L’ordonnance rendue le 5 août 2025 par le juge des référés du Conseil d’État précise l’étendue de la compétence administrative lors d’une procédure d’expulsion. Ce litige naît de la libération forcée de parcelles faisant l’objet d’une réserve foncière pour la sauvegarde d’espaces naturels. Des ordonnances d’expropriation puis des arrêts ordonnant l’expulsion ont été rendus par la Cour d’appel de Versailles le 12 septembre 2024 et le 16 janvier 2025. Le préfet a accordé le concours de la force publique pour exécuter ces décisions de justice le 24 juin 2025.
Saisi sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté la requête le 7 juillet 2025. Entre-temps, le juge de l’exécution a annulé l’expulsion de certains occupants par un jugement du 18 juillet 2025. Les requérants demandent au Conseil d’État d’enjoindre à l’administration de les réintégrer dans les lieux et de restituer leurs biens meubles. La question posée porte sur la compétence du juge administratif pour statuer sur les conséquences d’une expulsion menée en vertu d’un titre judiciaire.
Le Conseil d’État annule l’ordonnance de première instance et rejette la demande pour incompétence. Il souligne que les contestations relatives aux opérations d’expulsion relèvent exclusivement du juge de l’exécution. L’analyse de cette solution implique d’étudier l’incompétence du juge administratif face aux titres judiciaires (I), avant d’envisager la compétence exclusive du juge de l’exécution (II).
**I. L’incompétence du juge administratif face à l’exécution des titres judiciaires d’expulsion**
Le Conseil d’État rappelle d’abord qu’il « n’appartient pas au juge des référés (…) d’apprécier le bien-fondé » d’une décision de justice. Cette réserve garantit le principe de séparation des pouvoirs en empêchant l’administration ou son juge de censurer l’autorité judiciaire.
**A. L’impossibilité de contrôler les titres d’expulsion judiciaires** L’intervention du préfet se limite ici à prêter le concours de la force publique pour l’exécution d’actes juridictionnels définitifs. Le juge administratif ne peut pas suspendre l’octroi de cette force publique en critiquant le fondement même de l’expulsion ordonnée par les juges du fond. Il vérifie seulement si des « considérations impérieuses tenant à la sauvegarde de l’ordre public » ou à la dignité humaine justifient un refus de concours. En l’espèce, les opérations étant achevées, le juge constate que les conclusions tendant à l’interruption des opérations sont devenues sans objet.
**B. Le maintien de la séparation des ordres de juridiction** La demande de réintégration formulée par les requérants se heurte frontalement à la nature judiciaire des décisions ayant fondé l’éviction. Le Conseil d’État précise que le juge administratif ne peut prescrire des mesures de sauvegarde que si l’administration porte une atteinte illégale à une liberté. Lorsque l’acte administratif se borne à prêter main-forte à une décision de justice, le litige change de nature. La haute juridiction administrative refuse ainsi de transformer le référé-liberté en une voie de recours contre l’exécution des décisions judiciaires.
**II. La compétence exclusive du juge de l’exécution pour la protection des droits de l’exproprié**
La solution repose sur une lecture stricte du code des procédures civiles d’exécution qui centralise le contentieux de l’expulsion immobilière. L’unité du bloc de compétence judiciaire assure une cohérence nécessaire à la protection des droits des personnes évincées de leur domicile.
**A. La plénitude de juridiction du juge judiciaire sur les effets de l’expulsion** Selon l’article R. 442-1 du code précité, les « contestations relatives à l’application » des mesures d’expulsion relèvent du juge de l’exécution. Ce magistrat est seul apte à juger de la régularité des opérations menées et à en tirer les conséquences juridiques appropriées. Le Conseil d’État affirme que les demandes de réintégration et de restitution de biens meubles « relèvent d’une contestation de la régularité et des effets des opérations d’expulsion ». Cette qualification juridique écarte irrémédiablement le juge administratif, même en présence d’une urgence manifeste ou d’une atteinte au droit de propriété.
**B. L’inexistence d’un pouvoir d’exécution forcée des jugements judiciaires** La décision traite également du cas spécifique des requérants ayant obtenu gain de cause devant le juge de l’exécution. Ceux-ci demandaient au Conseil d’État d’enjoindre à l’administration d’exécuter le jugement de réintégration rendu par l’ordre judiciaire. Le juge des référés répond qu’il est « manifestement incompétent pour connaître de telles conclusions ». L’exécution forcée d’un jugement civil relève de procédures propres à l’ordre judiciaire et ne peut être sollicitée devant la juridiction administrative. Cette solution préserve l’étanchéité des deux ordres juridictionnels tout en renvoyant les justiciables vers les voies d’exécution civiles classiques.