Tribunal judiciaire de Saint-Nazaire, le 19 juin 2025, n°22/02501
Le jugement rendu par le Tribunal judiciaire de Saint-Nazaire le 19 juin 2025 statue sur la responsabilité des associés d’une société civile immobilière au regard des dettes sociales. En l’espèce, deux acquéreurs avaient obtenu la condamnation d’une SCI pour vices cachés affectant un immeuble d’habitation vendu en 2018. Face à l’insolvabilité de la société, ils ont poursuivi les deux associés en paiement des sommes dues. Ces derniers ont formé une tierce opposition incidente contre le jugement de condamnation initial.
Les faits s’articulent autour d’une vente immobilière conclue le 20 décembre 2018. Les acquéreurs ont découvert des vices cachés et ont assigné la SCI venderesse devant le Tribunal judiciaire du Havre. Par jugement réputé contradictoire du 23 décembre 2021, cette juridiction a condamné la SCI à verser des dommages-intérêts à hauteur de 49 969,71 euros ainsi qu’une indemnité de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles. Le jugement a été signifié le 10 février 2022 et est devenu définitif faute d’appel.
La procédure a connu plusieurs étapes. Les acquéreurs ont tenté de recouvrer leur créance par mise en demeure puis par commandement aux fins de saisie-vente et saisie-attribution, en vain. La consultation du fichier FICOBA n’a révélé aucun compte bancaire au nom de la société. La SCI avait parallèlement tenté d’obtenir une expertise en référé pour contester l’existence des vices, mais cette demande a été rejetée en première instance et en appel au motif de l’autorité de la chose jugée. Les acquéreurs ont alors assigné les associés devant le Tribunal judiciaire de Saint-Nazaire le 1er décembre 2022, lesquels ont formé une tierce opposition incidente.
La question posée au tribunal était double : les associés d’une SCI peuvent-ils être poursuivis pour les dettes sociales après des tentatives infructueuses de recouvrement contre la société ? Leur tierce opposition contre le jugement de condamnation de la société est-elle recevable ?
Le tribunal a déclaré la tierce opposition irrecevable et condamné in solidum les associés au paiement des sommes dues. Il a retenu que les associés n’invoquaient pas une fraude à leurs propres droits mais à ceux de la société, et que les moyens soulevés n’étaient pas des moyens propres aux associés.
Cette décision illustre la responsabilité indéfinie des associés de SCI à l’égard des dettes sociales (I) et précise les conditions restrictives de recevabilité de la tierce opposition des associés (II).
I. La responsabilité indéfinie des associés de SCI : un mécanisme de garantie subsidiaire des créanciers sociaux
A. Le caractère subsidiaire de la poursuite des associés
Le tribunal fonde sa décision sur les articles 1857 et 1858 du Code civil. Le premier dispose que « à l’égard des tiers, les associés répondent indéfiniment des dettes sociales à proportion de leur part dans le capital social ». Le second subordonne cette poursuite à une condition préalable : le créancier doit avoir « préalablement et vainement poursuivi la personne morale ». Cette subsidiarité constitue un bénéfice de discussion au profit des associés.
En l’espèce, le tribunal constate que les acquéreurs ont satisfait à cette exigence. Ils ont mis en demeure la société, fait délivrer un commandement aux fins de saisie-vente resté sans effet pendant huit jours, puis tenté une saisie-attribution auprès de la BNP Paribas. La banque a indiqué ne détenir aucun compte au nom de la société. La consultation du fichier FICOBA n’a révélé aucun actif bancaire. Le tribunal en déduit logiquement que les créanciers « justifient avoir tenté en vain de recouvrer leurs créances sur la SCI CMB par voie amiable puis par voie forcée ».
Cette analyse s’inscrit dans une jurisprudence constante. La Cour de cassation exige des poursuites sérieuses contre la société avant d’admettre l’action contre les associés. Le créancier n’est pas tenu d’épuiser toutes les voies d’exécution possibles, mais doit démontrer l’insolvabilité apparente de la société. L’absence de tout compte bancaire et l’échec des mesures d’exécution suffisent à établir cette insolvabilité.
