Cour d’appel de Reims, le 9 septembre 2025, n°24/01725
Par un arrêt du 9 septembre 2025, la Cour d’appel de Reims statue sur un litige opposant une locataire à une société civile immobilière, à propos de la résiliation d’un bail d’habitation et de l’expulsion subséquente. Cette décision illustre les conditions d’acquisition de la clause résolutoire en matière de bail d’habitation, tant sur le fondement du défaut d’assurance que sur celui des loyers impayés.
Les faits de l’espèce sont les suivants. Par acte sous seing privé du 13 mars 2020, une société civile immobilière a donné à bail à une locataire un logement moyennant un loyer mensuel de 1 330 euros charges comprises. Le 6 octobre 2022, la bailleresse a fait délivrer un commandement de payer les loyers et de justifier de l’assurance, visant la clause résolutoire. Par acte du 4 mai 2023, elle a fait assigner la locataire devant le juge des contentieux de la protection aux fins d’obtenir la résiliation du bail et l’expulsion.
Par ordonnance de référé du 25 octobre 2024, le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Troyes a constaté l’acquisition de la clause résolutoire au 7 novembre 2023 pour défaut de justification de l’assurance, ordonné l’expulsion de la locataire, mais dit n’y avoir lieu à référé sur les demandes de condamnation au paiement de l’arriéré locatif et des indemnités d’occupation. La locataire a interjeté appel de cette décision le 20 novembre 2024, sollicitant l’infirmation des chefs relatifs à l’acquisition de la clause résolutoire et à l’expulsion. La société civile immobilière a formé appel incident, demandant la confirmation de l’expulsion et la condamnation de la locataire au paiement de la somme de 34 580 euros au titre des loyers impayés.
La question de droit soumise à la Cour d’appel de Reims était double. Il s’agissait de déterminer, d’une part, si la clause résolutoire pour défaut d’assurance peut être acquise lorsque le locataire prouve que le logement était effectivement assuré, bien qu’il n’ait pas transmis les justificatifs dans le délai imparti. D’autre part, la cour devait rechercher si l’existence de désordres affectant le logement constitue une contestation sérieuse de nature à faire obstacle à l’acquisition de la clause résolutoire pour impayés de loyers.
La Cour d’appel de Reims infirme partiellement l’ordonnance entreprise. Elle juge que « lorsque la clause résolutoire vise le défaut d’assurance et non l’absence de justification d’assurance, le juge ne peut retenir l’acquisition de la clause résolutoire si le locataire prouve que le logement était assuré antérieurement à la délivrance du commandement ». La locataire ayant produit les attestations d’assurance pour les années 2020 à 2024, la cour écarte l’acquisition de la clause sur ce fondement. En revanche, s’agissant des loyers impayés, la cour constate que « les désordres avancés alors ne rendaient pas le logement inhabitable puisqu’ils ne touchaient pas des pièces de vie et que celle-ci n’avait pas été autorisée à suspendre le paiement des loyers ». Elle en déduit qu’il n’existe aucune contestation sérieuse et constate l’acquisition de la clause résolutoire au 7 décembre 2022. La locataire est condamnée à payer la somme provisionnelle de 41 230 euros au titre des loyers et indemnités d’occupation.
Cette décision mérite analyse en ce qu’elle précise les conditions d’acquisition de la clause résolutoire pour défaut d’assurance (I) et qu’elle confirme le caractère inopérant de l’exception d’inexécution tirée de désordres ne rendant pas le logement inhabitable (II).
I. La distinction entre défaut d’assurance et défaut de justification d’assurance
L’arrêt commenté opère une distinction fondamentale entre deux situations juridiquement distinctes. La cour rappelle que le juge doit apprécier strictement les termes de la clause résolutoire (A), ce qui conduit à écarter l’acquisition de la clause lorsque le locataire démontre l’existence effective de l’assurance (B).
A. L’appréciation stricte des termes de la clause résolutoire
La Cour d’appel de Reims procède à une analyse rigoureuse des termes de la clause résolutoire stipulée au bail. Elle relève que cette clause prévoit la résiliation « un mois après un commandement demeuré infructueux à défaut d’assurance contre les risques locatifs ». La cour en déduit que « la résiliation du bail sanctionne le défaut d’assurance du logement et non pas le défaut de justificatif de l’assurance du logement ».
Cette interprétation s’inscrit dans la jurisprudence établie de la Cour de cassation, qui impose une appréciation stricte des clauses résolutoires. La troisième chambre civile considère de manière constante que les clauses résolutoires, en raison de leur gravité, doivent être interprétées restrictivement. Le juge ne peut étendre le champ d’application de la clause au-delà de ce que les parties ont expressément prévu.
