Cour d’appel de Reims, le 8 juillet 2025, n°24/00967

Le régime probatoire des actes sous signature privée constatant l’engagement unilatéral de payer une somme d’argent constitue un terrain de contentieux récurrent. La cour d’appel de Reims, par un arrêt du 8 juillet 2025, vient rappeler les exigences formelles posées par l’article 1376 du code civil et leurs conséquences sur la charge de la preuve.

Un particulier avait été mandaté par une société de vente automobile pour prendre livraison d’un véhicule acquis auprès d’un tiers. Ayant refusé cette livraison en raison de la non-conformité du bien, il s’était néanmoins vu réclamer le remboursement du prix versé par la société mandante. Celle-ci se prévalait d’un document intitulé « attestation de remboursement », portant une signature attribuée au mandataire et comportant la mention manuscrite « lu approuvé bon accord ». Le particulier avait versé la somme réclamée avant d’en solliciter la restitution en justice, contestant tant la validité du document que sa signature.

Le tribunal judiciaire de Reims, par jugement du 15 avril 2024, avait débouté le demandeur de l’ensemble de ses prétentions. Celui-ci a interjeté appel.

La question posée à la cour était de déterminer si le document produit par la société pouvait valoir preuve de l’obligation de paiement du particulier ou, à défaut, si le paiement intervenu était dépourvu de cause.

La cour d’appel de Reims infirme le jugement sur ce point. Elle retient que « ce document ne remplit pas les conditions prévues par l’article 1376 du code civil pour les actes sous signature privée par lequel une seule partie s’engage envers une autre à lui payer une somme d’argent » dès lors qu’il « ne comporte pas la mention écrite par ce dernier de la somme en toutes lettres et en chiffres ». Elle ajoute que l’acte litigieux ne peut « tout au plus valoir que comme commencement de preuve par écrit » et qu’« aucun autre élément ne vient en corroborer les termes ». La société est condamnée à restituer la somme perçue.

Cette décision invite à examiner les conditions de validité formelle de la reconnaissance de dette (I), avant d’analyser les conséquences de leur méconnaissance sur la charge de la preuve (II).

I. Les exigences formelles de l’article 1376 du code civil

La rigueur du formalisme probatoire (A) conduit à une qualification restrictive de l’acte litigieux (B).

A. La double mention manuscrite comme condition de validité

L’article 1376 du code civil impose que l’acte sous signature privée par lequel une seule partie s’engage à payer une somme d’argent comporte « la mention, écrite par elle-même, de la somme en toutes lettres et en chiffres ». Cette exigence vise à garantir que le souscripteur a pleinement conscience de la portée de son engagement.

La cour relève que le document produit comportait certes une signature précédée de la mention « lu approuvé bon accord », mais qu’il ne satisfaisait pas à l’exigence de la double mention. La seule indication du montant dans le corps du texte, rédigé par le créancier prétendu, ne supplée pas l’absence de mention manuscrite émanant du débiteur lui-même.

Cette position s’inscrit dans une jurisprudence constante de la Cour de cassation, qui refuse toute équivalence entre les mentions dactylographiées et les mentions manuscrites exigées par le texte. Le formalisme de l’article 1376 n’est pas purement probatoire : il remplit une fonction de protection du consentement, en obligeant celui qui s’engage à matérialiser personnellement l’étendue de son obligation.

B. La qualification résiduelle de commencement de preuve par écrit

Faute de satisfaire aux conditions légales, l’acte ne peut valoir reconnaissance de dette au sens de l’article 1376. La cour lui reconnaît néanmoins la qualité de « commencement de preuve par écrit », conformément à l’article 1362 du code civil.

Cette qualification n’est pas sans portée. Le commencement de preuve par écrit rend admissible la preuve testimoniale ou par présomptions, dès lors qu’il émane de celui contre lequel la demande est formée et qu’il rend vraisemblable le fait allégué. La cour précise toutefois qu’en l’espèce, « aucun autre élément ne vient en corroborer les termes ».

La société créancière se trouvait ainsi dans une situation probatoire défavorable. Le document qu’elle produisait était insuffisant à lui seul, et les éléments extrinsèques qu’elle invoquait ne venaient pas conforter sa thèse. La qualification de commencement de preuve par écrit, loin de sauver sa position, révélait au contraire les lacunes de son dossier.

II. Les conséquences probatoires de l’irrégularité formelle

L’échec de la preuve de l’obligation (A) conduit à la restitution des sommes versées sans cause (B).

A. L’absence de preuve de l’obligation du débiteur prétendu

La société invoquait deux fondements alternatifs pour justifier la créance : soit une vente du véhicule au profit du particulier, soit un prêt destiné à financer cette acquisition. La cour écarte successivement ces deux thèses.

Elle relève que « le bon de commande établi par la société La Pyramide de l’automobile » désignait la société défenderesse comme acquéreur, « ce qui contredit les termes de l’attestation de remboursement ». La plainte déposée par le gérant confirmait également que « le véhicule a été acquis par cette dernière ». La cour en déduit que « l’obligation de payer de M. [C] ne peut se justifier par la vente dudit véhicule au profit de ce dernier ou un prêt de la somme nécessaire à son acquisition ».

La société tentait encore de démontrer une reconnaissance de responsabilité du particulier en se prévalant de la saisine d’un huissier de justice. La cour neutralise cet argument en relevant que la sommation de payer produite mentionnait expressément que le dossier avait été confié par la société elle-même, et non par le particulier. Ces éléments « ne permettent donc pas d’établir une quelconque reconnaissance de responsabilité ».

B. La restitution fondée sur l’absence de cause du paiement

L’échec de la preuve de l’obligation emporte une conséquence directe : le paiement intervenu se trouve dépourvu de cause. La cour constate que la société « ne conteste pas avoir reçu la somme de 4 247.60 euros » réclamée par le demandeur.

La restitution s’impose dès lors que le créancier apparent ne parvient pas à justifier le titre en vertu duquel il a reçu le paiement. Le particulier avait versé cette somme sous la pression d’une prétendue reconnaissance de dette dont la validité formelle était contestée et dont le fondement matériel n’était pas établi.

La cour fait droit à la demande de restitution et y ajoute les intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure. Cette solution rappelle que le formalisme probatoire n’est pas une simple contrainte procédurale : il conditionne l’efficacité de l’acte et, partant, le succès de l’action en paiement. Le créancier qui néglige ces exigences s’expose non seulement au rejet de sa demande, mais également à la restitution des sommes qu’il aurait perçues sur un fondement juridiquement fragile.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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