Cour d’appel de Paris, le 24 juin 2025, n°23/06082

Par arrêt du 24 juin 2025, la cour d’appel de Paris (pôle 4, chambre 4) a confirmé le jugement rendu le 2 décembre 2022 par le tribunal judiciaire de Paris, lequel avait rejeté les demandes d’une locataire fondées sur un prétendu trouble de jouissance. Cette décision s’inscrit dans le contentieux classique de l’obligation de délivrance du bailleur et illustre les exigences probatoires pesant sur le locataire qui allègue un manquement contractuel.

Une locataire avait pris à bail, par acte sous seing privé du 7 août 2008, un logement situé dans un ensemble immobilier géré par un établissement public. Elle soutenait subir un trouble de jouissance résultant du comportement de ses voisins, lesquels auraient aspergé des produits dangereux pour sa santé dans les couloirs et en direction de sa porte et de ses fenêtres. Elle réclamait l’installation d’un système de vidéosurveillance des accès de l’immeuble, subsidiairement une solution de relogement assortie d’une astreinte, ainsi que des dommages et intérêts à hauteur de 6 000 euros.

Par acte d’huissier du 21 juillet 2021, la locataire avait fait assigner le bailleur devant la juridiction de proximité du tribunal judiciaire de Paris. Par jugement contradictoire du 2 décembre 2022, le premier juge avait rejeté l’ensemble de ses prétentions au motif qu’elle ne rapportait pas la preuve du trouble de jouissance invoqué, et l’avait condamnée à verser une indemnité de procédure de 300 euros. La locataire a interjeté appel de cette décision par déclaration reçue au greffe le 27 mars 2023. Le bailleur a sollicité la confirmation du jugement entrepris.

L’appelante soutenait que les agissements de ses voisins constituaient un trouble de jouissance engageant la responsabilité contractuelle du bailleur, tenu de lui assurer la jouissance paisible des lieux loués. Le bailleur contestait tout manquement à ses obligations et faisait valoir l’absence de preuve objective des faits allégués.

La question posée à la cour était celle de savoir si la locataire établissait l’existence d’un trouble de jouissance imputable au bailleur et justifiant les mesures sollicitées.

La cour d’appel de Paris a confirmé le jugement entrepris en toutes ses dispositions. Elle a relevé que la locataire « procède par affirmation, ne produisant qu’un compte-rendu des urgences du 1er novembre 2017, qui est ancien et qui en tout état de cause, comme le relève le premier juge, ne fait que reprendre ses propres déclarations ». La cour a jugé qu’« en l’absence de tout élément de preuve objectif tel une attestation de témoin des faits en cause », les demandes devaient être rejetées comme non fondées.

La confirmation du rejet des demandes de la locataire repose sur une application rigoureuse des règles probatoires en matière de trouble de jouissance (I), tandis que la décision précise les limites de l’obligation du bailleur face à des troubles émanant de tiers (II).

I. L’exigence probatoire en matière de trouble de jouissance

La cour d’appel de Paris rappelle fermement le principe selon lequel il appartient au demandeur de prouver les faits qu’il allègue (A), avant d’appliquer ce principe de manière particulièrement stricte aux allégations de la locataire (B).

A. Le rappel du principe de la charge de la preuve

L’article 1353 du code civil pose le principe selon lequel celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver. En matière de bail, le locataire qui invoque un trouble de jouissance pour engager la responsabilité du bailleur doit établir la réalité de ce trouble. La cour d’appel fait une application orthodoxe de cette règle en relevant que la locataire « ne rapporte pas la preuve du trouble de jouissance qu’elle prétend ainsi subir ».

Cette exigence probatoire se justifie par la nature même du contentieux locatif. Les allégations de troubles émanant de tiers sont fréquentes et peuvent reposer sur des appréciations subjectives. Le juge ne peut condamner un bailleur sur le seul fondement des déclarations de son cocontractant. La preuve doit être objective et vérifiable.

La cour insiste sur la nécessité de produire des éléments de preuve extérieurs aux seules affirmations du demandeur. Elle mentionne expressément l’absence d’« attestation de témoin des faits en cause » comme défaillance probatoire décisive. Cette précision est éclairante sur le type de preuve attendu : des témoignages de personnes ayant directement constaté les faits litigieux, des constats d’huissier, ou des rapports d’expertise.