B. La condamnation in solidum des associés
Le tribunal condamne les deux associés in solidum au paiement de l’intégralité des sommes dues. Cette solution mérite attention car l’article 1857 prévoit une responsabilité « à proportion de leur part dans le capital social ». La solidarité n’est donc pas de droit entre associés de SCI.
Le jugement ne mentionne pas la répartition du capital social entre les deux associés. La condamnation in solidum prononcée par le tribunal apparaît favorable aux créanciers car elle leur permet de poursuivre indifféremment l’un ou l’autre des associés pour la totalité de la dette. Cette solution facilite le recouvrement mais s’écarte de la lettre du texte qui prévoit une responsabilité proportionnelle.
La portée pratique de cette décision est considérable pour les créanciers de SCI. Face à une société insolvable, ils disposent d’un recours effectif contre les associés dont le patrimoine personnel répond des dettes sociales. Cette responsabilité indéfinie distingue fondamentalement la SCI des sociétés à responsabilité limitée et justifie une vigilance particulière des associés quant aux engagements souscrits par leur société.
II. L’irrecevabilité de la tierce opposition des associés : une application stricte des conditions légales
A. L’exigence d’une fraude aux droits propres du tiers opposant
L’article 583 du Code de procédure civile encadre strictement la recevabilité de la tierce opposition. Le principe veut que toute personne ayant intérêt puisse former tierce opposition à condition de n’avoir été ni partie ni représentée au jugement attaqué. Une exception existe pour les « créanciers et autres ayants cause d’une partie » qui peuvent agir s’ils invoquent une fraude à leurs droits ou des moyens qui leur sont propres.
Les associés d’une société condamnée sont des ayants cause de cette société. Ils doivent donc justifier soit d’une fraude à leurs droits, soit de moyens propres. Le tribunal relève que « les époux n’invoquent pas une fraude à leurs droits mais à ceux de la SCI CMB lorsqu’ils soutiennent qu’elle n’a pas été valablement assignée devant le Tribunal Judiciaire, ni qu’elle n’a pu faire valoir ses droits ».
Cette distinction entre fraude aux droits de la société et fraude aux droits des associés est déterminante. Les associés alléguaient que l’assignation n’avait pas été régulièrement délivrée à la société et que celle-ci n’avait pu se défendre. Ces griefs concernent la défense de la société elle-même, non celle des associés personnellement. Le tribunal vérifie au surplus que l’assignation avait été délivrée conformément à l’article 659 du Code de procédure civile après recherches infructueuses, que le jugement avait été signifié dans les six mois et qu’aucun appel n’avait été interjeté.
B. L’absence de moyens propres aux associés
Les associés soutenaient également que le Tribunal du Havre « ne pouvait faire droit aux demandes » des acquéreurs « en se prononçant uniquement sur un rapport de l’expert délégué par leur assureur ». Ils contestaient ainsi la force probante du rapport d’expertise amiable ayant fondé la condamnation.
Le tribunal écarte ce moyen en considérant qu’il « ne constitue pas des moyens propres aux associés de la SCI CMB, mais des moyens que la SCI CMB aurait pu soulever si elle avait constitué avocat devant le Tribunal Judiciaire ». Cette analyse est juridiquement fondée. Un moyen propre à l’associé doit être distinct de ceux que la société aurait pu invoquer. Tel serait le cas d’un vice du consentement ayant affecté personnellement l’associé ou d’une cause d’exonération qui lui serait personnelle.
La contestation de la valeur probante d’une expertise n’est pas un moyen propre à l’associé. Tout défendeur à une action en garantie des vices cachés peut contester les éléments de preuve produits. La société aurait pu soulever ce moyen si elle s’était constituée. L’inaction procédurale de la société ne saurait ouvrir aux associés une voie de recours extraordinaire. Admettre le contraire permettrait de contourner l’autorité de la chose jugée attachée aux décisions devenues définitives.
Cette décision rappelle que la tierce opposition n’est pas un second appel déguisé. Elle protège les tiers dont les droits sont lésés par un jugement auquel ils n’ont pas participé. Les associés d’une société condamnée ne sont pas de véritables tiers au sens de cette voie de recours lorsqu’ils invoquent des moyens de défense que la société a négligé de faire valoir.
