Cour d’appel de Caen, le 3 juillet 2025, n°24/00526
L’exécution d’une obligation peut priver un litige de son objet, mais laisse subsister la question de la charge des dépens. L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Caen le 3 juillet 2025 illustre cette situation où le règlement intégral d’une dette locative en cours d’instance d’appel conduit la juridiction à constater l’extinction du litige au fond.
En l’espèce, un établissement public a consenti un bail d’habitation le 10 mars 2020 moyennant un loyer mensuel de 369 euros outre les charges. Face à des impayés, le bailleur a fait délivrer le 20 janvier 2022 un commandement de payer la somme de 1 736,04 euros visant la clause résolutoire. Ce commandement étant demeuré infructueux, le bailleur a assigné la locataire le 7 octobre 2022 devant le juge des contentieux de la protection.
Par jugement du 19 décembre 2023, le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Caen a constaté la résiliation de plein droit du bail à la date du 20 mars 2022, ordonné l’expulsion de la locataire et l’a condamnée au paiement de 8 090,68 euros au titre des arriérés, outre une indemnité d’occupation mensuelle. La locataire a interjeté appel le 1er mars 2024.
Devant la cour d’appel, l’appelante sollicitait l’infirmation du jugement et demandait que la clause résolutoire soit déclarée non applicable, arguant du paiement intégral de sa dette. Le bailleur intimé concluait à la confirmation du jugement et réclamait 1 000 euros au titre des frais irrépétibles. Il était établi que les parties avaient signé un nouveau bail le 30 septembre 2024 et que la locataire justifiait d’un solde créditeur de 4 268 euros au 14 octobre 2024.
La question posée à la Cour d’appel de Caen était de déterminer les conséquences du règlement intégral de la dette locative intervenu en cours d’instance d’appel, tant sur les demandes au fond que sur la charge des dépens.
La Cour d’appel de Caen constate que « les demandes de résiliation du bail, de libération des lieux et la demande en paiement sont devenues sans objet ». Elle confirme néanmoins le jugement quant aux dépens et condamne la locataire aux dépens d’appel au motif qu’« elle ne conteste pas n’avoir réglé sa dette locative que postérieurement à son appel ».
L’intérêt de cette décision réside dans l’articulation entre l’extinction du litige au fond et le maintien des conséquences procédurales à la charge de la partie qui a tardé à exécuter son obligation. La cour consacre une dissociation entre l’objet du litige et la responsabilité procédurale (I), tout en aménageant les conséquences financières accessoires au bénéfice de la partie défaillante (II).
I. La dissociation entre l’extinction du litige et la persistance de la responsabilité procédurale
La cour opère une distinction nette entre le sort des demandes au fond devenues sans objet (A) et la détermination de la partie à laquelle incombe la charge des dépens (B).
A. Le constat du défaut d’objet des demandes au fond
La Cour d’appel de Caen relève que « les parties ont signé un nouveau bail le 30 septembre 2024 » et que la locataire justifie « d’un solde créditeur de 4.268 euros au 14 octobre 2024 ». Ces circonstances nouvelles, survenues postérieurement à l’appel, privent les demandes initiales de leur fondement. Le bailleur ne peut plus solliciter la résiliation d’un bail auquel un nouveau contrat s’est substitué. Il ne peut davantage réclamer l’expulsion d’une locataire redevenue titulaire d’un titre régulier d’occupation. La demande en paiement devient elle-même sans objet dès lors que la créance est éteinte.
Cette solution s’inscrit dans la jurisprudence constante selon laquelle le juge ne statue que sur des demandes présentant un intérêt actuel. L’exécution volontaire de l’obligation litigieuse fait disparaître le différend qui justifiait l’intervention judiciaire. La cour ne prononce donc ni infirmation ni confirmation sur le fond, mais se borne à constater que les prétentions des parties sont devenues sans objet.
B. L’imputation des dépens à la partie tardivement diligente
La reconnaissance du défaut d’objet n’emporte pas pour autant une issue neutre sur le plan procédural. La cour rappelle l’article 696 du code de procédure civile selon lequel « la partie perdante est condamnée aux dépens ». Elle juge que la locataire « doit supporter la charge des dépens dès lors qu’elle ne conteste pas n’avoir réglé sa dette locative que postérieurement à son appel ».
Le raisonnement de la cour repose sur une appréciation de la cause du litige. La procédure n’a été engagée qu’en raison de la défaillance de la locataire. Si celle-ci s’est finalement acquittée de sa dette, ce règlement est intervenu plus de deux ans après le commandement de payer et après que deux décisions de justice ont été rendues. La diligence tardive ne saurait faire supporter au bailleur les frais d’une procédure que le comportement de la locataire a rendue nécessaire.
Cette solution est conforme au principe selon lequel la succombance s’apprécie au regard de l’origine du litige et non de son issue formelle. Le débiteur qui contraint son créancier à agir en justice puis s’exécute en cours d’instance demeure la partie qui a rendu le procès nécessaire.
