Tribunal judiciaire de Nice, le 19 juin 2025, n°23/02768
L’ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Nice, rendue le 19 juin 2025, statue sur un incident soulevé dans le cadre d’un litige opposant des acquéreurs en vente en l’état futur d’achèvement à un promoteur immobilier placé en liquidation judiciaire et à l’établissement bancaire garant de l’achèvement. Les demandeurs avaient acquis un bien immobilier auprès d’une société civile de construction-vente qui a fait l’objet d’un jugement de liquidation judiciaire le 21 février 2022. Les acquéreurs ont déclaré une créance au passif de la procédure collective, laquelle a été partiellement contestée par le liquidateur. Invités par le juge-commissaire à saisir la juridiction de droit commun, ils ont assigné le promoteur en liquidation, son liquidateur et l’établissement bancaire garant. Le liquidateur a soulevé l’irrecevabilité des demandes de condamnation dirigées contre le débiteur en liquidation. La banque garante a sollicité un sursis à statuer dans l’attente du dépôt de deux rapports d’expertise judiciaire. Le juge de la mise en état devait donc répondre à la question de savoir si des demandes en paiement peuvent être valablement formées contre un débiteur en liquidation judiciaire et si les circonstances justifiaient une suspension de l’instance. La juridiction déclare irrecevables les demandes de condamnation formées contre la société en liquidation, rappelant que seule une fixation au passif peut être sollicitée, ordonne un sursis à statuer dans l’attente des expertises et prononce la radiation administrative de l’affaire.
Cette ordonnance illustre l’articulation entre les règles du droit des procédures collectives et celles du procès civil, en ce qu’elle applique le principe d’interdiction des poursuites individuelles (I) tout en aménageant le cours de l’instance par des mesures d’administration judiciaire (II).
I. L’application stricte du principe d’interdiction des poursuites individuelles
Le juge de la mise en état fait une application rigoureuse des règles gouvernant l’arrêt des poursuites individuelles (A), tout en préservant la possibilité pour les créanciers de faire valoir leurs droits dans le cadre collectif (B).
A. L’irrecevabilité des demandes de condamnation contre le débiteur en liquidation
Le juge de la mise en état rappelle que « selon l’article L622-21 I du Code de commerce, rendu applicable à la procédure de liquidation par l’article L641-3 du même code, le jugement d’ouverture interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance n’est pas mentionnée au I de l’article L. 622-17 et tendant à la condamnation du débiteur au paiement d’une somme d’argent ». Cette règle, pilier du droit des procédures collectives, vise à assurer l’égalité des créanciers et à préserver l’actif du débiteur au profit de la collectivité des créanciers.
La solution retenue s’inscrit dans une jurisprudence constante de la Cour de cassation. La chambre commerciale a régulièrement affirmé que le jugement d’ouverture d’une procédure collective fait obstacle à toute action en justice tendant à la condamnation du débiteur au paiement d’une somme d’argent. Les créanciers antérieurs au jugement d’ouverture doivent déclarer leurs créances et ne peuvent obtenir qu’une décision de fixation au passif. La sanction de la méconnaissance de cette règle est l’irrecevabilité, et non la nullité, ce qui permet au juge de la relever à tout moment de la procédure.
L’ordonnance commentée présente un intérêt particulier en ce qu’elle émane du juge de la mise en état. Ce magistrat, en vertu des articles 789 et suivants du Code de procédure civile, dispose d’une compétence exclusive pour statuer sur les fins de non-recevoir. L’irrecevabilité tirée de l’interdiction des poursuites individuelles constitue précisément une fin de non-recevoir que le juge de la mise en état était compétent pour trancher, ce qu’il fait en l’espèce.
B. La préservation des droits du créancier par la voie de la fixation au passif
Le juge de la mise en état précise que « seule la fixation de ces sommes au passif peut être sollicitée ». Cette formulation rappelle que l’irrecevabilité des demandes de condamnation ne prive pas le créancier de tout recours. Elle l’oriente simplement vers la procédure de vérification des créances, seule voie permettant de faire reconnaître ses droits dans le cadre collectif.
