Première chambre civile de la Cour de cassation, le 9 juillet 2025, n°18-18.706

La péremption de l’instance en cassation obéit à des règles procédurales strictes dont la méconnaissance peut priver les parties de leurs droits. L’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 9 juillet 2025 en offre une illustration significative, en précisant les conditions dans lesquelles le délai de péremption recommence à courir après une décision de radiation consécutive au décès d’une partie.

Un pourvoi en cassation avait été formé le 22 juin 2018 contre un arrêt d’une cour d’appel ayant prononcé la nullité d’un mariage. Le demandeur au pourvoi est décédé le 9 février 2020, son avocat ayant notifié ce décès à la Cour de cassation le 9 mars 2020. Par un arrêt du 4 novembre 2020, la Cour a prononcé l’interruption de l’instance et imparti aux héritiers un délai de trois mois pour effectuer les diligences nécessaires à la reprise de l’instance. Faute d’accomplissement de ces diligences, la radiation du pourvoi a été prononcée le 31 mars 2021. Par requêtes des 14 avril 2023 et 6 décembre 2023, plusieurs défendeurs au pourvoi ont saisi la Cour afin que soit constatée la péremption de l’instance.

La question posée à la Cour de cassation était de déterminer si le délai de péremption de l’instance avait recommencé à courir à compter de la décision de radiation, alors que celle-ci n’avait pas été notifiée aux héritiers du demandeur au pourvoi décédé.

La Cour de cassation rejette la demande de péremption. Elle juge que « la décision de radiation ne peut faire courir à nouveau le délai de péremption qu’à la condition d’avoir été notifiée ou signifiée aux héritiers » de la partie décédée. Elle précise que « le mandat confié à l’avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation prenant fin par le décès du mandant, la notification ou la signification de la décision de radiation faite à cet avocat ne peut faire courir le délai de péremption à l’égard des héritiers ».

La solution retenue invite à examiner les conditions procédurales du nouveau départ du délai de péremption après radiation (I), avant d’analyser les modalités alternatives de notification aux héritiers inconnus (II).

I. Les conditions procédurales du nouveau départ du délai de péremption

La Cour de cassation subordonne la reprise du délai de péremption à une notification régulière aux héritiers (A), écartant la validité de toute notification faite à l’avocat du défunt (B).

A. L’exigence d’une notification aux héritiers de la partie décédée

La Cour de cassation pose en principe que « la décision de radiation ne peut faire courir à nouveau le délai de péremption qu’à la condition d’avoir été notifiée ou signifiée aux héritiers » du demandeur au pourvoi décédé. Cette exigence se fonde sur la nécessité d’informer effectivement les successeurs de la partie disparue des conséquences attachées à leur inaction.

L’article 386 du code de procédure civile prévoit que l’instance est périmée lorsqu’aucune des parties n’accomplit de diligences pendant deux ans. La péremption suppose toutefois que les parties aient été en mesure d’agir, ce qui implique qu’elles aient eu connaissance de la situation procédurale. Or les héritiers d’une partie décédée en cours d’instance ne peuvent être tenus d’accomplir des diligences s’ils ignorent l’existence même du pourvoi ou les décisions rendues à son propos.

La solution retenue assure ainsi le respect du principe du contradictoire et du droit d’accès au juge. Elle garantit que la péremption ne puisse être acquise qu’à l’encontre de personnes dûment informées de la nécessité d’agir. La Cour précise que les héritiers doivent être « informés des conséquences du défaut de diligences de leur part dans le délai de deux ans ».

B. L’exclusion de la notification à l’avocat du défunt

La Cour de cassation écarte expressément la possibilité de faire courir le délai de péremption par une notification à l’avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation qui représentait la partie décédée. Elle fonde cette solution sur l’article 2003 du code civil, selon lequel le mandat prend fin par la mort du mandant.

Cette règle traditionnelle du droit des contrats trouve une application remarquable en matière de représentation devant la Cour de cassation. L’avocat aux Conseils qui représentait le demandeur au pourvoi perd cette qualité dès le décès de son client. Il ne peut dès lors recevoir valablement les notifications ou significations destinées à celui-ci, devenu incapable de les recevoir par son décès.

La solution préserve les droits des héritiers qui pourraient ignorer tant l’existence du pourvoi que celle du mandat confié à l’avocat aux Conseils. Elle évite que la péremption soit acquise à l’insu des successeurs du demandeur, lesquels n’auraient eu aucun moyen de connaître la procédure pendante et les diligences à accomplir pour la maintenir.

II. Les modalités alternatives de notification aux héritiers inconnus

La Cour de cassation organise un dispositif permettant d’identifier les héritiers (A), puis prévoit une notification collective en cas d’impossibilité d’identification (B).

A. Le recours au notaire chargé de la succession pour identifier les héritiers

La Cour de cassation indique que la partie souhaitant notifier la décision de radiation peut, « en application de l’article 23 de la loi du 25 ventôse an XI », demander au président du tribunal judiciaire de lui permettre d’obtenir du notaire chargé de la succession les actes permettant d’identifier les héritiers.

Cette disposition, issue de l’ordonnance du 18 septembre 2019, permet de lever le secret professionnel du notaire dans certaines circonstances. Elle offre un instrument pratique aux parties confrontées à l’impossibilité d’identifier les successeurs de leur adversaire décédé. Le dispositif concilie le secret notarial avec les nécessités de la procédure civile.

La procédure suppose une requête adressée au président du tribunal judiciaire, qui apprécie l’opportunité de la demande. Elle permet d’obtenir soit l’expédition des actes établis au nom de la succession, soit la simple communication du nom des héritiers. Cette solution pragmatique évite que l’impossibilité d’identifier les héritiers ne paralyse définitivement la procédure.

B. La notification collective au domicile du défunt

La Cour de cassation prévoit une voie subsidiaire « en cas d’impossibilité d’accomplissement des formalités décrites précédemment ». Elle admet que la décision de radiation puisse être notifiée ou signifiée « au domicile du défunt, à ses héritiers et représentants collectivement et sans désignation de noms et qualités ».

Cette solution s’inspire des règles prévues par l’article 659 du code de procédure civile en matière de signification à personne de demeure inconnue. Elle permet de faire courir le délai de péremption même lorsque les recherches pour identifier les héritiers ont échoué. L’arrêt précise que cette modalité est admise « notamment faute de connaissance du notaire chargé de la succession ou lorsqu’aucune de ces démarches n’a pu aboutir ».

En l’espèce, le dossier ne comportait « aucun élément permettant de justifier de la notification ou de la signification de l’arrêt de radiation du 31 mars 2021 aux héritiers ». La Cour en déduit que le délai de péremption n’avait pas recommencé à courir et rejette la demande de constatation de la péremption. La décision clarifie ainsi le régime applicable au décès d’une partie devant la Cour de cassation et offre aux praticiens un guide procédural précis pour la notification des décisions de radiation aux héritiers.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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