En l’espèce, la clause ne visait pas le défaut de transmission des justificatifs d’assurance dans un délai déterminé, mais bien le défaut d’assurance lui-même. Le commandement délivré le 6 octobre 2022 faisait d’ailleurs commandement à la locataire de « justifier de la souscription d’une assurance » et non de remettre une attestation. La cour tire les conséquences de cette rédaction en exigeant la preuve du défaut d’assurance pour prononcer la résiliation.
B. L’efficacité de la preuve a posteriori de l’existence de l’assurance
La solution retenue par la Cour d’appel de Reims permet au locataire de paralyser l’acquisition de la clause résolutoire en démontrant, même tardivement, que le logement était effectivement assuré à la date du commandement. La cour constate en effet que « Mme [S] justifie que le logement était assuré, celle-ci versant aux débats les attestations d’assurance 2020, 2021, 2022, 2023 et 2024 ».
Cette solution apparaît conforme à l’économie générale de la clause résolutoire en matière d’assurance. L’article 7 g) de la loi du 6 juillet 1989 impose au locataire de s’assurer contre les risques dont il doit répondre en sa qualité de locataire. L’obligation de justification annuelle constitue une obligation accessoire, destinée à permettre au bailleur de vérifier le respect de l’obligation principale. La sanction de la résiliation vise à protéger le bailleur contre le risque d’un sinistre non couvert par une assurance. Dès lors que ce risque n’existe pas, le locataire ayant effectivement souscrit une assurance, la résiliation perd sa justification.
La portée de cette décision doit cependant être mesurée. Elle ne dispense pas le locataire de son obligation de transmettre les attestations d’assurance à la demande du bailleur. Elle signifie seulement que le non-respect de cette obligation formelle ne peut entraîner la résiliation du bail lorsque l’obligation substantielle d’assurance est respectée.
II. L’inefficacité de l’exception d’inexécution en présence de désordres non privatifs de jouissance
La Cour d’appel de Reims rejette l’argumentation de la locataire fondée sur l’exception d’inexécution. Elle considère que les désordres invoqués ne constituent pas une contestation sérieuse (A) et confirme ainsi les conditions restrictives de la suspension du paiement des loyers (B).
A. L’absence de contestation sérieuse tirée des désordres affectant les parties non habitables
La locataire invoquait l’existence de désordres affectant le logement, notamment des problèmes d’humidité, pour justifier le non-paiement des loyers. La cour écarte cette argumentation en relevant que « les désordres avancés alors ne rendaient pas le logement inhabitable puisqu’ils ne touchaient pas des pièces de vie ».
L’analyse des pièces versées aux débats révèle que les réclamations de la locataire portaient sur des éléments périphériques : taille d’un arbre, tonte du gazon, remplacement de lampes, réparation d’un grillage, débouchage de canalisations ou encore problèmes dans le cellier et le garage. La cour souligne que ces désordres, pour regrettables qu’ils soient, n’affectaient pas les pièces de vie du logement et ne le rendaient pas impropre à sa destination.
Cette appréciation s’inscrit dans la jurisprudence constante qui distingue les désordres rendant le logement inhabitable de ceux qui constituent de simples inconvénients. Seuls les premiers peuvent justifier une suspension totale ou partielle du paiement des loyers. Les seconds ouvrent droit, le cas échéant, à une réduction du loyer ou à des dommages-intérêts, mais ne dispensent pas le locataire de son obligation principale de paiement.
B. L’exigence d’une autorisation judiciaire préalable à la suspension des loyers
La Cour d’appel de Reims relève que la locataire « n’avait pas été autorisée à suspendre le paiement des loyers ». Cette précision rappelle que le locataire ne peut, de sa propre autorité, décider de suspendre le paiement du loyer au motif que le bailleur n’exécuterait pas ses propres obligations.
L’exception d’inexécution, mécanisme de droit commun des contrats synallagmatiques, connaît en matière de bail d’habitation une application encadrée par la jurisprudence. La Cour de cassation admet que le locataire puisse suspendre le paiement des loyers lorsque le logement est devenu totalement impropre à l’habitation. En dehors de cette hypothèse extrême, la suspension unilatérale des loyers expose le locataire à la résiliation du bail pour non-paiement.
La cour relève en outre que les constats d’huissier produits par la locataire ont été établis les 31 mai 2024 et 30 mai 2025, soit postérieurement à l’introduction de l’instance. Ces constats, s’ils établissent l’existence de désordres, ne permettent pas d’établir que ces désordres existaient à la date du commandement de payer du 6 octobre 2022, ni qu’ils sont imputables à une faute de la bailleresse. La cour en conclut qu’il n’existe « aucune contestation sérieuse justifiant le renvoi de l’affaire au fond » et constate l’acquisition de la clause résolutoire au 7 décembre 2022.