B. L’insuffisance des éléments produits par la locataire

La locataire n’avait versé aux débats qu’un seul document à l’appui de ses prétentions : un compte-rendu des urgences daté du 1er novembre 2017. La cour écarte ce document pour deux motifs distincts. Elle relève qu’il « est ancien » et qu’il « ne fait que reprendre ses propres déclarations ».

Le caractère ancien du document est un premier obstacle. Plus de quatre années séparaient ce compte-rendu de l’assignation de 2021. La cour pouvait légitimement douter de la persistance du trouble allégué en l’absence d’éléments plus récents. Un trouble de jouissance supposant une atteinte durable à la jouissance paisible des lieux, la production d’un unique document daté de plusieurs années ne permet pas d’établir cette continuité.

Le second motif est plus fondamental. Le compte-rendu médical ne faisait que rapporter les déclarations de la patiente elle-même. Il ne constituait pas une preuve objective du comportement des voisins, mais seulement la retranscription des propos de la locataire. La cour refuse ainsi de conférer une valeur probante à un document qui, par sa nature même, ne peut attester que de ce que la personne a déclaré, non de la réalité des faits qu’elle rapporte.

II. Les limites de l’obligation du bailleur face aux troubles de tiers

La décision permet de préciser l’étendue de l’obligation de jouissance paisible pesant sur le bailleur (A) et invite à s’interroger sur la portée pratique de cette jurisprudence (B).

A. Le périmètre de l’obligation de jouissance paisible

L’article 1719 du code civil impose au bailleur de délivrer la chose louée et d’en faire jouir paisiblement le preneur. L’article 1725 du même code précise toutefois que le bailleur n’est pas tenu de garantir le preneur du trouble que des tiers apportent par voies de fait à sa jouissance, sans prétendre d’ailleurs aucun droit sur la chose louée. Seuls les troubles de droit émanant de tiers engagent la responsabilité du bailleur.

La locataire invoquait des troubles de fait prétendument commis par ses voisins. En l’espèce, la question de la qualification du trouble n’a pas eu à être tranchée puisque la preuve même de son existence faisait défaut. La cour a pu rejeter les demandes sans avoir à se prononcer sur le point de savoir si, les faits eussent-ils été établis, le bailleur en aurait été responsable.

Il convient de relever que le bailleur justifiait de ses « échanges épistolaires » avec la locataire « depuis 2012 à ce sujet ». Cette circonstance, relevée par la cour, suggère que le bailleur n’était pas resté inactif face aux réclamations. L’existence d’un dialogue sur plusieurs années pouvait accréditer l’idée que le bailleur avait pris en considération les plaintes de sa locataire, sans pour autant être en mesure d’y apporter une réponse satisfaisante faute d’éléments tangibles.

B. La portée pratique de la décision

La présente décision s’inscrit dans une jurisprudence constante qui exige du locataire qu’il rapporte la preuve du trouble de jouissance par des éléments objectifs et vérifiables. Elle rappelle que les juges du fond ne peuvent suppléer la carence probatoire du demandeur, fût-ce par équité.

La locataire réclamait des mesures particulièrement contraignantes pour le bailleur : l’installation d’un système de vidéosurveillance ou un relogement sous astreinte. De telles demandes supposaient a fortiori une démonstration solide du trouble invoqué. La cour ne pouvait ordonner des travaux ou imposer un changement de logement sur le seul fondement d’allégations non étayées.

La condamnation de la locataire aux dépens d’appel et à une indemnité de procédure de 2 000 euros sanctionne l’exercice infructueux d’une voie de recours. Cette somme, sensiblement supérieure à celle allouée en première instance, traduit la volonté des juges d’appel de ne pas encourager des recours dénués de fondement probatoire suffisant.

La décision illustre enfin la difficulté pour un locataire d’établir des troubles dont il serait seul témoin. En l’absence de constat d’huissier au moment des faits, de témoignages de voisins ou de tout autre élément objectif, la preuve se révèle impossible à rapporter. Cette exigence, juridiquement fondée, peut placer certains locataires dans une situation probatoire délicate lorsque les troubles allégués surviennent de manière imprévisible et sans témoin.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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