Le jugement rendu par le Tribunal judiciaire de Saint-Nazaire le 19 juin 2025 statue sur la responsabilité des associés d’une société civile immobilière au regard des dettes sociales. En l’espèce, deux acquéreurs avaient obtenu la condamnation d’une SCI pour vices cachés affectant un immeuble d’habitation vendu en 2018. Face à l’insolvabilité de la société, ils ont poursuivi les deux associés en paiement des sommes dues. Ces derniers ont formé une tierce opposition incidente contre le jugement de condamnation initial.
Les faits s’articulent autour d’une vente immobilière conclue le 20 décembre 2018. Les acquéreurs ont découvert des vices cachés et ont assigné la SCI venderesse devant le Tribunal judiciaire du Havre. Par jugement réputé contradictoire du 23 décembre 2021, cette juridiction a condamné la SCI à verser des dommages-intérêts à hauteur de 49 969,71 euros ainsi qu’une indemnité de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles. Le jugement a été signifié le 10 février 2022 et est devenu définitif faute d’appel.
La procédure a connu plusieurs étapes. Les acquéreurs ont tenté de recouvrer leur créance par mise en demeure puis par commandement aux fins de saisie-vente et saisie-attribution, en vain. La consultation du fichier FICOBA n’a révélé aucun compte bancaire au nom de la société. La SCI avait parallèlement tenté d’obtenir une expertise en référé pour contester l’existence des vices, mais cette demande a été rejetée en première instance et en appel au motif de l’autorité de la chose jugée. Les acquéreurs ont alors assigné les associés devant le Tribunal judiciaire de Saint-Nazaire le 1er décembre 2022, lesquels ont formé une tierce opposition incidente.
La question posée au tribunal était double : les associés d’une SCI peuvent-ils être poursuivis pour les dettes sociales après des tentatives infructueuses de recouvrement contre la société ? Leur tierce opposition contre le jugement de condamnation de la société est-elle recevable ?
Le tribunal a déclaré la tierce opposition irrecevable et condamné in solidum les associés au paiement des sommes dues. Il a retenu que les associés n’invoquaient pas une fraude à leurs propres droits mais à ceux de la société, et que les moyens soulevés n’étaient pas des moyens propres aux associés.
Cette décision illustre la responsabilité indéfinie des associés de SCI à l’égard des dettes sociales (I) et précise les conditions restrictives de recevabilité de la tierce opposition des associés (II).
I. La responsabilité indéfinie des associés de SCI : un mécanisme de garantie subsidiaire des créanciers sociaux
A. Le caractère subsidiaire de la poursuite des associés
Le tribunal fonde sa décision sur les articles 1857 et 1858 du Code civil. Le premier dispose que « à l’égard des tiers, les associés répondent indéfiniment des dettes sociales à proportion de leur part dans le capital social ». Le second subordonne cette poursuite à une condition préalable : le créancier doit avoir « préalablement et vainement poursuivi la personne morale ». Cette subsidiarité constitue un bénéfice de discussion au profit des associés.
En l’espèce, le tribunal constate que les acquéreurs ont satisfait à cette exigence. Ils ont mis en demeure la société, fait délivrer un commandement aux fins de saisie-vente resté sans effet pendant huit jours, puis tenté une saisie-attribution auprès de la BNP Paribas. La banque a indiqué ne détenir aucun compte au nom de la société. La consultation du fichier FICOBA n’a révélé aucun actif bancaire. Le tribunal en déduit logiquement que les créanciers « justifient avoir tenté en vain de recouvrer leurs créances sur la SCI CMB par voie amiable puis par voie forcée ».
Cette analyse s’inscrit dans une jurisprudence constante. La Cour de cassation exige des poursuites sérieuses contre la société avant d’admettre l’action contre les associés. Le créancier n’est pas tenu d’épuiser toutes les voies d’exécution possibles, mais doit démontrer l’insolvabilité apparente de la société. L’absence de tout compte bancaire et l’échec des mesures d’exécution suffisent à établir cette insolvabilité.