Par un arrêt du 9 septembre 2025, la Cour d’appel de Reims statue sur un litige opposant une locataire à une société civile immobilière, à propos de la résiliation d’un bail d’habitation et de l’expulsion subséquente. Cette décision illustre les conditions d’acquisition de la clause résolutoire en matière de bail d’habitation, tant sur le fondement du défaut d’assurance que sur celui des loyers impayés.
Les faits de l’espèce sont les suivants. Par acte sous seing privé du 13 mars 2020, une société civile immobilière a donné à bail à une locataire un logement moyennant un loyer mensuel de 1 330 euros charges comprises. Le 6 octobre 2022, la bailleresse a fait délivrer un commandement de payer les loyers et de justifier de l’assurance, visant la clause résolutoire. Par acte du 4 mai 2023, elle a fait assigner la locataire devant le juge des contentieux de la protection aux fins d’obtenir la résiliation du bail et l’expulsion.
Par ordonnance de référé du 25 octobre 2024, le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Troyes a constaté l’acquisition de la clause résolutoire au 7 novembre 2023 pour défaut de justification de l’assurance, ordonné l’expulsion de la locataire, mais dit n’y avoir lieu à référé sur les demandes de condamnation au paiement de l’arriéré locatif et des indemnités d’occupation. La locataire a interjeté appel de cette décision le 20 novembre 2024, sollicitant l’infirmation des chefs relatifs à l’acquisition de la clause résolutoire et à l’expulsion. La société civile immobilière a formé appel incident, demandant la confirmation de l’expulsion et la condamnation de la locataire au paiement de la somme de 34 580 euros au titre des loyers impayés.
La question de droit soumise à la Cour d’appel de Reims était double. Il s’agissait de déterminer, d’une part, si la clause résolutoire pour défaut d’assurance peut être acquise lorsque le locataire prouve que le logement était effectivement assuré, bien qu’il n’ait pas transmis les justificatifs dans le délai imparti. D’autre part, la cour devait rechercher si l’existence de désordres affectant le logement constitue une contestation sérieuse de nature à faire obstacle à l’acquisition de la clause résolutoire pour impayés de loyers.
La Cour d’appel de Reims infirme partiellement l’ordonnance entreprise. Elle juge que « lorsque la clause résolutoire vise le défaut d’assurance et non l’absence de justification d’assurance, le juge ne peut retenir l’acquisition de la clause résolutoire si le locataire prouve que le logement était assuré antérieurement à la délivrance du commandement ». La locataire ayant produit les attestations d’assurance pour les années 2020 à 2024, la cour écarte l’acquisition de la clause sur ce fondement. En revanche, s’agissant des loyers impayés, la cour constate que « les désordres avancés alors ne rendaient pas le logement inhabitable puisqu’ils ne touchaient pas des pièces de vie et que celle-ci n’avait pas été autorisée à suspendre le paiement des loyers ». Elle en déduit qu’il n’existe aucune contestation sérieuse et constate l’acquisition de la clause résolutoire au 7 décembre 2022. La locataire est condamnée à payer la somme provisionnelle de 41 230 euros au titre des loyers et indemnités d’occupation.
Cette décision mérite analyse en ce qu’elle précise les conditions d’acquisition de la clause résolutoire pour défaut d’assurance (I) et qu’elle confirme le caractère inopérant de l’exception d’inexécution tirée de désordres ne rendant pas le logement inhabitable (II).
I. La distinction entre défaut d’assurance et défaut de justification d’assurance
L’arrêt commenté opère une distinction fondamentale entre deux situations juridiquement distinctes. La cour rappelle que le juge doit apprécier strictement les termes de la clause résolutoire (A), ce qui conduit à écarter l’acquisition de la clause lorsque le locataire démontre l’existence effective de l’assurance (B).
A. L’appréciation stricte des termes de la clause résolutoire
La Cour d’appel de Reims procède à une analyse rigoureuse des termes de la clause résolutoire stipulée au bail. Elle relève que cette clause prévoit la résiliation « un mois après un commandement demeuré infructueux à défaut d’assurance contre les risques locatifs ». La cour en déduit que « la résiliation du bail sanctionne le défaut d’assurance du logement et non pas le défaut de justificatif de l’assurance du logement ».
Cette interprétation s’inscrit dans la jurisprudence établie de la Cour de cassation, qui impose une appréciation stricte des clauses résolutoires. La troisième chambre civile considère de manière constante que les clauses résolutoires, en raison de leur gravité, doivent être interprétées restrictivement. Le juge ne peut étendre le champ d’application de la clause au-delà de ce que les parties ont expressément prévu.