La distinction entre condamnation et fixation au passif n’est pas purement formelle. La condamnation emporte reconnaissance d’une obligation de paiement immédiatement exigible, tandis que la fixation au passif ne fait que constater l’existence et le montant d’une créance qui sera soumise aux règles de répartition de la procédure collective. Le créancier dont la créance est fixée au passif ne dispose d’aucun droit au paiement intégral et immédiat. Il concourt avec les autres créanciers selon le rang de sa créance.
En l’espèce, les demandeurs sollicitaient à la fois la condamnation du débiteur et la fixation de leur créance au passif. Le juge de la mise en état déclare irrecevables les seules demandes de condamnation, préservant ainsi la possibilité de statuer ultérieurement sur la demande de fixation. Cette solution témoigne d’une lecture attentive des conclusions des parties et d’une application mesurée du principe d’interdiction des poursuites.
II. L’aménagement du cours de l’instance par des mesures d’administration judiciaire
Le juge de la mise en état ordonne un sursis à statuer justifié par l’attente des résultats d’expertise (A) et prononce une radiation administrative qui soulève des interrogations pratiques (B).
A. Le sursis à statuer dans l’attente des expertises judiciaires
Le juge de la mise en état relève qu’« il n’est pas contesté que les opérations d’expertise judiciaire ordonnées en suite de l’ordonnance du 13 janvier 2023 concernant le litige opposant les parties en cause, sont toujours en cours ». Deux experts ont été désignés, l’un pour une analyse financière et comptable, l’autre pour une expertise technique relative à la construction. Le juge en déduit qu’« il convient de surseoir à statuer dans l’attente du dépôt des deux rapports d’expertise judiciaire ».
Le sursis à statuer est régi par les articles 378 et suivants du Code de procédure civile. L’article 378 dispose que « le cours de l’instance peut être suspendu pour le temps ou jusqu’à la survenance d’un événement déterminé par la décision qui ordonne le sursis à statuer ». Il s’agit d’une mesure d’administration judiciaire laissée à l’appréciation souveraine du juge. En l’espèce, l’attente des rapports d’expertise constitue un événement déterminé au sens de ce texte.
La solution retenue apparaît justifiée au regard des circonstances. Les demandes des acquéreurs portent sur des travaux d’achèvement et des dommages-intérêts dont l’évaluation nécessite les conclusions des experts. Statuer avant le dépôt des rapports exposerait le tribunal à rendre une décision insuffisamment éclairée. Le sursis permet de différer utilement le jugement sans pour autant mettre fin à l’instance.
B. La radiation administrative et ses implications procédurales
Le juge de la mise en état ordonne « la radiation administrative de l’affaire du rôle des affaires civiles, en raison du sursis ». Il justifie cette mesure en considérant qu’« une mesure de radiation a pour effet de retirer provisoirement l’affaire du rang des affaires en cours, et garantit même si cela peut paraître paradoxal le droit de chaque partie à un procès équitable, tout en préservant une qualité de service profitant à tous les justiciables du ressort ».
Cette motivation appelle quelques observations. La radiation du rôle est traditionnellement conçue comme une sanction du défaut de diligence des parties, en vertu de l’article 381 du Code de procédure civile. Elle peut également être ordonnée d’office lorsque le sursis à statuer rend inutile le maintien de l’affaire au rang des affaires en cours. Le juge de la mise en état précise d’ailleurs qu’il s’agit d’une « radiation pour les besoins du logiciel du greffe », ce qui révèle une dimension pratique de gestion des flux contentieux.
La décision rappelle que la radiation ne met pas fin à l’instance et que les parties peuvent la faire rétablir. Le juge précise qu’il « appartiendra à la partie la plus diligente de poursuivre l’instance » et que « le sursis à statuer peut être révoqué ou abrégé suivant les circonstances en application de l’article 379 alinéa 2 du Code de Procédure Civile ». Ces mentions soulignent le caractère provisoire de la mesure et préservent les droits des parties. La combinaison du sursis à statuer et de la radiation constitue un aménagement pragmatique du cours de l’instance, adapté aux contraintes d’une procédure nécessitant l’achèvement préalable d’opérations d’expertise.
