Cour d’appel de Metz, le 1 juillet 2025, n°19/01794

Lorsque deux propriétaires voisins s’affrontent au sujet d’un empiètement de toiture, la procédure judiciaire peut s’étendre sur de nombreuses années avant qu’une solution amiable ne vienne y mettre fin. L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Metz le 1er juillet 2025 illustre cette hypothèse en consacrant un accord transactionnel intervenu entre les parties après plus d’une décennie de conflit.

Les faits de l’espèce sont les suivants. Deux propriétaires étaient respectivement titulaires d’immeubles contigus issus de la division d’un ancien bâtiment comportant une partie habitation et une partie grange. Un mur mitoyen séparait les deux fonds. En 2012, l’une des propriétaires fit procéder à la réfection de la toiture de son habitation. Son voisin contesta la conformité des travaux, soutenant que la nouvelle toiture empiétait sur sa propriété, la limite séparative n’ayant pas été respectée.

Par acte du 21 octobre 2014, le voisin mécontent assigna la propriétaire ainsi que la société ayant réalisé les travaux devant le juge des référés aux fins d’expertise. Une mesure d’instruction fut ordonnée le 24 février 2015. L’expert déposa un rapport en l’état le 24 novembre 2016 faute de versement de la consignation complémentaire. Par actes des 12 et 16 juin 2017, le demandeur saisit le Tribunal de grande instance de Metz aux fins d’obtenir la remise en conformité des travaux sous astreinte et des dommages et intérêts.

Par jugement du 22 mai 2019, le tribunal débouta le demandeur de l’ensemble de ses prétentions et le condamna au paiement de sommes au titre des frais irrépétibles. Le premier juge considéra que le rapport d’expertise produit se fondait sur une ligne séparative inexacte et que la superposition des documents cadastraux faisait apparaître le respect de la limite de propriété.

Le demandeur interjeta appel le 11 juillet 2019. Par ordonnance du 8 février 2021, le conseiller de la mise en état ordonna une nouvelle expertise aux fins de déterminer si la toiture litigieuse empiétait sur le fonds voisin. L’expert déposa son rapport le 4 janvier 2022. La propriétaire défenderesse décéda le 22 octobre 2022. Par arrêt du 13 décembre 2022, la cour constata l’interruption de l’instance. Le demandeur appela ensuite les héritiers en intervention forcée.

Par conclusions communes du 14 novembre 2024, les parties informèrent la cour qu’elles étaient parvenues à un accord transactionnel. Le demandeur abandonnait sa demande et se désistait de son appel. Les héritiers renonçaient au bénéfice du jugement et à l’ensemble de leurs demandes.

La question posée à la cour était de savoir si elle devait homologuer l’accord transactionnel intervenu entre les parties et lui conférer force exécutoire, avec pour conséquence l’infirmation du jugement de première instance.

La Cour d’appel de Metz, par son arrêt du 1er juillet 2025, infirme le jugement en toutes ses dispositions. Elle donne acte aux parties de leur accord, du désistement d’appel et de l’abandon des demandes d’un côté, de la renonciation au jugement et aux demandes reconventionnelles de l’autre. Chaque partie supporte ses propres frais et dépens.

Cette décision invite à examiner le mécanisme d’homologation de l’accord des parties en cause d’appel (I), avant d’analyser les conséquences de cette homologation sur le sort du jugement de première instance (II).

I. Le mécanisme d’homologation judiciaire de l’accord transactionnel

La cour procède à l’homologation de l’accord en se fondant sur les dispositions du code de procédure civile (A), ce qui traduit la faveur du droit processuel pour la résolution amiable des litiges (B).

A. Le fondement textuel de l’homologation

La cour vise expressément l’article 384 alinéa 3 du code de procédure civile pour fonder sa décision. Elle énonce qu’« il appartient au juge de donner force exécutoire à l’acte constatant l’accord entre les parties ». Ce texte, issu de la réforme de la procédure civile, confère au juge le pouvoir de transformer un accord conventionnel en titre exécutoire sans qu’il soit nécessaire de recourir à une procédure d’homologation autonome.

