Cour d’appel de Lyon, le 24 juillet 2025, n°21/07567

La cession de droits sociaux impliquant une promesse d’achat requiert un prix déterminé ou déterminable, sous peine de nullité. L’arrêt rendu le 24 juillet 2025 par la cour d’appel de Lyon illustre cette exigence fondamentale du droit des contrats appliquée aux pactes d’actionnaires.

Un fonds d’investissement et une société spécialisée dans les équipements de traitement thermique avaient conclu, le 20 juin 2017, un pacte d’actionnaires relatif à leur participation au capital d’une société de développement de technologies de gazéification. Ce pacte contenait une clause de liquidité incluant une promesse d’achat par la société industrielle de l’intégralité des titres détenus par le fonds. Le prix d’exercice devait être calculé selon une formule complexe intégrant notamment une valeur augmentée de la partie de la dette nette au-delà d’une dette nette de référence. Par courrier du 1er août 2018, le fonds a notifié l’exercice de cette promesse, sans toutefois indiquer de prix. La société cible a été placée en liquidation judiciaire le 27 décembre 2018. Face au refus de paiement, le fonds a assigné le promettant devant le tribunal de commerce de Lyon, qui, par jugement du 22 septembre 2021, a condamné ce dernier au paiement de la somme de 465 476,60 euros. Le promettant a interjeté appel.

La cour devait trancher plusieurs questions. La demande de nullité de la promesse d’achat, formulée pour la première fois en appel, constituait-elle une demande nouvelle irrecevable au sens de l’article 564 du code de procédure civile ? Le promettant avait-il qualité pour invoquer la nullité relative d’une promesse d’achat pour indétermination du prix ? Le prix d’exercice stipulé dans la promesse était-il suffisamment déterminable au sens de l’article 1591 du code civil ?

La cour d’appel de Lyon infirme le jugement en toutes ses dispositions. Elle rejette les fins de non-recevoir et prononce la nullité de la promesse d’achat au motif que la date de valorisation de l’endettement net n’est pas déterminée par le contrat, ce qui rend le prix indéterminable.

Cette décision mérite examen tant au regard de la recevabilité de la demande de nullité en cause d’appel (I) qu’au regard des conditions de validité du prix dans les promesses d’achat de droits sociaux (II).

I. La recevabilité de la demande de nullité de la promesse d’achat

La cour statue sur la recevabilité de la demande au regard de l’interdiction des prétentions nouvelles en appel (A) puis sur la qualité à agir du promettant (B).

A. Le rejet de la fin de non-recevoir tirée de la nouveauté de la demande

Le fonds investisseur soutenait que la demande de nullité constituait une prétention nouvelle irrecevable. En première instance, le promettant s’était contenté de solliciter le rejet des demandes adverses en excipant de l’indétermination du prix. En appel, il concluait expressément à la nullité de la promesse.

La cour rejette cette fin de non-recevoir en retenant que « le droit qui sert de fondement à la prétention formulée en appel par la société E.T.I.A. demeure identique à celui qu’elle avait invoqué en première instance puisque cette dernière avait excipé de la nullité de la promesse d’achat pour conclure au rejet de la demande en paiement ». Elle ajoute que « la demande de nullité de la promesse d’achat est formulée aux mêmes fins que la prétention originaire ».

Cette solution s’inscrit dans la jurisprudence classique relative aux articles 564 et 565 du code de procédure civile. L’article 565 précise que les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu’elles tendent aux mêmes fins, même si leur fondement juridique diffère. La cour fait également application de l’exception de l’article 564 permettant de soumettre des prétentions nouvelles pour faire écarter les prétentions adverses.

Le raisonnement de la cour paraît rigoureux. Le promettant avait développé l’argumentation relative à la nullité dans ses conclusions de première instance, le fonds ayant lui-même consacré plusieurs pages à y répondre. Seule manquait la formulation explicite de la demande dans le dispositif. La demande de nullité ne transforme pas radicalement le litige mais constitue la suite logique de l’exception soulevée. L’approche adoptée préserve le droit au procès équitable en permettant au plaideur de tirer les conséquences contentieuses d’un moyen de défense qu’il avait régulièrement invoqué.

B. La reconnaissance de la qualité à agir du promettant

Le fonds contestait également la qualité du promettant à invoquer la nullité relative. Il se prévalait d’un arrêt de la Cour de cassation du 22 mars 2016 selon lequel la nullité pour indétermination du prix protège le seul cédant, bénéficiaire de la contrepartie pécuniaire.

La cour écarte cette argumentation. Elle reconnaît que la nullité pour indétermination du prix est une nullité relative, conformément à la jurisprudence citée. Elle juge néanmoins que « l’action en nullité de la promesse unilatérale d’achat pour indétermination du prix ne tend pas à la seule protection des intérêts privés des cédants mais également à celle des intérêts du promettant, débiteur de l’obligation de payer le prix d’achat, dont l’exécution est impossible en cas de prix non déterminable ».