En l’espèce, la clause ne visait pas le défaut de transmission des justificatifs d’assurance dans un délai déterminé, mais bien le défaut d’assurance lui-même. Le commandement délivré le 6 octobre 2022 faisait d’ailleurs commandement à la locataire de « justifier de la souscription d’une assurance » et non de remettre une attestation. La cour tire les conséquences de cette rédaction en exigeant la preuve du défaut d’assurance pour prononcer la résiliation.
B. L’efficacité de la preuve a posteriori de l’existence de l’assurance
La solution retenue par la Cour d’appel de Reims permet au locataire de paralyser l’acquisition de la clause résolutoire en démontrant, même tardivement, que le logement était effectivement assuré à la date du commandement. La cour constate en effet que « Mme [S] justifie que le logement était assuré, celle-ci versant aux débats les attestations d’assurance 2020, 2021, 2022, 2023 et 2024 ».
Cette solution apparaît conforme à l’économie générale de la clause résolutoire en matière d’assurance. L’article 7 g) de la loi du 6 juillet 1989 impose au locataire de s’assurer contre les risques dont il doit répondre en sa qualité de locataire. L’obligation de justification annuelle constitue une obligation accessoire, destinée à permettre au bailleur de vérifier le respect de l’obligation principale. La sanction de la résiliation vise à protéger le bailleur contre le risque d’un sinistre non couvert par une assurance. Dès lors que ce risque n’existe pas, le locataire ayant effectivement souscrit une assurance, la résiliation perd sa justification.
La portée de cette décision doit cependant être mesurée. Elle ne dispense pas le locataire de son obligation de transmettre les attestations d’assurance à la demande du bailleur. Elle signifie seulement que le non-respect de cette obligation formelle ne peut entraîner la résiliation du bail lorsque l’obligation substantielle d’assurance est respectée.
II. L’inefficacité de l’exception d’inexécution en présence de désordres non privatifs de jouissance
La Cour d’appel de Reims rejette l’argumentation de la locataire fondée sur l’exception d’inexécution. Elle considère que les désordres invoqués ne constituent pas une contestation sérieuse (A) et confirme ainsi les conditions restrictives de la suspension du paiement des loyers (B).
A. L’absence de contestation sérieuse tirée des désordres affectant les parties non habitables
La locataire invoquait l’existence de désordres affectant le logement, notamment des problèmes d’humidité, pour justifier le non-paiement des loyers. La cour écarte cette argumentation en relevant que « les désordres avancés alors ne rendaient pas le logement inhabitable puisqu’ils ne touchaient pas des pièces de vie ».
L’analyse des pièces versées aux débats révèle que les réclamations de la locataire portaient sur des éléments périphériques : taille d’un arbre, tonte du gazon, remplacement de lampes, réparation d’un grillage, débouchage de canalisations ou encore problèmes dans le cellier et le garage. La cour souligne que ces désordres, pour regrettables qu’ils soient, n’affectaient pas les pièces de vie du logement et ne le rendaient pas impropre à sa destination.
Cette appréciation s’inscrit dans la jurisprudence constante qui distingue les désordres rendant le logement inhabitable de ceux qui constituent de simples inconvénients. Seuls les premiers peuvent justifier une suspension totale ou partielle du paiement des loyers. Les seconds ouvrent droit, le cas échéant, à une réduction du loyer ou à des dommages-intérêts, mais ne dispensent pas le locataire de son obligation principale de paiement.
B. L’exigence d’une autorisation judiciaire préalable à la suspension des loyers
La Cour d’appel de Reims relève que la locataire « n’avait pas été autorisée à suspendre le paiement des loyers ». Cette précision rappelle que le locataire ne peut, de sa propre autorité, décider de suspendre le paiement du loyer au motif que le bailleur n’exécuterait pas ses propres obligations.
L’exception d’inexécution, mécanisme de droit commun des contrats synallagmatiques, connaît en matière de bail d’habitation une application encadrée par la jurisprudence. La Cour de cassation admet que le locataire puisse suspendre le paiement des loyers lorsque le logement est devenu totalement impropre à l’habitation. En dehors de cette hypothèse extrême, la suspension unilatérale des loyers expose le locataire à la résiliation du bail pour non-paiement.
La cour relève en outre que les constats d’huissier produits par la locataire ont été établis les 31 mai 2024 et 30 mai 2025, soit postérieurement à l’introduction de l’instance. Ces constats, s’ils établissent l’existence de désordres, ne permettent pas d’établir que ces désordres existaient à la date du commandement de payer du 6 octobre 2022, ni qu’ils sont imputables à une faute de la bailleresse. La cour en conclut qu’il n’existe « aucune contestation sérieuse justifiant le renvoi de l’affaire au fond » et constate l’acquisition de la clause résolutoire au 7 décembre 2022.