Cour d’appel de Paris, le 9 septembre 2025, n°23/08116
L’arrêt rendu le 9 septembre 2025 par la Cour d’appel de Paris, pôle 4, chambre 4, statue sur un litige locatif opposant une société d’HLM à sa locataire défaillante. Cette décision s’inscrit dans le contentieux récurrent des impayés de loyer et de la fixation des indemnités d’occupation consécutives à la résiliation judiciaire du bail.
Un contrat de bail a été conclu le 10 janvier 2013 portant sur un logement situé dans le Val-de-Marne. Face aux impayés de la locataire, la bailleresse a fait délivrer le 8 juillet 2022 un commandement de payer pour la somme de 837,40 euros, dont les causes ont été régularisées dans le délai légal. La bailleresse a néanmoins saisi le juge des contentieux de la protection par acte du 25 novembre 2022. Par jugement contradictoire du 7 avril 2023, le juge du tribunal de proximité de Saint-Maur-des-Fossés a condamné la locataire au paiement de 2 629,85 euros selon décompte arrêté au 6 février 2023, lui a accordé des délais de paiement en 20 mensualités, a prononcé la résiliation conditionnelle du bail et a fixé une indemnité mensuelle d’occupation à 700 euros, « sans possibilité d’augmentation ou d’indexation eu égard à son caractère indemnitaire et non contractuel ». La bailleresse a interjeté appel le 28 avril 2023, contestant principalement le montant de la condamnation et celui de l’indemnité d’occupation. La locataire, assignée devant la cour le 11 juillet 2023, n’a pas constitué avocat.
Deux questions se posaient à la cour. D’une part, l’indemnité d’occupation due par un locataire maintenu dans les lieux après résiliation du bail peut-elle être fixée à un montant forfaitaire invariable ? D’autre part, le juge d’appel peut-il actualiser le montant de la condamnation au paiement de l’arriéré locatif en fonction des éléments nouveaux produits devant lui ?
La cour infirme partiellement le jugement. Elle condamne la locataire au paiement de 5 703,50 euros selon décompte actualisé au 5 juillet 2023 et fixe l’indemnité d’occupation « au montant de la quittance locative si le bail s’était poursuivi », rejetant ainsi le caractère forfaitaire et invariable retenu par le premier juge.
La nature juridique de l’indemnité d’occupation et son régime de fixation constituent l’apport principal de cet arrêt (I). L’actualisation de la créance locative en appel et les pouvoirs du juge face à un intimé défaillant méritent également examen (II).
I. Le régime juridique de l’indemnité d’occupation après résiliation du bail
La cour définit d’abord le fondement de l’indemnité d’occupation (A) avant d’en tirer les conséquences sur ses modalités de calcul (B).
A. La qualification de l’occupation sans titre comme faute civile
La cour énonce que « le maintien dans les lieux postérieurement à la date d’expiration du bail constitue une faute civile ouvrant droit à réparation en ce qu’elle cause un préjudice certain pour le propriétaire privé de la jouissance de son bien ». Cette qualification emporte des conséquences déterminantes. L’occupant sans titre ne bénéficie plus de la protection contractuelle du bail. Sa présence dans les lieux devient un fait illicite générateur de responsabilité.
Le premier juge avait pourtant qualifié l’indemnité de « non contractuelle », ce qui aurait dû le conduire à appliquer les règles de la responsabilité délictuelle. Or, en fixant un montant forfaitaire de 700 euros sans motivation, il s’est affranchi de toute référence au préjudice effectivement subi. La cour relève d’ailleurs que « le jugement n’est pas motivé quant au montant de l’indemnité d’occupation ». Cette absence de motivation constitue une violation des exigences procédurales et empêche tout contrôle de l’adéquation entre l’indemnité et le dommage.
B. L’exigence d’une réparation intégrale du préjudice locatif
La cour précise qu’il « revient au juge de fixer le montant de cette réparation sous la forme d’indemnité d’occupation mensuelle correspondant au montant du loyer révisable majoré des charges calculés tels que si le bail s’était poursuivi ». Cette formulation impose une méthode de calcul précise. L’indemnité doit correspondre à ce que le bailleur aurait perçu si la relation contractuelle s’était normalement poursuivie.
Le caractère « révisable » de l’indemnité répond à une logique indemnitaire. Le préjudice du bailleur évolue dans le temps puisque les loyers auraient été indexés. Figer l’indemnité à un montant invariable revient à sous-indemniser le bailleur au fil des années. La cour condamne ainsi implicitement la pratique consistant à fixer des indemnités d’occupation forfaitaires dans les baux d’habitation. Cette solution protège le bailleur contre l’érosion monétaire tout en évitant l’enrichissement injustifié du locataire maintenu dans les lieux.