L’ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Nice, rendue le 19 juin 2025, statue sur un incident soulevé dans le cadre d’un litige opposant des acquéreurs en vente en l’état futur d’achèvement à un promoteur immobilier placé en liquidation judiciaire et à l’établissement bancaire garant de l’achèvement. Les demandeurs avaient acquis un bien immobilier auprès d’une société civile de construction-vente qui a fait l’objet d’un jugement de liquidation judiciaire le 21 février 2022. Les acquéreurs ont déclaré une créance au passif de la procédure collective, laquelle a été partiellement contestée par le liquidateur. Invités par le juge-commissaire à saisir la juridiction de droit commun, ils ont assigné le promoteur en liquidation, son liquidateur et l’établissement bancaire garant. Le liquidateur a soulevé l’irrecevabilité des demandes de condamnation dirigées contre le débiteur en liquidation. La banque garante a sollicité un sursis à statuer dans l’attente du dépôt de deux rapports d’expertise judiciaire. Le juge de la mise en état devait donc répondre à la question de savoir si des demandes en paiement peuvent être valablement formées contre un débiteur en liquidation judiciaire et si les circonstances justifiaient une suspension de l’instance. La juridiction déclare irrecevables les demandes de condamnation formées contre la société en liquidation, rappelant que seule une fixation au passif peut être sollicitée, ordonne un sursis à statuer dans l’attente des expertises et prononce la radiation administrative de l’affaire.
Cette ordonnance illustre l’articulation entre les règles du droit des procédures collectives et celles du procès civil, en ce qu’elle applique le principe d’interdiction des poursuites individuelles (I) tout en aménageant le cours de l’instance par des mesures d’administration judiciaire (II).
I. L’application stricte du principe d’interdiction des poursuites individuelles
Le juge de la mise en état fait une application rigoureuse des règles gouvernant l’arrêt des poursuites individuelles (A), tout en préservant la possibilité pour les créanciers de faire valoir leurs droits dans le cadre collectif (B).
A. L’irrecevabilité des demandes de condamnation contre le débiteur en liquidation
Le juge de la mise en état rappelle que « selon l’article L622-21 I du Code de commerce, rendu applicable à la procédure de liquidation par l’article L641-3 du même code, le jugement d’ouverture interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance n’est pas mentionnée au I de l’article L. 622-17 et tendant à la condamnation du débiteur au paiement d’une somme d’argent ». Cette règle, pilier du droit des procédures collectives, vise à assurer l’égalité des créanciers et à préserver l’actif du débiteur au profit de la collectivité des créanciers.
La solution retenue s’inscrit dans une jurisprudence constante de la Cour de cassation. La chambre commerciale a régulièrement affirmé que le jugement d’ouverture d’une procédure collective fait obstacle à toute action en justice tendant à la condamnation du débiteur au paiement d’une somme d’argent. Les créanciers antérieurs au jugement d’ouverture doivent déclarer leurs créances et ne peuvent obtenir qu’une décision de fixation au passif. La sanction de la méconnaissance de cette règle est l’irrecevabilité, et non la nullité, ce qui permet au juge de la relever à tout moment de la procédure.
L’ordonnance commentée présente un intérêt particulier en ce qu’elle émane du juge de la mise en état. Ce magistrat, en vertu des articles 789 et suivants du Code de procédure civile, dispose d’une compétence exclusive pour statuer sur les fins de non-recevoir. L’irrecevabilité tirée de l’interdiction des poursuites individuelles constitue précisément une fin de non-recevoir que le juge de la mise en état était compétent pour trancher, ce qu’il fait en l’espèce.
B. La préservation des droits du créancier par la voie de la fixation au passif
Le juge de la mise en état précise que « seule la fixation de ces sommes au passif peut être sollicitée ». Cette formulation rappelle que l’irrecevabilité des demandes de condamnation ne prive pas le créancier de tout recours. Elle l’oriente simplement vers la procédure de vérification des créances, seule voie permettant de faire reconnaître ses droits dans le cadre collectif.
