Par un arrêt rendu le 6 mai 2025, la cour administrative d’appel de Versailles précise les conditions de déclenchement du délai d’exercice du droit de préemption urbain. Dans cette affaire, un curateur a souhaité céder six parcelles non contiguës situées sur le territoire d’une commune membre d’un établissement public de coopération intercommunale. Cette décision porte sur la validité d’une déclaration d’intention d’aliéner unique concernant plusieurs biens immobiliers ne constituant pas un ensemble d’un seul tenant. L’établissement public titulaire du droit a exercé sa prérogative sur cinq parcelles seulement, excluant celle située hors du périmètre de sa zone d’aménagement différé. Saisi d’un recours, le tribunal administratif de Versailles a prononcé l’annulation de cet acte en raison du dépassement du délai de deux mois prévu par le code de l’urbanisme. La juridiction d’appel devait déterminer si une déclaration globale permet de faire courir le délai de préemption pour chaque unité foncière distincte mentionnée dans le document. Elle rejette la requête de l’administration en confirmant que l’information fournie était suffisante pour faire courir le délai de renonciation au profit de l’acquéreur.
I. L’appréciation libérale de la forme de la déclaration d’intention d’aliéner
A. Le rappel de l’indépendance juridique des unités foncières distinctes
Le juge définit l’unité foncière comme un « îlot de propriété d’un seul tenant, composé d’une parcelle ou d’un ensemble de parcelles appartenant à un même propriétaire ». En l’espèce, les six terrains constituaient autant d’unités foncières distinctes car ils se situaient en divers lieux du territoire communal sans présenter de lien de contiguïté matérielle. Cette distinction est fondamentale puisque la collectivité était tenue de « distraire la parcelle, constituant également une unité foncière distincte, située en dehors de ladite zone ». L’administration ne pouvait utilement soutenir qu’une déclaration unique l’empêchait d’agir car rien ne faisait obstacle à une préemption limitée aux seules parcelles situées dans le périmètre. L’autonomie de chaque unité foncière impose ainsi au titulaire du droit de vérifier sa compétence géographique pour chaque élément de l’aliénation projetée sans pouvoir invoquer une confusion globale.
B. L’admission de la déclaration unique pour une pluralité de cessions
La cour administrative d’appel de Versailles considère qu’aucune disposition légale n’impose au vendeur d’établir, de manière formaliste, un formulaire de déclaration par unité foncière vendue. Dès lors que le document transmis permettait de « distinguer clairement les éléments propres à chacune des parcelles », l’administration ne pouvait légalement exiger la transmission de formulaires administratifs distincts. Le juge privilégie ici une approche substantielle de l’information par rapport à un formalisme excessif qui pèserait lourdement sur les propriétaires lors de mutations immobilières multiples. Le respect du modèle officiel constitue la seule obligation réelle pesant sur le notaire ou le vendeur lors de la notification du projet de vente à la mairie. La validité de cette notification globale entraîne des conséquences directes sur le calcul du délai de deux mois imparti à la puissance publique pour exercer sa priorité.
II. La sanction de la tardiveté au nom de la sécurité des transactions
A. La réunion des conditions d’information suffisante de la collectivité
Le silence du titulaire du droit de préemption pendant deux mois à compter de la réception de la déclaration vaut renonciation à l’exercice de ce droit exorbitant. En l’espèce, la seconde déclaration reçue mentionnait les références cadastrales, les superficies précises ainsi que le prix de vente détaillé de chacune des six parcelles concernées. La cour administrative d’appel de Versailles juge que l’établissement public a été « suffisamment informé de la vente et de ses conditions » dès la réception de ce document complet. La clarté des informations transmises mettait l’administration en mesure d’exercer utilement sa prérogative de puissance publique sans qu’une instruction complémentaire ne soit réellement justifiée. Par conséquent, le point de départ du délai de forclusion est fixé au jour de la réception de cette déclaration unique malgré le caractère multiple des biens.
B. L’inopposabilité des clauses d’indivisibilité au délai légal
Le vendeur avait inséré dans son acte une clause indiquant que la vente des six parcelles constituait un tout indissociable pour l’acquéreur potentiel. Le juge administratif écarte cependant cet argument en précisant qu’une telle mention n’était pas opposable à la communauté d’agglomération titulaire du droit de préemption urbain. Cette solution s’explique par l’impossibilité légale pour la collectivité de préempter un bien situé en dehors de sa zone de compétence territoriale, quelle que soit la volonté contractuelle. La décision de préemption étant indivisible pour chaque unité foncière, le retard pris par l’administration pour solliciter des formulaires séparés rend sa décision finale tardive et donc illégale. Le maintien de l’annulation du jugement attaqué confirme ainsi la protection nécessaire de l’acquéreur évincé face à une action administrative engagée au-delà du délai de rigueur.