II. Les pouvoirs du juge d’appel dans l’actualisation de la créance locative
L’office du juge d’appel face à un intimé défaillant mérite attention (A). La prise en compte des éléments nouveaux dans la fixation de la condamnation appelle également des observations (B).
A. L’encadrement du contrôle juridictionnel en l’absence de l’intimé
La cour rappelle qu’« en application des dispositions de l’article 472 du code de procédure civile, elle ne peut faire droit aux prétentions et moyens de la société Immobilière 3F que si elle les estime réguliers, recevables et bien fondés ». Cette disposition impose au juge d’appel un examen substantiel des demandes nonobstant la défaillance de l’intimé. L’absence de comparution ne vaut pas acquiescement.
La cour ajoute qu’elle « doit examiner, au vu des éléments de preuve présentés et des moyens d’appel, la pertinence des motifs par lesquels le premier juge s’est déterminé ». Ce double contrôle garantit les droits du défaillant. Le juge vérifie tant le bien-fondé des prétentions de l’appelant que la solidité du raisonnement du premier juge. La défaillance procédurale n’entraîne pas la privation des garanties substantielles.
B. L’actualisation de la dette locative au jour du prononcé de l’arrêt
La cour condamne la locataire au paiement de 5 703,50 euros selon un « décompte (ses pièces 10a et 10b) démontrant que Mme [I] [Y] reste devoir (…) à la date du 30 juin 2023, terme de juin 2023 inclus, non contesté ». Le montant retenu diffère significativement des 2 629,85 euros retenus en première instance. Cette actualisation résulte de la poursuite des impayés entre le jugement et l’arrêt.
Le juge d’appel prend en considération l’évolution de la créance postérieure au jugement de première instance. Cette pratique se justifie par l’effet dévolutif de l’appel et par le souci d’éviter une multiplication des procédures. Le bailleur n’a pas à engager une nouvelle action pour recouvrer les loyers échus après le premier jugement. La cour statue sur l’ensemble de la créance à la date la plus récente possible.
La portée de cet arrêt réside principalement dans la clarification du régime de l’indemnité d’occupation. En imposant une indemnité égale au loyer révisable, la cour aligne le contentieux locatif sur les principes généraux de la réparation intégrale. Cette solution devrait conduire les juges du fond à abandonner la pratique des indemnités forfaitaires invariables, source d’insécurité juridique pour les bailleurs sociaux confrontés à des occupations prolongées.
L’arrêt rendu le 9 septembre 2025 par la Cour d’appel de Paris, pôle 4, chambre 4, statue sur un litige locatif opposant une société d’HLM à sa locataire défaillante. Cette décision s’inscrit dans le contentieux récurrent des impayés de loyer et de la fixation des indemnités d’occupation consécutives à la résiliation judiciaire du bail.
Un contrat de bail a été conclu le 10 janvier 2013 portant sur un logement situé dans le Val-de-Marne. Face aux impayés de la locataire, la bailleresse a fait délivrer le 8 juillet 2022 un commandement de payer pour la somme de 837,40 euros, dont les causes ont été régularisées dans le délai légal. La bailleresse a néanmoins saisi le juge des contentieux de la protection par acte du 25 novembre 2022. Par jugement contradictoire du 7 avril 2023, le juge du tribunal de proximité de Saint-Maur-des-Fossés a condamné la locataire au paiement de 2 629,85 euros selon décompte arrêté au 6 février 2023, lui a accordé des délais de paiement en 20 mensualités, a prononcé la résiliation conditionnelle du bail et a fixé une indemnité mensuelle d’occupation à 700 euros, « sans possibilité d’augmentation ou d’indexation eu égard à son caractère indemnitaire et non contractuel ». La bailleresse a interjeté appel le 28 avril 2023, contestant principalement le montant de la condamnation et celui de l’indemnité d’occupation. La locataire, assignée devant la cour le 11 juillet 2023, n’a pas constitué avocat.
Deux questions se posaient à la cour. D’une part, l’indemnité d’occupation due par un locataire maintenu dans les lieux après résiliation du bail peut-elle être fixée à un montant forfaitaire invariable ? D’autre part, le juge d’appel peut-il actualiser le montant de la condamnation au paiement de l’arriéré locatif en fonction des éléments nouveaux produits devant lui ?
La cour infirme partiellement le jugement. Elle condamne la locataire au paiement de 5 703,50 euros selon décompte actualisé au 5 juillet 2023 et fixe l’indemnité d’occupation « au montant de la quittance locative si le bail s’était poursuivi », rejetant ainsi le caractère forfaitaire et invariable retenu par le premier juge.
La nature juridique de l’indemnité d’occupation et son régime de fixation constituent l’apport principal de cet arrêt (I). L’actualisation de la créance locative en appel et les pouvoirs du juge face à un intimé défaillant méritent également examen (II).