B. La condamnation in solidum des associés
Le tribunal condamne les deux associés in solidum au paiement de l’intégralité des sommes dues. Cette solution mérite attention car l’article 1857 prévoit une responsabilité « à proportion de leur part dans le capital social ». La solidarité n’est donc pas de droit entre associés de SCI.
Le jugement ne mentionne pas la répartition du capital social entre les deux associés. La condamnation in solidum prononcée par le tribunal apparaît favorable aux créanciers car elle leur permet de poursuivre indifféremment l’un ou l’autre des associés pour la totalité de la dette. Cette solution facilite le recouvrement mais s’écarte de la lettre du texte qui prévoit une responsabilité proportionnelle.
La portée pratique de cette décision est considérable pour les créanciers de SCI. Face à une société insolvable, ils disposent d’un recours effectif contre les associés dont le patrimoine personnel répond des dettes sociales. Cette responsabilité indéfinie distingue fondamentalement la SCI des sociétés à responsabilité limitée et justifie une vigilance particulière des associés quant aux engagements souscrits par leur société.
II. L’irrecevabilité de la tierce opposition des associés : une application stricte des conditions légales
A. L’exigence d’une fraude aux droits propres du tiers opposant
L’article 583 du Code de procédure civile encadre strictement la recevabilité de la tierce opposition. Le principe veut que toute personne ayant intérêt puisse former tierce opposition à condition de n’avoir été ni partie ni représentée au jugement attaqué. Une exception existe pour les « créanciers et autres ayants cause d’une partie » qui peuvent agir s’ils invoquent une fraude à leurs droits ou des moyens qui leur sont propres.
Les associés d’une société condamnée sont des ayants cause de cette société. Ils doivent donc justifier soit d’une fraude à leurs droits, soit de moyens propres. Le tribunal relève que « les époux n’invoquent pas une fraude à leurs droits mais à ceux de la SCI CMB lorsqu’ils soutiennent qu’elle n’a pas été valablement assignée devant le Tribunal Judiciaire, ni qu’elle n’a pu faire valoir ses droits ».
Cette distinction entre fraude aux droits de la société et fraude aux droits des associés est déterminante. Les associés alléguaient que l’assignation n’avait pas été régulièrement délivrée à la société et que celle-ci n’avait pu se défendre. Ces griefs concernent la défense de la société elle-même, non celle des associés personnellement. Le tribunal vérifie au surplus que l’assignation avait été délivrée conformément à l’article 659 du Code de procédure civile après recherches infructueuses, que le jugement avait été signifié dans les six mois et qu’aucun appel n’avait été interjeté.
B. L’absence de moyens propres aux associés
Les associés soutenaient également que le Tribunal du Havre « ne pouvait faire droit aux demandes » des acquéreurs « en se prononçant uniquement sur un rapport de l’expert délégué par leur assureur ». Ils contestaient ainsi la force probante du rapport d’expertise amiable ayant fondé la condamnation.
Le tribunal écarte ce moyen en considérant qu’il « ne constitue pas des moyens propres aux associés de la SCI CMB, mais des moyens que la SCI CMB aurait pu soulever si elle avait constitué avocat devant le Tribunal Judiciaire ». Cette analyse est juridiquement fondée. Un moyen propre à l’associé doit être distinct de ceux que la société aurait pu invoquer. Tel serait le cas d’un vice du consentement ayant affecté personnellement l’associé ou d’une cause d’exonération qui lui serait personnelle.
La contestation de la valeur probante d’une expertise n’est pas un moyen propre à l’associé. Tout défendeur à une action en garantie des vices cachés peut contester les éléments de preuve produits. La société aurait pu soulever ce moyen si elle s’était constituée. L’inaction procédurale de la société ne saurait ouvrir aux associés une voie de recours extraordinaire. Admettre le contraire permettrait de contourner l’autorité de la chose jugée attachée aux décisions devenues définitives.
Cette décision rappelle que la tierce opposition n’est pas un second appel déguisé. Elle protège les tiers dont les droits sont lésés par un jugement auquel ils n’ont pas participé. Les associés d’une société condamnée ne sont pas de véritables tiers au sens de cette voie de recours lorsqu’ils invoquent des moyens de défense que la société a négligé de faire valoir.