II. L’aménagement des conséquences financières accessoires
Si la cour met les dépens à la charge de la locataire, elle refuse d’accorder au bailleur l’indemnité sollicitée au titre des frais irrépétibles (A), adoptant ainsi une solution équilibrée dont la portée mérite d’être précisée (B).
A. Le rejet de la demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile
Le bailleur sollicitait la condamnation de l’appelante au paiement de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile. La cour rejette cette demande au motif qu’« il n’apparaît pas inéquitable que l’EPIC supporte ses frais irrépétibles ».
Cette solution traduit l’exercice du pouvoir d’appréciation reconnu au juge par l’article 700 du code de procédure civile. La condamnation aux frais irrépétibles n’est pas automatique et suppose que l’équité commande de faire supporter à une partie les frais non compris dans les dépens que l’autre partie a exposés.
En l’espèce, plusieurs éléments peuvent expliquer cette décision. La locataire bénéficie de l’aide juridictionnelle totale, ce qui atteste de sa situation financière précaire. Elle a finalement réglé l’intégralité de sa dette et présente même un solde créditeur significatif. Les parties ont conclu un nouveau bail, témoignant de la normalisation de leurs relations. Dans ces circonstances, condamner la locataire à verser une somme supplémentaire au bailleur aurait pu apparaître disproportionné.
B. La portée d’une solution équilibrée
L’arrêt de la Cour d’appel de Caen du 3 juillet 2025 présente un intérêt pratique certain en ce qu’il précise le régime applicable lorsqu’un litige locatif s’éteint par l’exécution volontaire du débiteur. La cour refuse de faire produire à cette exécution tardive un effet rétroactif qui effacerait la responsabilité procédurale de la partie défaillante.
La solution retenue constitue un compromis. Le bailleur obtient les dépens des deux instances, ce qui lui permet de recouvrer les frais directement liés à la procédure. Il perd en revanche la possibilité de récupérer ses honoraires d’avocat et autres frais irrépétibles. Ce partage présente l’avantage de ne pas décourager le règlement amiable des litiges en cours d’instance. Une règle trop sévère pour le débiteur qui s’exécute tardivement pourrait inciter certains à poursuivre une procédure devenue vaine plutôt qu’à régler leur dette.
La décision s’inscrit dans une tendance jurisprudentielle favorable aux solutions pragmatiques en matière de bail d’habitation. L’objectif du droit au logement, principe à valeur constitutionnelle, invite les juridictions à tenir compte de la situation concrète des parties et à privilégier les issues permettant le maintien du locataire dans les lieux lorsque les conditions d’une reprise normale des relations contractuelles sont réunies.
L’exécution d’une obligation peut priver un litige de son objet, mais laisse subsister la question de la charge des dépens. L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Caen le 3 juillet 2025 illustre cette situation où le règlement intégral d’une dette locative en cours d’instance d’appel conduit la juridiction à constater l’extinction du litige au fond.
En l’espèce, un établissement public a consenti un bail d’habitation le 10 mars 2020 moyennant un loyer mensuel de 369 euros outre les charges. Face à des impayés, le bailleur a fait délivrer le 20 janvier 2022 un commandement de payer la somme de 1 736,04 euros visant la clause résolutoire. Ce commandement étant demeuré infructueux, le bailleur a assigné la locataire le 7 octobre 2022 devant le juge des contentieux de la protection.
Par jugement du 19 décembre 2023, le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Caen a constaté la résiliation de plein droit du bail à la date du 20 mars 2022, ordonné l’expulsion de la locataire et l’a condamnée au paiement de 8 090,68 euros au titre des arriérés, outre une indemnité d’occupation mensuelle. La locataire a interjeté appel le 1er mars 2024.
Devant la cour d’appel, l’appelante sollicitait l’infirmation du jugement et demandait que la clause résolutoire soit déclarée non applicable, arguant du paiement intégral de sa dette. Le bailleur intimé concluait à la confirmation du jugement et réclamait 1 000 euros au titre des frais irrépétibles. Il était établi que les parties avaient signé un nouveau bail le 30 septembre 2024 et que la locataire justifiait d’un solde créditeur de 4 268 euros au 14 octobre 2024.
La question posée à la Cour d’appel de Caen était de déterminer les conséquences du règlement intégral de la dette locative intervenu en cours d’instance d’appel, tant sur les demandes au fond que sur la charge des dépens.
La Cour d’appel de Caen constate que « les demandes de résiliation du bail, de libération des lieux et la demande en paiement sont devenues sans objet ». Elle confirme néanmoins le jugement quant aux dépens et condamne la locataire aux dépens d’appel au motif qu’« elle ne conteste pas n’avoir réglé sa dette locative que postérieurement à son appel ».
L’intérêt de cette décision réside dans l’articulation entre l’extinction du litige au fond et le maintien des conséquences procédurales à la charge de la partie qui a tardé à exécuter son obligation. La cour consacre une dissociation entre l’objet du litige et la responsabilité procédurale (I), tout en aménageant les conséquences financières accessoires au bénéfice de la partie défaillante (II).