I. Le régime juridique de l’indemnité d’occupation après résiliation du bail
La cour définit d’abord le fondement de l’indemnité d’occupation (A) avant d’en tirer les conséquences sur ses modalités de calcul (B).
A. La qualification de l’occupation sans titre comme faute civile
La cour énonce que « le maintien dans les lieux postérieurement à la date d’expiration du bail constitue une faute civile ouvrant droit à réparation en ce qu’elle cause un préjudice certain pour le propriétaire privé de la jouissance de son bien ». Cette qualification emporte des conséquences déterminantes. L’occupant sans titre ne bénéficie plus de la protection contractuelle du bail. Sa présence dans les lieux devient un fait illicite générateur de responsabilité.
Le premier juge avait pourtant qualifié l’indemnité de « non contractuelle », ce qui aurait dû le conduire à appliquer les règles de la responsabilité délictuelle. Or, en fixant un montant forfaitaire de 700 euros sans motivation, il s’est affranchi de toute référence au préjudice effectivement subi. La cour relève d’ailleurs que « le jugement n’est pas motivé quant au montant de l’indemnité d’occupation ». Cette absence de motivation constitue une violation des exigences procédurales et empêche tout contrôle de l’adéquation entre l’indemnité et le dommage.
B. L’exigence d’une réparation intégrale du préjudice locatif
La cour précise qu’il « revient au juge de fixer le montant de cette réparation sous la forme d’indemnité d’occupation mensuelle correspondant au montant du loyer révisable majoré des charges calculés tels que si le bail s’était poursuivi ». Cette formulation impose une méthode de calcul précise. L’indemnité doit correspondre à ce que le bailleur aurait perçu si la relation contractuelle s’était normalement poursuivie.
Le caractère « révisable » de l’indemnité répond à une logique indemnitaire. Le préjudice du bailleur évolue dans le temps puisque les loyers auraient été indexés. Figer l’indemnité à un montant invariable revient à sous-indemniser le bailleur au fil des années. La cour condamne ainsi implicitement la pratique consistant à fixer des indemnités d’occupation forfaitaires dans les baux d’habitation. Cette solution protège le bailleur contre l’érosion monétaire tout en évitant l’enrichissement injustifié du locataire maintenu dans les lieux.
II. Les pouvoirs du juge d’appel dans l’actualisation de la créance locative
L’office du juge d’appel face à un intimé défaillant mérite attention (A). La prise en compte des éléments nouveaux dans la fixation de la condamnation appelle également des observations (B).
A. L’encadrement du contrôle juridictionnel en l’absence de l’intimé
La cour rappelle qu’« en application des dispositions de l’article 472 du code de procédure civile, elle ne peut faire droit aux prétentions et moyens de la société Immobilière 3F que si elle les estime réguliers, recevables et bien fondés ». Cette disposition impose au juge d’appel un examen substantiel des demandes nonobstant la défaillance de l’intimé. L’absence de comparution ne vaut pas acquiescement.
La cour ajoute qu’elle « doit examiner, au vu des éléments de preuve présentés et des moyens d’appel, la pertinence des motifs par lesquels le premier juge s’est déterminé ». Ce double contrôle garantit les droits du défaillant. Le juge vérifie tant le bien-fondé des prétentions de l’appelant que la solidité du raisonnement du premier juge. La défaillance procédurale n’entraîne pas la privation des garanties substantielles.
B. L’actualisation de la dette locative au jour du prononcé de l’arrêt
La cour condamne la locataire au paiement de 5 703,50 euros selon un « décompte (ses pièces 10a et 10b) démontrant que Mme [I] [Y] reste devoir (…) à la date du 30 juin 2023, terme de juin 2023 inclus, non contesté ». Le montant retenu diffère significativement des 2 629,85 euros retenus en première instance. Cette actualisation résulte de la poursuite des impayés entre le jugement et l’arrêt.
Le juge d’appel prend en considération l’évolution de la créance postérieure au jugement de première instance. Cette pratique se justifie par l’effet dévolutif de l’appel et par le souci d’éviter une multiplication des procédures. Le bailleur n’a pas à engager une nouvelle action pour recouvrer les loyers échus après le premier jugement. La cour statue sur l’ensemble de la créance à la date la plus récente possible.
La portée de cet arrêt réside principalement dans la clarification du régime de l’indemnité d’occupation. En imposant une indemnité égale au loyer révisable, la cour aligne le contentieux locatif sur les principes généraux de la réparation intégrale. Cette solution devrait conduire les juges du fond à abandonner la pratique des indemnités forfaitaires invariables, source d’insécurité juridique pour les bailleurs sociaux confrontés à des occupations prolongées.