Cette motivation appelle une réflexion. L’article 1181 du code civil dispose que la nullité relative ne peut être demandée que par la partie que la loi entend protéger. Dans une cession à titre onéreux, l’exigence d’un prix déterminable vise traditionnellement à protéger le vendeur contre l’arbitraire de l’acheteur. La cour adopte une conception plus large en considérant que l’impossibilité d’exécuter l’obligation de payer un prix indéterminable justifie de reconnaître un intérêt à agir au débiteur de cette obligation. Cette analyse présente une certaine cohérence pratique puisque le promettant se trouve dans l’impossibilité matérielle d’exécuter une obligation dont le quantum ne peut être fixé.

II. L’annulation de la promesse pour indétermination du prix

La cour examine le caractère déterminable du prix (A) avant de rejeter la demande subsidiaire fondée sur le manquement à l’obligation de bonne foi (B).

A. L’exigence d’un prix objectivement déterminable

L’article 1591 du code civil dispose que le prix de la vente doit être déterminé par les parties. La jurisprudence admet que le prix soit simplement déterminable, à condition qu’il ne dépende pas de la seule volonté d’une partie ni d’un accord ultérieur.

La clause litigieuse prévoyait une formule de calcul sophistiquée. La valeur V correspondait à la valeur des titres « augmentée de la partie de la dette nette au-delà de la dette nette de référence indiquée dans la situation comptable au 31 décembre 2016 ». La cour relève deux difficultés. La valeur de la dette de référence mentionnée était erronée, comme le reconnaissait le fonds lui-même. Surtout, « l’absence de précision de la date de valorisation de la dette nette ne permet pas de déterminer la valeur V ».

La cour énumère les différentes dates qui auraient pu être retenues : date d’exercice de l’option, fin du mois précédent, date de paiement du prix ou date de clôture des comptes. Elle constate que le contrat ne tranche pas entre ces hypothèses. Elle observe que la lettre d’intention antérieure prévoyait expressément que les modalités de détermination seraient décidées d’un commun accord lors de la réalisation de l’opération. Le pacte définitif n’a pas apporté cette précision.

Cette analyse apparaît conforme aux principes gouvernant la détermination du prix. La formule contractuelle renvoyait à des données objectives mais laissait subsister une indétermination temporelle essentielle. L’endettement d’une société en difficulté évolue rapidement. Selon la date retenue, le prix pouvait varier significativement. Le fonds soutenait que la date de clôture des comptes s’imposait par l’usage comptable. La cour relève que le contrat renvoie à deux reprises à la date d’exercice de la promesse et non à la date de clôture. L’intention des parties ne pouvait donc être reconstituée avec certitude.

La solution retenue sanctionne la défaillance rédactionnelle d’un pacte d’actionnaires négocié par des professionnels assistés de conseils. Elle rappelle que la technicité d’une formule de prix ne dispense pas de la précision nécessaire à son application autonome.

B. Le rejet de la demande fondée sur l’obligation de renégociation

Le fonds invoquait subsidiairement l’article IV.8.4 du pacte qui prévoyait une obligation de concertation en cas de nullité d’une stipulation, afin que le pacte poursuive ses effets. Il reprochait au promettant de ne pas avoir remédié à la cause de nullité.

La cour rejette cette demande par une motivation lapidaire mais pertinente. Elle relève que le fonds « conclut à la parfaite validité de la promesse d’achat » et ne saurait donc « reprocher à la société E.T.I.A. d’avoir manqué à ses obligations contractuelles en ne l’ayant pas concertée pour remédier à la cause de nullité qu’elle avait constatée, alors qu’elle ne reconnaissait pas cette cause de nullité et que la nullité de la promesse d’achat n’a été déclarée que par le présent arrêt ».

Le raisonnement est rigoureux. La clause de sauvegarde supposait que les parties reconnaissent l’existence d’une cause de nullité pour engager la concertation prévue. Or le fonds contestait toute nullité. Il ne pouvait simultanément soutenir la validité du contrat et reprocher à son cocontractant de n’avoir pas négocié pour remédier à une nullité qu’il niait. Cette solution illustre l’exigence de cohérence dans le comportement procédural des parties.

L’arrêt de la cour d’appel de Lyon rappelle l’importance de la rigueur rédactionnelle dans les clauses de liquidité des pactes d’actionnaires. Il confirme que la sophistication d’une formule de prix ne suffit pas à la rendre déterminable si une variable essentielle demeure indéfinie. Il ouvre également une réflexion sur l’extension de la qualité à agir en nullité au débiteur d’une obligation de paiement dont le quantum est indéterminable.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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