Cour d’appel administrative de Douai, le 27 février 2025, n°23DA01556

Par un arrêt rendu le 27 février 2025, la cour administrative d’appel de Douai précise les conditions de la responsabilité d’une collectivité gérant son domaine public. Une commune avait consenti à une société anonyme l’exploitation d’un abattoir par un bail à construction et un contrat de crédit-bail. Ces conventions étaient assorties de promesses de vente portant sur des dépendances immobilières dont le caractère public fut ultérieurement confirmé par le Conseil d’État. La commune ayant renoncé à la vente, l’occupante a sollicité l’indemnisation de ses investissements et de ses frais de fonctionnement devant la juridiction administrative. Par un jugement du 1er juin 2023, le tribunal administratif de Rouen a rejeté les prétentions indemnitaires de l’entreprise évincée du site. La société requérante conteste cette décision en invoquant l’illégalité fautive des promesses de vente et l’enrichissement sans cause de la personne publique. La question posée aux juges d’appel concerne l’étendue du droit à réparation d’un cocontractant lorsque les clauses de cession domaniale sont entachées de nullité. La cour administrative d’appel confirme le rejet de la demande en validant l’économie générale des contrats malgré l’illicéité des promesses de vente. Ce raisonnement s’appuie sur une distinction entre la validité des conventions principales (I) et l’absence de préjudice certain ouvrant droit à indemnisation (II).

I. La reconnaissance d’une illicéité contractuelle limitée par le principe de loyauté

A. Le caractère illicite des promesses de vente portant sur le domaine public

La juridiction administrative rappelle que les dépendances du domaine public sont soumises aux principes fondamentaux d’inaliénabilité et d’imprescriptibilité. Les promesses de vente assortissant le bail à construction de 1990 et le crédit-bail de 1998 sont jugées contraires à ces exigences. La cour observe que ces clauses ne prévoyaient aucune disposition relative à la désaffectation préalable des biens avant toute cession future. Elle souligne que « le contenu de cette promesse de vente présente bien un caractère illicite et il y a lieu de l’écarter ». L’absence de garanties permettant le maintien des biens dans le domaine public pour des motifs de service public vicie radicalement l’engagement de vendre. Le juge écarte ainsi les stipulations contractuelles qui prétendaient organiser le transfert de propriété d’un patrimoine encore affecté à l’usage du public. Cette sévérité traduit la volonté de protéger l’intégrité du domaine contre des aliénations prématurées ou insuffisamment encadrées par la puissance publique.

B. La préservation de la validité des conventions principales par le juge

Malgré l’illicéité des promesses de vente, la cour refuse d’écarter l’ensemble des relations contractuelles unissant la commune à l’occupant privé. Elle fait application du principe selon lequel « il incombe en principe à celui-ci, eu égard à l’exigence de loyauté des relations contractuelles, de faire application du contrat ». Les juges considèrent que le bail à construction et le crédit-bail ne forment pas un ensemble indivisible avec les clauses de vente. L’irrégularité des promesses de cession est jugée sans incidence sur la validité des contrats d’exploitation dont l’exécution s’est poursuivie normalement. Cette approche privilégie la stabilité des relations juridiques et limite les conséquences de la nullité aux seules dispositions directement contraires à l’ordre public. En maintenant l’application des baux jusqu’à leur terme, la juridiction interdit à la société de se placer sur le terrain extra-contractuel. La loyauté contractuelle fait ici obstacle à ce que l’appelante conteste les charges financières qu’elle avait librement acceptées dans le cadre conventionnel.

II. L’éviction des prétentions indemnitaires faute de preuve d’un préjudice réparable

A. Une appréciation stricte de l’utilité des dépenses au titre de l’enrichissement sans cause

La société sollicitait le remboursement de ses investissements sur le fondement de la responsabilité quasi-contractuelle de la collectivité bénéficiaire des travaux. Le juge administratif rappelle que l’indemnisation au titre de l’enrichissement sans cause est subordonnée au caractère utile des dépenses engagées. Il précise que « l’utilité pour celle-ci doit en revanche être appréciée par le juge administratif à la date à laquelle il statue ». Or, l’expert judiciaire a constaté que la valeur des actifs corporels était devenue nulle après la cessation définitive de l’activité. Les aménagements réalisés par l’occupant ne procurent aucun enrichissement actuel à la commune puisque le site de l’abattoir n’est plus exploité. La cour refuse également de rembourser les taxes foncières dont la société s’est acquittée durant l’occupation du domaine public. Elle estime que ces charges auraient pu être incluses dans une redevance d’occupation domaniale classique si aucun bail n’avait été conclu.

B. L’absence de lien de causalité direct entre la faute et les dommages allégués

L’appelante invoquait subsidiairement la responsabilité quasi-délictuelle de la commune en raison de la faute commise lors de la signature de promesses illicites. Le juge doit alors vérifier si le préjudice allégué présente un caractère certain et s’il résulte directement du manquement de l’administration. La cour relève que les dépenses de fonctionnement et d’investissement résultent de la simple poursuite de l’activité industrielle par la société. L’entreprise ne démontre pas que ces frais auraient été moindres si les promesses de vente n’avaient pas été intégrées aux contrats. Le lien de causalité entre l’illégalité de la clause de vente et les pertes financières n’est pas établi par l’instruction. Concernant la perte de valeur du fonds de commerce, la requérante n’apporte aucun élément comptable précis pour justifier l’étendue de son dommage. La juridiction rejette l’ensemble des conclusions indemnitaires et condamne la société à verser deux mille euros à la commune pour les frais d’instance.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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