Cour d’appel de Douai, le 4 septembre 2025, n°22/00380

Un copropriétaire peut-il être contraint de régler des charges dont la justification demeure incomplète ou des frais de recouvrement disproportionnés au regard de la créance poursuivie ? Telle est la question tranchée par la Cour d’appel de Douai dans un arrêt du 4 septembre 2025.

Les faits de l’espèce sont les suivants. Un particulier est propriétaire d’un appartement et de deux garages au sein d’une résidence soumise au statut de la copropriété. Le syndic lui délivre un commandement de payer la somme de 5 252,59 euros au titre d’un arriéré de charges. Le copropriétaire assigne alors le syndicat des copropriétaires afin d’obtenir la justification des sommes réclamées et le paiement de dommages et intérêts. Par jugement du 15 novembre 2021, le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Lille condamne le copropriétaire à payer la somme de 4 564,28 euros et rejette sa demande indemnitaire. Le copropriétaire interjette appel, contestant certaines charges et frais de recouvrement inscrits au décompte. En cause d’appel, le syndicat des copropriétaires sollicite la condamnation de l’appelant au paiement de la somme de 14 520,24 euros selon un décompte actualisé.

La question posée à la Cour d’appel de Douai était double. D’une part, il s’agissait de déterminer si le syndicat des copropriétaires avait suffisamment justifié les charges appelées. D’autre part, la cour devait apprécier si les frais de recouvrement imputés au copropriétaire répondaient à l’exigence de nécessité prévue par l’article 10-1 de la loi du 10 juillet 1965.

La cour d’appel réforme partiellement le jugement. Elle condamne le copropriétaire au paiement de 11 393,38 euros, après déduction de 3 126,87 euros correspondant à des charges insuffisamment justifiées et à des frais de recouvrement frustratoires ou non explicités. Elle rejette la demande de dommages et intérêts du copropriétaire et le condamne aux dépens ainsi qu’à 2 000 euros de frais irrépétibles.

Cet arrêt présente un intérêt certain en ce qu’il rappelle avec précision les conditions de recouvrement des charges de copropriété (I) et qu’il délimite rigoureusement le périmètre des frais imputables au copropriétaire défaillant (II).

I. L’exigence d’une justification complète des charges de copropriété

La décision illustre le contrôle exercé par le juge sur la preuve de l’exigibilité des charges (A), avant de préciser les conséquences attachées à l’insuffisance de justification (B).

A. Le contrôle judiciaire de la preuve des charges appelées

La cour d’appel rappelle le principe selon lequel « il incombe au syndicat des copropriétaires qui poursuit le recouvrement de charges de copropriété d’établir que celles-ci sont dues ». Elle précise que cette preuve suppose la production « du procès-verbal de l’assemblée générale approuvant les comptes de l’exercice correspondant, les documents comptables et le décompte de répartition des charges litigieuses ».

Cette exigence probatoire s’inscrit dans une jurisprudence constante de la Cour de cassation, la cour d’appel citant expressément les arrêts du 11 décembre 2012 et du 24 octobre 2019. L’approbation des comptes par une assemblée générale non contestée s’oppose à ce qu’un copropriétaire refuse le paiement des charges correspondantes. Toutefois, cette règle connaît une limite : l’intéressé conserve la faculté de contester son décompte individuel.

En l’espèce, la cour vérifie méthodiquement la cohérence entre les appels de fonds et les décisions d’assemblée générale. Elle examine chaque écriture comptable contestée et recherche si une résolution votée en justifie le bien-fondé. Cette démarche analytique témoigne du rôle actif du juge dans le contrôle de la régularité des charges appelées.

B. La sanction de l’insuffisance de justification

La cour d’appel déduit du décompte litigieux plusieurs sommes dont la justification apparaît insuffisante. Elle retient notamment que les appels de fonds relatifs à la « réfection des joints » et à la « réfection des sols de balcons » ne permettent pas de « se convaincre que la clef de répartition retenue intègre les lots » du copropriétaire, ou qu’« aucune pièce produite ne permet de vérifier l’adoption en assemblée générale et le coût prévisionnel » des travaux.

