrat d’étude géotechnique. L’ordonnance rejette les demandes de mise hors de cause et ordonne l’expertise sollicitée, aux frais des demandeurs et de l’intervenant volontaire.
Cette décision invite à examiner les conditions d’admission de la mesure d’instruction in futurum (I), avant d’en apprécier la portée quant à la qualité à agir des demandeurs (II).
I. Les conditions d’admission de la mesure d’instruction in futurum
La recevabilité de la demande d’expertise suppose l’établissement d’un motif légitime (A), lequel doit être apprécié au regard de la crédibilité du litige potentiel (B).
A. L’exigence d’un motif légitime préalablement établi
L’article 145 du code de procédure civile autorise le juge à ordonner des mesures d’instruction « s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige ». L’ordonnance rappelle avec netteté cette exigence fondamentale. Le demandeur n’a pas à démontrer l’existence des faits qu’il allègue, puisque la mesure sollicitée vise précisément à les établir. Il lui incombe toutefois de « justifier d’éléments rendant crédibles ses suppositions ».
En l’espèce, la contradiction manifeste entre les deux rapports géotechniques successifs et le surcoût considérable qui en est résulté constituent des éléments suffisamment tangibles. Le juge relève que les rapports ont été « réalisés antérieurement à la vente litigieuse » et communiqués aux acquéreurs, établissant ainsi un lien factuel entre les études contestées et le préjudice allégué. La mesure apparaît « pertinente et utile » au sens de la jurisprudence constante en la matière.
B. L’appréciation de la crédibilité du litige potentiel
L’ordonnance précise que « le litige potentiel n’est pas manifestement voué à l’échec ». Cette formulation négative traduit le standard probatoire applicable en référé. Le juge ne préjuge pas du fond mais vérifie seulement que l’action envisagée n’est pas dépourvue de toute chance de succès.
La société ayant réalisé la première étude géotechnique invoquait son absence de lien contractuel avec les acquéreurs pour solliciter sa mise hors de cause. Le juge écarte cette objection en relevant qu’« il n’est pas établi avec l’évidence requise en référé qu’une action à son encontre serait vouée à l’échec ». L’appréciation de la recevabilité de l’action des tiers au contrat relève du fond et ne saurait être tranchée au stade du référé probatoire.
La qualité à agir des demandeurs méritait cependant un examen approfondi, que l’ordonnance aborde sous l’angle du fondement juridique invocable.
II. La portée de l’ordonnance quant à la qualité à agir des demandeurs
L’ordonnance consacre la faculté pour les tiers au contrat d’invoquer un manquement contractuel (A), tout en préservant l’ensemble des droits des parties pour le procès au fond (B).
A. La reconnaissance du fondement délictuel au profit des tiers
L’ordonnance fait expressément référence au « principe selon lequel le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage ». Cette mention, bien que tronquée dans la décision reproduite, renvoie à la jurisprudence de l’Assemblée plénière de la Cour de cassation du 6 octobre 2006.
Cette solution, désormais classique, permet aux acquéreurs d’un terrain de rechercher la responsabilité du bureau d’études géotechniques avec lequel ils n’ont pas contracté. Le manquement invoqué réside dans la discordance entre les conclusions de l’étude initiale et la réalité du sol, révélée par l’étude contradictoire ultérieure. Le dommage allégué correspond au surcoût des travaux confortatifs rendus nécessaires.
L’intervention volontaire du vendeur à l’instance présente un intérêt particulier. Celui-ci, ayant supporté une partie du surcoût aux termes du protocole transactionnel, dispose d’un intérêt propre à l’établissement des responsabilités. L’ordonnance lui reconnaît un « motif légitime à pouvoir opposer » les résultats de l’expertise, préservant ainsi ses droits pour une éventuelle action récursoire.
B. La préservation des droits des parties pour le procès au fond
L’ordonnance rappelle avec fermeté que « l’application de cet article n’implique aucun préjugé sur la responsabilité des parties appelées à la procédure, ni sur les chances de succès du procès susceptible d’être ultérieurement engagé ». Cette précaution, rituelle en matière de référé probatoire, conserve toute sa pertinence.
La mise des frais d’expertise à la charge des demandeurs et de l’intervenant volontaire traduit cette neutralité. Le juge rappelle que « la partie qui est invitée par la présente décision à faire l’avance des honoraires de l’expert n’est pas nécessairement celle qui en supportera la charge finale ». Le rejet des demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile procède de la même logique d’équilibre.
La mission confiée à l’expert apparaît exhaustive. Elle porte sur l’analyse des études géotechniques, la détermination des insuffisances éventuelles, l’évaluation des préjudices et la fourniture de tous éléments permettant à la juridiction du fond de statuer sur les responsabilités. L’expertise ainsi ordonnée constituera le socle probatoire du litige à venir, sans préjuger de son issue.
Le contentieux lié aux études géotechniques préalables à la construction soulève des questions récurrentes quant aux conditions de mise en œuvre des mesures d’instruction in futurum. L’ordonnance de référé rendue par le Tribunal judiciaire de Versailles le 19 juin 2025 en offre une illustration significative.