Le mécanisme ainsi mis en œuvre se distingue de la simple transaction de droit commun régie par les articles 2044 et suivants du code civil. La transaction classique n’acquiert force exécutoire qu’après homologation judiciaire sur requête. L’article 384 alinéa 3 permet au juge saisi d’un litige de constater directement l’accord et de lui conférer cette force dans le cadre de l’instance en cours.

En l’espèce, les parties ont présenté des conclusions communes exposant les termes de leur accord. Le demandeur abandonnait l’objet du litige et se désistait de son appel. Les héritiers de la défenderesse renonçaient au bénéfice du jugement et à leurs demandes. La cour donne acte de ces différents éléments en reprenant fidèlement la teneur de la convention.

B. La faveur pour la résolution amiable du litige

L’arrêt commenté s’inscrit dans un mouvement plus large de promotion des modes alternatifs de règlement des différends. Le législateur et la jurisprudence encouragent les parties à mettre fin à leurs litiges par voie conventionnelle plutôt que par décision juridictionnelle imposée.

Cette faveur se manifeste ici par la souplesse avec laquelle la cour accueille l’accord. Elle ne procède à aucun contrôle apparent de l’équilibre de la transaction ni de sa conformité à l’ordre public. Le juge se borne à constater l’existence d’un accord et à lui donner effet.

L’intérêt pratique de cette solution est considérable. Un litige né en 2012 trouve ainsi son terme en 2025 après avoir traversé deux instances, deux expertises et une interruption d’instance pour décès. La durée exceptionnelle de cette procédure souligne l’utilité de la voie transactionnelle pour mettre fin aux conflits de voisinage qui, par nature, tendent à s’envenimer avec le temps.

II. Les conséquences de l’homologation sur le jugement de première instance

L’homologation de l’accord emporte l’infirmation du jugement entrepris (A) et organise une répartition spécifique des frais de procédure (B).

A. L’infirmation du jugement comme conséquence nécessaire

La cour prononce l’infirmation du jugement « en toutes ses dispositions ». Cette solution peut surprendre au premier abord. Le désistement d’appel entraîne normalement le dessaisissement de la cour et confère au jugement de première instance un caractère définitif. La renonciation au bénéfice du jugement par les intimés aurait pu, quant à elle, produire effet sans qu’il soit nécessaire d’infirmer formellement la décision.

La cour fait néanmoins le choix d’infirmer le jugement. Cette solution s’explique par la nature de l’accord intervenu. Les parties n’ont pas simplement mis fin au procès ; elles ont entendu effacer rétroactivement les effets de la décision de première instance. La condamnation prononcée contre le demandeur au titre des frais irrépétibles devait être anéantie pour que l’accord, prévoyant que chaque partie supporte ses propres frais, puisse recevoir pleine application.

L’infirmation présente ainsi une utilité pratique. Elle prive le jugement de première instance de toute autorité et permet aux parties de repartir sur des bases conventionnelles nouvelles, sans qu’aucune d’elles ne puisse se prévaloir ultérieurement de la décision initiale.

B. La répartition conventionnelle des frais et dépens

L’accord des parties prévoit que « chacune des parties supportera ses propres frais et dépens d’instance et d’appel ». La cour reprend cette stipulation dans son dispositif. Cette répartition déroge au principe de l’article 696 du code de procédure civile selon lequel la partie perdante est condamnée aux dépens.

En l’espèce, le jugement de première instance avait condamné le demandeur à verser des sommes significatives au titre de l’article 700. L’accord transactionnel efface cette condamnation et instaure un partage des frais. Cette solution correspond à la logique transactionnelle fondée sur des concessions réciproques.

La cour donne ainsi plein effet à l’autonomie de la volonté des parties en matière de répartition des frais. Elle n’exerce aucun contrôle sur le caractère équitable de cette répartition. Cette abstention s’explique par le principe selon lequel les parties restent maîtresses de leurs droits patrimoniaux et peuvent librement convenir de leur sort.

L’arrêt de la Cour d’appel de Metz du 1er juillet 2025 constitue une illustration topique de l’application de l’article 384 alinéa 3 du code de procédure civile. Il montre comment le juge d’appel peut, en donnant force exécutoire à un accord transactionnel, mettre fin à un litige ancien tout en infirmant le jugement de première instance pour assurer la pleine efficacité de la convention des parties.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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