Cette solution s’inscrit dans la logique protectrice du statut de la copropriété. Le copropriétaire ne saurait être tenu de régler des sommes dont l’origine demeure obscure. La charge de la preuve pèse entièrement sur le syndicat des copropriétaires. L’insuffisance documentaire entraîne mécaniquement le rejet de la créance correspondante.

L’arrêt opère toutefois une distinction. Lorsqu’une résolution d’assemblée générale non contestée autorise expressément des travaux selon une clef de répartition identifiée, le copropriétaire ne peut utilement contester les appels de fonds correspondants. La cour relève ainsi que « c’est à tort que M. [Y] soutient que les appels de fonds opérés sous le libellé ‘Appel réfection pignon’ ne le concernent pas », dès lors que la résolution litigieuse n’a été « ni annulée ni même contestée ».

II. L’encadrement strict des frais de recouvrement imputables au copropriétaire

L’arrêt délimite avec précision les frais susceptibles d’être mis à la charge du copropriétaire défaillant (A) et sanctionne les frais frustratoires ou non justifiés (B).

A. La notion de frais nécessaires au recouvrement

La cour d’appel rappelle les dispositions de l’article 10-1 de la loi du 10 juillet 1965, qui permet d’imputer au seul copropriétaire concerné « les frais nécessaires exposés par le syndicat, notamment les frais de mise en demeure, de relance et de prise d’hypothèque ». Elle précise que ces frais « doivent être réellement nécessaires au recouvrement d’une créance justifiée » et que n’y entrent pas « ceux qui relèvent de l’administration courante du syndicat des copropriétaires, des frais irrépétibles ou encore des dépens ».

Cette interprétation restrictive traduit le souci de préserver un équilibre entre l’efficacité du recouvrement et la protection du copropriétaire contre des frais excessifs. Le critère de nécessité impose au syndicat de démontrer non seulement la réalité des frais exposés, mais également leur utilité dans le processus de recouvrement.

La cour valide ainsi les mises en demeure espacées dans le temps et dûment justifiées par des factures et courriers. Elle admet également le coût du commandement de payer, « directement destiné au recouvrement de la somme litigieuse ».

B. L’exclusion des frais frustratoires et non explicités

La cour d’appel procède à un examen individuel de chaque poste contesté. Elle qualifie de frustratoires les relances intervenues dans un délai trop proche d’une précédente mise en demeure. Elle retient ainsi qu’une relance facturée 21 euros, adressée un mois après une mise en demeure, « s’analyse en des frais frustratoires au regard de la proximité de la précédente mise en demeure ».

Elle exclut également les frais dont le libellé demeure inexpliqué. Les écritures intitulées « Intérêts », « Constitution dr Huis » ou « Sommation de payer » sont écartées faute de pièces justificatives. De même, les sommes relatives au « Suivi de procédure en recouvrement » sont qualifiées de frais d’administration courante du syndic et donc exclues du champ de l’article 10-1.

La portée de cette décision est significative. Elle invite les syndicats de copropriétaires et leurs syndics à documenter rigoureusement chaque frais de recouvrement et à espacer raisonnablement les relances. Elle rappelle que le copropriétaire défaillant ne saurait devenir le débiteur de frais étrangers au recouvrement proprement dit, tels que les honoraires d’avocat relevant des frais irrépétibles ou les frais de suivi administratif du dossier.

L’arrêt rejette enfin la demande de dommages et intérêts formée par le copropriétaire. La cour considère que les erreurs constatées dans le décompte n’ont pas « dégénéré en abus » et que le lien de causalité entre les manquements allégués et le préjudice invoqué n’est pas établi. Cette solution confirme que la simple inexactitude d’un décompte ne suffit pas à caractériser une faute génératrice de responsabilité délictuelle.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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