I. La dissociation entre l’extinction du litige et la persistance de la responsabilité procédurale
La cour opère une distinction nette entre le sort des demandes au fond devenues sans objet (A) et la détermination de la partie à laquelle incombe la charge des dépens (B).
A. Le constat du défaut d’objet des demandes au fond
La Cour d’appel de Caen relève que « les parties ont signé un nouveau bail le 30 septembre 2024 » et que la locataire justifie « d’un solde créditeur de 4.268 euros au 14 octobre 2024 ». Ces circonstances nouvelles, survenues postérieurement à l’appel, privent les demandes initiales de leur fondement. Le bailleur ne peut plus solliciter la résiliation d’un bail auquel un nouveau contrat s’est substitué. Il ne peut davantage réclamer l’expulsion d’une locataire redevenue titulaire d’un titre régulier d’occupation. La demande en paiement devient elle-même sans objet dès lors que la créance est éteinte.
Cette solution s’inscrit dans la jurisprudence constante selon laquelle le juge ne statue que sur des demandes présentant un intérêt actuel. L’exécution volontaire de l’obligation litigieuse fait disparaître le différend qui justifiait l’intervention judiciaire. La cour ne prononce donc ni infirmation ni confirmation sur le fond, mais se borne à constater que les prétentions des parties sont devenues sans objet.
B. L’imputation des dépens à la partie tardivement diligente
La reconnaissance du défaut d’objet n’emporte pas pour autant une issue neutre sur le plan procédural. La cour rappelle l’article 696 du code de procédure civile selon lequel « la partie perdante est condamnée aux dépens ». Elle juge que la locataire « doit supporter la charge des dépens dès lors qu’elle ne conteste pas n’avoir réglé sa dette locative que postérieurement à son appel ».
Le raisonnement de la cour repose sur une appréciation de la cause du litige. La procédure n’a été engagée qu’en raison de la défaillance de la locataire. Si celle-ci s’est finalement acquittée de sa dette, ce règlement est intervenu plus de deux ans après le commandement de payer et après que deux décisions de justice ont été rendues. La diligence tardive ne saurait faire supporter au bailleur les frais d’une procédure que le comportement de la locataire a rendue nécessaire.
Cette solution est conforme au principe selon lequel la succombance s’apprécie au regard de l’origine du litige et non de son issue formelle. Le débiteur qui contraint son créancier à agir en justice puis s’exécute en cours d’instance demeure la partie qui a rendu le procès nécessaire.
II. L’aménagement des conséquences financières accessoires
Si la cour met les dépens à la charge de la locataire, elle refuse d’accorder au bailleur l’indemnité sollicitée au titre des frais irrépétibles (A), adoptant ainsi une solution équilibrée dont la portée mérite d’être précisée (B).
A. Le rejet de la demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile
Le bailleur sollicitait la condamnation de l’appelante au paiement de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile. La cour rejette cette demande au motif qu’« il n’apparaît pas inéquitable que l’EPIC supporte ses frais irrépétibles ».
Cette solution traduit l’exercice du pouvoir d’appréciation reconnu au juge par l’article 700 du code de procédure civile. La condamnation aux frais irrépétibles n’est pas automatique et suppose que l’équité commande de faire supporter à une partie les frais non compris dans les dépens que l’autre partie a exposés.
En l’espèce, plusieurs éléments peuvent expliquer cette décision. La locataire bénéficie de l’aide juridictionnelle totale, ce qui atteste de sa situation financière précaire. Elle a finalement réglé l’intégralité de sa dette et présente même un solde créditeur significatif. Les parties ont conclu un nouveau bail, témoignant de la normalisation de leurs relations. Dans ces circonstances, condamner la locataire à verser une somme supplémentaire au bailleur aurait pu apparaître disproportionné.
B. La portée d’une solution équilibrée
L’arrêt de la Cour d’appel de Caen du 3 juillet 2025 présente un intérêt pratique certain en ce qu’il précise le régime applicable lorsqu’un litige locatif s’éteint par l’exécution volontaire du débiteur. La cour refuse de faire produire à cette exécution tardive un effet rétroactif qui effacerait la responsabilité procédurale de la partie défaillante.
La solution retenue constitue un compromis. Le bailleur obtient les dépens des deux instances, ce qui lui permet de recouvrer les frais directement liés à la procédure. Il perd en revanche la possibilité de récupérer ses honoraires d’avocat et autres frais irrépétibles. Ce partage présente l’avantage de ne pas décourager le règlement amiable des litiges en cours d’instance. Une règle trop sévère pour le débiteur qui s’exécute tardivement pourrait inciter certains à poursuivre une procédure devenue vaine plutôt qu’à régler leur dette.
La décision s’inscrit dans une tendance jurisprudentielle favorable aux solutions pragmatiques en matière de bail d’habitation. L’objectif du droit au logement, principe à valeur constitutionnelle, invite les juridictions à tenir compte de la situation concrète des parties et à privilégier les issues permettant le maintien du locataire dans les lieux lorsque les conditions d’une reprise normale des relations contractuelles sont réunies.