Conseil constitutionnel, Décision n° 2023-1068 QPC du 17 novembre 2023

Le Conseil constitutionnel a rendu, le 17 novembre 2023, une décision importante concernant la compétence du juge de l’exécution lors de la saisie de droits incorporels. Cette affaire trouve son origine dans une procédure d’exécution forcée engagée par un créancier à l’encontre d’un débiteur pour obtenir le règlement d’une dette liquide. Le créancier a fait procéder à la saisie de droits incorporels, fixant lui-même le montant de la mise à prix pour la vente par adjudication. Le débiteur a contesté cette évaluation, mais s’est heurté à l’absence de voie de recours législative permettant de remettre en cause ce montant initial. Saisie d’une question prioritaire de constitutionnalité, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a renvoyé l’examen de cette disposition par un arrêt du 12 septembre 2023. La requérante soutenait que le silence de la loi constituait une incompétence négative portant atteinte au droit de propriété et au droit à un recours effectif. Les juges de la rue de Montpensier déclarent la disposition contestée contraire à la Constitution en raison d’une méconnaissance substantielle des garanties juridictionnelles. Cette décision repose sur l’analyse de la lacune législative identifiée et sur la nécessité de rétablir une protection effective au profit du débiteur saisi.

I. L’IDENTIFICATION D’UNE LACUNE DANS LA PROTECTION JURIDICTIONNELLE

A. L’insuffisance du contrôle juridictionnel sur la mise à prix

L’article L. 213-6 du code de l’organisation judiciaire confie au juge de l’exécution la connaissance exclusive des difficultés relatives aux titres exécutoires et aux contestations. Cependant, la jurisprudence constante de la Cour de cassation limite strictement ce pouvoir d’appréciation en excluant le contrôle du montant de la mise à prix initiale. « Le créancier fixe unilatéralement le montant de leur mise à prix et, d’autre part, le juge de l’exécution n’est pas compétent pour connaître de la contestation ». Cette interprétation prive le débiteur de toute possibilité de contester une évaluation qui pourrait s’avérer manifestement dérisoire ou préjudiciable à ses intérêts patrimoniaux. L’absence de contrôle judiciaire direct sur cet acte unilatéral du créancier crée un déséquilibre manifeste au détriment de la partie saisie durant la phase d’exécution.

B. La reconnaissance d’une incompétence négative du législateur

Le Conseil constitutionnel rappelle qu’il incombe au législateur de fixer les principes fondamentaux du régime de la propriété et des obligations civiles selon la Constitution. En omettant de prévoir un recours spécifique, le Parlement a méconnu l’étendue de sa propre compétence dans des conditions affectant un droit fondamental garanti. Le silence législatif est ici sanctionné car « il appartenait au législateur d’instaurer une voie de recours » pour protéger le débiteur contre les conséquences d’une vente à prix insuffisant. Cette carence normative empêche le juge judiciaire d’exercer sa mission de gardien des droits et libertés dans le cadre précis des procédures civiles d’exécution. Le constat de cette incompétence négative fragilise l’édifice juridique entourant la saisie des droits incorporels et appelle une réforme profonde du dispositif législatif actuel.

II. LE RÉTABLISSEMENT DU DROIT À UN RECOURS EFFECTIF

A. La sanction d’une atteinte substantielle aux droits fondamentaux

La décision se fonde prioritairement sur l’article 16 de la Déclaration de 1789 qui garantit à toute personne intéressée le droit d’exercer un recours juridictionnel effectif. Le Conseil souligne les « conséquences significatives qu’est susceptible d’entraîner pour le débiteur la fixation du montant de la mise à prix des droits saisis » par le créancier. Une mise à prix trop basse peut conduire à une spoliation indirecte du débiteur en ne permettant pas de couvrir loyalement la valeur réelle des biens. La protection du droit de propriété exige que le débiteur puisse soumettre à un tiers impartial le caractère raisonnable des conditions financières de la vente forcée. Cette exigence constitutionnelle impose ainsi une conciliation plus équilibrée entre le droit du créancier au recouvrement et le droit du débiteur à une exécution juste.

B. L’instauration d’une compétence provisoire pour le juge de l’exécution

Le Conseil décide de reporter l’abrogation de la disposition au 1er décembre 2024 afin d’éviter les conséquences manifestement excessives d’un vide juridique immédiat pour les procédures. Toutefois, il instaure une mesure transitoire permettant aux débiteurs de saisir immédiatement le juge de l’exécution pour contester le montant de la mise à prix des droits. « Le débiteur est recevable à contester le montant de la mise à prix pour l’adjudication des droits incorporels saisis » jusqu’à l’entrée en vigueur d’une loi nouvelle. Cette solution audacieuse garantit l’effectivité immédiate de la protection constitutionnelle tout en laissant au législateur le temps nécessaire pour rédiger un nouveau cadre procédural. Le juge de l’exécution retrouve ainsi sa pleine mission de contrôle sur l’ensemble des opérations de saisie pour assurer le respect des droits des parties.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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