La distinction entre condamnation et fixation au passif n’est pas purement formelle. La condamnation emporte reconnaissance d’une obligation de paiement immédiatement exigible, tandis que la fixation au passif ne fait que constater l’existence et le montant d’une créance qui sera soumise aux règles de répartition de la procédure collective. Le créancier dont la créance est fixée au passif ne dispose d’aucun droit au paiement intégral et immédiat. Il concourt avec les autres créanciers selon le rang de sa créance.
En l’espèce, les demandeurs sollicitaient à la fois la condamnation du débiteur et la fixation de leur créance au passif. Le juge de la mise en état déclare irrecevables les seules demandes de condamnation, préservant ainsi la possibilité de statuer ultérieurement sur la demande de fixation. Cette solution témoigne d’une lecture attentive des conclusions des parties et d’une application mesurée du principe d’interdiction des poursuites.
II. L’aménagement du cours de l’instance par des mesures d’administration judiciaire
Le juge de la mise en état ordonne un sursis à statuer justifié par l’attente des résultats d’expertise (A) et prononce une radiation administrative qui soulève des interrogations pratiques (B).
A. Le sursis à statuer dans l’attente des expertises judiciaires
Le juge de la mise en état relève qu’« il n’est pas contesté que les opérations d’expertise judiciaire ordonnées en suite de l’ordonnance du 13 janvier 2023 concernant le litige opposant les parties en cause, sont toujours en cours ». Deux experts ont été désignés, l’un pour une analyse financière et comptable, l’autre pour une expertise technique relative à la construction. Le juge en déduit qu’« il convient de surseoir à statuer dans l’attente du dépôt des deux rapports d’expertise judiciaire ».
Le sursis à statuer est régi par les articles 378 et suivants du Code de procédure civile. L’article 378 dispose que « le cours de l’instance peut être suspendu pour le temps ou jusqu’à la survenance d’un événement déterminé par la décision qui ordonne le sursis à statuer ». Il s’agit d’une mesure d’administration judiciaire laissée à l’appréciation souveraine du juge. En l’espèce, l’attente des rapports d’expertise constitue un événement déterminé au sens de ce texte.
La solution retenue apparaît justifiée au regard des circonstances. Les demandes des acquéreurs portent sur des travaux d’achèvement et des dommages-intérêts dont l’évaluation nécessite les conclusions des experts. Statuer avant le dépôt des rapports exposerait le tribunal à rendre une décision insuffisamment éclairée. Le sursis permet de différer utilement le jugement sans pour autant mettre fin à l’instance.
B. La radiation administrative et ses implications procédurales
Le juge de la mise en état ordonne « la radiation administrative de l’affaire du rôle des affaires civiles, en raison du sursis ». Il justifie cette mesure en considérant qu’« une mesure de radiation a pour effet de retirer provisoirement l’affaire du rang des affaires en cours, et garantit même si cela peut paraître paradoxal le droit de chaque partie à un procès équitable, tout en préservant une qualité de service profitant à tous les justiciables du ressort ».
Cette motivation appelle quelques observations. La radiation du rôle est traditionnellement conçue comme une sanction du défaut de diligence des parties, en vertu de l’article 381 du Code de procédure civile. Elle peut également être ordonnée d’office lorsque le sursis à statuer rend inutile le maintien de l’affaire au rang des affaires en cours. Le juge de la mise en état précise d’ailleurs qu’il s’agit d’une « radiation pour les besoins du logiciel du greffe », ce qui révèle une dimension pratique de gestion des flux contentieux.
La décision rappelle que la radiation ne met pas fin à l’instance et que les parties peuvent la faire rétablir. Le juge précise qu’il « appartiendra à la partie la plus diligente de poursuivre l’instance » et que « le sursis à statuer peut être révoqué ou abrégé suivant les circonstances en application de l’article 379 alinéa 2 du Code de Procédure Civile ». Ces mentions soulignent le caractère provisoire de la mesure et préservent les droits des parties. La combinaison du sursis à statuer et de la radiation constitue un aménagement pragmatique du cours de l’instance, adapté aux contraintes d’une procédure nécessitant l’achèvement préalable d’opérations d’expertise.