Tribunal judiciaire de Saint-Denis de la Réunion, le 23 juin 2025, n°24/00014

Le juge de l’expropriation du Tribunal judiciaire de Saint‑Denis a, le 23 juin 2025, fixé les indemnités consécutives à la prise d’une parcelle de 246 m² au profit d’un projet d’aménagement de voiries rurales. L’instance portait sur l’évaluation d’un terrain irrigué, sis en secteur agricole et naturel, affecté par un plan de prévention des risques, au regard des règles de consistance, de date de référence et de qualification. L’expropriant sollicitait la fixation sur la base de 1,20 €/m² en zone A et 1 €/m² en zone N, avec indemnité de remploi, tandis que le commissaire du gouvernement proposait initialement une moyenne issue de termes de comparaison récents, puis s’en remettait à l’offre la plus favorable.

Les faits utiles tiennent à une opération déclarée d’utilité publique en 2012, prorogée en 2017, suivie d’une enquête parcellaire en 2018, d’un arrêté de cessibilité en 2019, puis d’une ordonnance d’expropriation du 2 septembre 2019. Le transport sur les lieux s’est tenu le 28 mars 2025, au cours duquel des ayants droit ont marqué leur accord avec le prix proposé. L’audience s’est déroulée le 14 avril 2025. L’expropriant a maintenu une offre totale de 353 €, incluant 294 € d’indemnité principale et 59 € de remploi, en référence à un avis du Domaine de 2021. Le commissaire du gouvernement a présenté quatre références de ventes récentes entre 1,00 € et 1,20 € le m², pour un prix moyen de 1,11 € le m², puis a retenu l’offre plus favorable.

La question de droit tenait, d’abord, à la détermination de la consistance et des dates de référence au sens des articles L. 322‑1 et L. 322‑2 du code de l’expropriation, ensuite, à la qualification de terrain à bâtir au regard de l’article L. 322‑3, enfin, à l’office du juge sur l’assiette des prétentions et la méthode d’évaluation, au regard des articles R. 311‑22 et R. 322‑5. La juridiction a repris le cadre légal, a exclu la qualification de terrain à bâtir, a retenu l’usage effectif agricole et naturel, et a fixé les indemnités à 294 € au titre principal, assorties d’un remploi de 20 % arrondi à 59 €.

I. Les paramètres légaux et factuels de l’évaluation

A. Consistance à la date du transfert et date de référence urbanistique

La juridiction rappelle le principe selon lequel « les indemnités allouées couvrent l’intégralité du préjudice direct, matériel et certain causé par l’expropriation », en application de l’article L. 321‑1. Elle se fonde ensuite sur l’article L. 322‑1, pour retenir que « le juge fixe le montant des indemnités d’après la consistance des biens à la date de l’ordonnance portant transfert de propriété », en l’espèce le 2 septembre 2019. La consistance, entendue comme l’ensemble des éléments physiques et juridiques affectant le bien, inclut ici l’irrigation, l’assiette de la voie déjà réalisée, les accotements herbeux, et l’exposition à un PPR avec aléas différenciés.

La date de référence d’urbanisme est fixée par l’article L. 322‑2. Le jugement retient le PLU dont le règlement a été approuvé le 27 septembre 2012, ce qui ancre l’analyse dans un cadre normatif stabilisé. Il est à propos cité que « les biens sont estimés à la date de la décision de première instance », sous réserve de l’“usage effectif” apprécié un an avant l’enquête, et sans prise en compte des variations provoquées par l’annonce des travaux. L’articulation de ces dates sépare utilement la consistance (au jour du transfert) de la valorisation (à la date du jugement dans la limite des usages figés), assurant une méthodologie constante et prévisible.

B. Exclusion de la qualification de terrain à bâtir et prévalence de l’usage effectif

La juridiction applique l’article L. 322‑3 en reproduisant ses conditions cumulatives, selon lesquelles la qualification de terrain à bâtir est réservée aux terrains « situés dans un secteur désigné comme constructible » et « effectivement desservis » par les réseaux requis, à la date de référence. Elle constate que la parcelle, classée en zones A et N du PLU, est inconstructible et relève que « les biens seront donc estimés, à la date de première instance, en prenant en compte leur seul usage effectif ». Cette orientation rejoint la lettre de l’article L. 322‑2, réduisant l’évaluation à l’exploitation agricole et à la vocation naturelle, sans pondération spéculative.

La décision précise enfin qu’« il n’est pas appliqué d’abattement pour les 6 m² concernés par le PPR », la parcelle étant en tout état de cause inconstructible. Cette motivation dissocie l’effet du risque sur la constructibilité, déjà absorbé par le zonage, de son effet sur la valeur d’un usage agricole inchangé, ce qui écarte un double compte. La transition vers l’évaluation chiffrée s’opère par la fixation de barèmes par zones, en adéquation avec la réalité d’un terrain libre de toute occupation.

II. L’office du juge et la pertinence de l’indemnisation

A. Limitation aux prétentions, référence aux termes de comparaison et calcul du remploi

Sur le périmètre de sa saisine, la juridiction rappelle que, selon l’article R. 311‑22, « le juge statue dans la limite des prétentions des parties », et qu’en cas de silence de l’exproprié, « le juge fixe indemnité d’après les éléments dont il dispose ». Les offres de l’expropriant, homogènes au sein d’un programme, sont éclairées par un avis du Domaine et par les références produites par le commissaire du gouvernement. Celui‑ci a réuni quatre ventes récentes, en fixant un intervalle de 1,00 € à 1,20 € le m², puis a proposé de retenir l’offre plus favorable à l’exproprié.

Le juge entérine ce choix en relevant que « le prix retenu par la commune […] constitue un prix juste et adapté », et en rappelant l’accord exprimé lors du transport. L’indemnité principale s’élève à 294 €, par l’addition de 6 m² en zone ND à 1 € et de 240 m² en zone 1NC à 1,20 €. L’accessoire est calculé en application de l’article R. 322‑5, selon lequel « l’indemnité de remploi est calculée compte tenu des frais de tous ordres », ici fixée à 20 %, soit 59 € arrondis. Le dispositif laisse les dépens à la charge de l’expropriant conformément à l’article L. 312‑1, ce qui clôt l’office du juge dans un cadre légal exhaustif.

B. Portée normative et pratique d’une évaluation adossée à l’usage effectif

La solution confirme la prévalence de l’usage effectif lorsque le zonage exclut la constructibilité. Elle verrouille la date de consistance au jour du transfert et la date de référence urbanistique au dernier acte d’approbation pertinent. Cette cohérence méthodologique limite les aléas d’argumentation fondés sur des évolutions postérieures ou des potentialités hypothétiques, ce qui sert la sécurité juridique des opérations d’aménagement en milieu agricole irrigué.

La décision présente une portée pratique pour les emprises de faible surface en zones A et N. Elle admet des valeurs unitaires modestes, rapprochées de transactions récentes, et neutralise les effets redondants des risques réglementaires déjà intégrés au zonage. Elle illustre aussi la fonction régulatrice du commissaire du gouvernement, dont les références encadrent l’office du juge dans la fourchette du marché local. Enfin, elle rappelle que l’accessoire de remploi demeure un poste significatif malgré une indemnité principale contenue, assurant le rétablissement patrimonial dans les limites du droit positif.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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