Cour d’appel de Cayenne, le 30 juin 2025, n°22/00220

La cour d’appel de Cayenne, dans un arrêt du 30 juin 2025, se prononce sur l’existence d’une servitude de passage au sein d’un lotissement ainsi que sur la recevabilité d’une demande indemnitaire fondée sur le trouble anormal de voisinage.

Une société de promotion immobilière avait édifié un lotissement de cent vingt-sept villas réparties en deux tranches. L’un des lots fut cédé à un acquéreur. Après achèvement des travaux, une association syndicale libre fut constituée au début de l’année 2014 pour gérer les équipements communs. Des propriétaires de parcelles adjacentes au lotissement prétendaient bénéficier d’un droit de passage sur la voirie interne, ce que contestait l’acquéreur d’un lot qui les assigna aux fins de faire juger l’absence de toute servitude et d’obtenir réparation d’un préjudice de jouissance.

Par jugement du 23 mars 2022, le tribunal judiciaire de Cayenne rejeta la demande des propriétaires adjacents tendant à la reconnaissance d’une servitude de passage et les condamna solidairement au paiement de cinq mille euros de dommages et intérêts en réparation du trouble de voisinage. Les propriétaires déboutés interjetèrent appel.

La question posée à la cour était double. Il s’agissait d’abord de déterminer si les appelants pouvaient se prévaloir d’une servitude de passage sur la voirie du lotissement, que ce soit par titre, par destination du père de famille ou par l’effet de la loi en raison d’un prétendu enclavement. Il convenait ensuite d’apprécier si l’intimé, propriétaire d’un lot mais dépourvu de tout droit réel sur les parties communes du lotissement, était fondé à solliciter réparation d’un trouble de voisinage.

La cour d’appel confirme le rejet des prétentions relatives à la servitude de passage. Elle infirme en revanche la condamnation des appelants au titre du trouble de voisinage, en retenant que l’intimé ne disposait d’aucun droit sur la voirie du lotissement et qu’aucun élément ne permettait de caractériser les troubles allégués.

L’arrêt illustre l’exigence probatoire pesant sur celui qui revendique une servitude de passage (I) et précise les conditions de recevabilité de l’action en réparation du trouble anormal de voisinage (II).

I. Le rejet de la servitude de passage faute de preuve suffisante

La cour examine successivement les trois fondements invoqués par les appelants pour revendiquer un droit de passage, écartant tant la servitude légale d’enclave (A) que la servitude conventionnelle ou par destination du père de famille (B).

A. L’absence d’enclavement caractérisée

Les appelants se prévalaient des dispositions de l’article 682 du code civil qui permettent au propriétaire d’un fonds enclavé de réclamer un passage sur les fonds voisins. La cour rappelle que « pour déterminer l’enclave du fonds, il convient de vérifier si la voie est ouverte au public et permet au propriétaire d’accéder à son fonds ». L’examen des titres révèle que les parcelles litigieuses bénéficiaient déjà d’un accès à la route nationale par une voie existante. Le constat d’huissier et les photographies produites ne permettaient pas « d’établir que le passage qu’ils empruntaient antérieurement n’est pas suffisant pour leurs besoins ».

L’enclavement suppose une absence totale d’issue ou une issue insuffisante pour l’exploitation normale du fonds. La jurisprudence de la Cour de cassation a précisé que l’enclave doit s’apprécier objectivement et que la simple commodité ou préférence du propriétaire ne saurait la caractériser. En l’espèce, les appelants avaient loué certains de leurs biens immobiliers sans produire d’élément démontrant des difficultés de passage des locataires par la voie existante.

La solution retenue s’inscrit dans une appréciation stricte de l’enclavement. Elle rappelle que le propriétaire qui dispose d’un accès, fût-il moins commode qu’un autre itinéraire, ne peut prétendre à l’ouverture d’un passage sur le fonds d’autrui.

B. Le défaut de titre établissant la servitude conventionnelle

Les appelants invoquaient également l’existence d’une servitude par titre et par destination du père de famille. La cour relève qu’ils « ne produisent aucun titre qui ferait apparaître qu’un droit de passage sur la [voie litigieuse] leur serait conféré ». Ils ne justifiaient que d’un droit de passage pour rejoindre la route nationale par une autre voie du lotissement.

Concernant la destination du père de famille, l’article 693 du code civil exige la preuve que les deux fonds ont appartenu au même propriétaire et que celui-ci a mis les choses dans l’état duquel résulte la servitude. Cette double condition n’était pas établie.

La servitude de passage, en tant que servitude discontinue, ne peut s’établir que par titre conformément à l’article 691 du code civil. La possession trentenaire, admise pour les servitudes continues et apparentes, ne saurait suppléer l’absence de convention. L’arrêt confirme ainsi l’exigence d’un titre constitutif clair et non équivoque.

II. L’irrecevabilité de l’action en réparation du trouble de voisinage

La cour infirme la condamnation prononcée en première instance en examinant la qualité pour agir de l’intimé (A) avant de constater l’absence de preuve du trouble allégué (B).

A. Le défaut de qualité à agir du propriétaire d’un lot

La cour relève que l’intimé, « en sa qualité de propriétaire d’un bien dans le lotissement desservi par la [voie litigieuse], ne dispose d’aucun droit sur la partie commune du lotissement ». Elle précise qu’il « n’est aucunement propriétaire de la voirie du lotissement, ni en totalité, partiellement ou en indivision ».

La théorie des troubles anormaux de voisinage suppose que celui qui s’en prévaut dispose d’un droit sur le bien affecté par les nuisances. Le simple usage d’une voirie collective ne confère pas au propriétaire d’un lot individuel la qualité pour agir en réparation des désagréments affectant cette voirie. La gestion des parties communes relève de l’association syndicale libre, seule habilitée à défendre les intérêts collectifs.

Cette solution s’inscrit dans la lignée de la jurisprudence qui distingue le droit de jouissance attaché à la propriété d’un lot du droit de propriété sur les équipements communs. Le copropriétaire ou le membre d’une association syndicale ne peut se substituer à l’organe collectif pour exercer une action relative aux parties communes.

B. L’absence de caractérisation du trouble anormal

La cour constate qu’aucun élément « ne permet de caractériser les troubles de voisinages allégués ». Les photographies produites révélaient seulement « un usage de la voirie du lotissement qui n’apparaît pas susceptible de mettre en danger les riverains ou de causer des troubles préjudiciables ».

Le trouble anormal de voisinage suppose la démonstration d’une nuisance excédant les inconvénients normaux du voisinage. La simple circulation de véhicules sur une voie de desserte ne constitue pas en soi un trouble indemnisable. L’intimé invoquait les désagréments résultant de la transformation d’une impasse en voie de circulation empruntée par des locataires. Cette allégation ne suffisait pas à établir l’existence d’un préjudice réparable.

La responsabilité pour trouble de voisinage obéit à un régime autonome fondé sur le dépassement du seuil de tolérance entre voisins. Elle ne requiert pas la démonstration d’une faute mais impose la preuve d’un trouble excédant les inconvénients ordinaires. En l’absence d’une telle preuve, la demande indemnitaire ne pouvait prospérer.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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