Des acquéreurs d’un terrain à bâtir ont découvert, postérieurement à leur acquisition, une contradiction entre deux études géotechniques successives, l’une réalisée par une première société de diagnostic, l’autre par un second bureau d’études. Cette discordance a engendré un surcoût substantiel de travaux confortatifs, évalué à près de 94 000 euros, pris en charge par le vendeur et le constructeur aux termes d’un protocole transactionnel. Les acquéreurs, aux côtés du vendeur intervenant volontairement, ont sollicité une expertise judiciaire à l’encontre des deux sociétés ayant réalisé les études litigieuses. Celles-ci ont demandé leur mise hors de cause, contestant l’existence d’un motif légitime et invoquant, pour l’une d’elles, l’absence de lien contractuel avec les demandeurs. Le juge des référés devait déterminer si les conditions de l’article 145 du code de procédure civile étaient réunies, notamment au regard de la recevabilité de l’action envisagée par des tiers au contrat d’étude géotechnique. L’ordonnance rejette les demandes de mise hors de cause et ordonne l’expertise sollicitée, aux frais des demandeurs et de l’intervenant volontaire.
Cette décision invite à examiner les conditions d’admission de la mesure d’instruction in futurum (I), avant d’en apprécier la portée quant à la qualité à agir des demandeurs (II).
I. Les conditions d’admission de la mesure d’instruction in futurum
La recevabilité de la demande d’expertise suppose l’établissement d’un motif légitime (A), lequel doit être apprécié au regard de la crédibilité du litige potentiel (B).
A. L’exigence d’un motif légitime préalablement établi
L’article 145 du code de procédure civile autorise le juge à ordonner des mesures d’instruction « s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige ». L’ordonnance rappelle avec netteté cette exigence fondamentale. Le demandeur n’a pas à démontrer l’existence des faits qu’il allègue, puisque la mesure sollicitée vise précisément à les établir. Il lui incombe toutefois de « justifier d’éléments rendant crédibles ses suppositions ».
En l’espèce, la contradiction manifeste entre les deux rapports géotechniques successifs et le surcoût considérable qui en est résulté constituent des éléments suffisamment tangibles. Le juge relève que les rapports ont été « réalisés antérieurement à la vente litigieuse » et communiqués aux acquéreurs, établissant ainsi un lien factuel entre les études contestées et le préjudice allégué. La mesure apparaît « pertinente et utile » au sens de la jurisprudence constante en la matière.
B. L’appréciation de la crédibilité du litige potentiel
L’ordonnance précise que « le litige potentiel n’est pas manifestement voué à l’échec ». Cette formulation négative traduit le standard probatoire applicable en référé. Le juge ne préjuge pas du fond mais vérifie seulement que l’action envisagée n’est pas dépourvue de toute chance de succès.
La société ayant réalisé la première étude géotechnique invoquait son absence de lien contractuel avec les acquéreurs pour solliciter sa mise hors de cause. Le juge écarte cette objection en relevant qu’« il n’est pas établi avec l’évidence requise en référé qu’une action à son encontre serait vouée à l’échec ». L’appréciation de la recevabilité de l’action des tiers au contrat relève du fond et ne saurait être tranchée au stade du référé probatoire.
La qualité à agir des demandeurs méritait cependant un examen approfondi, que l’ordonnance aborde sous l’angle du fondement juridique invocable.
II. La portée de l’ordonnance quant à la qualité à agir des demandeurs
L’ordonnance consacre la faculté pour les tiers au contrat d’invoquer un manquement contractuel (A), tout en préservant l’ensemble des droits des parties pour le procès au fond (B).
A. La reconnaissance du fondement délictuel au profit des tiers
L’ordonnance fait expressément référence au « principe selon lequel le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage ». Cette mention, bien que tronquée dans la décision reproduite, renvoie à la jurisprudence de l’Assemblée plénière de la Cour de cassation du 6 octobre 2006.
Cette solution, désormais classique, permet aux acquéreurs d’un terrain de rechercher la responsabilité du bureau d’études géotechniques avec lequel ils n’ont pas contracté. Le manquement invoqué réside dans la discordance entre les conclusions de l’étude initiale et la réalité du sol, révélée par l’étude contradictoire ultérieure. Le dommage allégué correspond au surcoût des travaux confortatifs rendus nécessaires.
L’intervention volontaire du vendeur à l’instance présente un intérêt particulier. Celui-ci, ayant supporté une partie du surcoût aux termes du protocole transactionnel, dispose d’un intérêt propre à l’établissement des responsabilités. L’ordonnance lui reconnaît un « motif légitime à pouvoir opposer » les résultats de l’expertise, préservant ainsi ses droits pour une éventuelle action récursoire.
B. La préservation des droits des parties pour le procès au fond
L’ordonnance rappelle avec fermeté que « l’application de cet article n’implique aucun préjugé sur la responsabilité des parties appelées à la procédure, ni sur les chances de succès du procès susceptible d’être ultérieurement engagé ». Cette précaution, rituelle en matière de référé probatoire, conserve toute sa pertinence.
La mise des frais d’expertise à la charge des demandeurs et de l’intervenant volontaire traduit cette neutralité. Le juge rappelle que « la partie qui est invitée par la présente décision à faire l’avance des honoraires de l’expert n’est pas nécessairement celle qui en supportera la charge finale ». Le rejet des demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile procède de la même logique d’équilibre.
La mission confiée à l’expert apparaît exhaustive. Elle porte sur l’analyse des études géotechniques, la détermination des insuffisances éventuelles, l’évaluation des préjudices et la fourniture de tous éléments permettant à la juridiction du fond de statuer sur les responsabilités. L’expertise ainsi ordonnée constituera le socle probatoire du litige à venir, sans préjuger de son issue.