Le Conseil d’État, par une décision rendue le 24 juillet 2025, précise les conditions d’engagement de la responsabilité de l’État pour carence fautive. Une usine métallurgique a été exploitée durant plusieurs décennies, générant une pollution durable des sols environnants par des rejets de métaux lourds. Les propriétaires de terrains voisins ont sollicité l’indemnisation de leurs préjudices immobiliers et la réalisation de travaux de dépollution par l’autorité préfectorale. Le tribunal administratif de Lille a rejeté l’ensemble de leurs prétentions par un jugement prononcé le 21 décembre 2021. La cour administrative d’appel de Douai, le 23 mai 2024, a cependant réformé cette décision en condamnant l’État à verser une indemnité. Le ministre chargé de l’environnement s’est alors pourvu en cassation afin d’obtenir l’annulation de cet arrêt condamnant la puissance publique. La question posée à la haute juridiction est de savoir si le caractère insuffisant des mesures de police suffit à établir une faute. Le Conseil d’État annule l’arrêt au motif que le juge doit caractériser des manquements précis au regard des connaissances techniques de l’époque.
I. La caractérisation rigoureuse de la carence fautive de l’État
A. L’encadrement administratif de l’activité industrielle
L’exercice de la police des installations classées impose à l’administration de définir des prescriptions de nature à prévenir les risques pour la santé publique. Il appartient à l’État d’assurer cette protection en « assortissant l’autorisation délivrée à l’exploitant de prescriptions encadrant les conditions d’installation et d’exploitation ». Cette mission se prolonge par un contrôle régulier de l’installation afin de vérifier le respect effectif des normes imposées à l’exploitant. Le juge rappelle que les services compétents doivent impérativement « adapter la fréquence et la nature de leurs visites à la dangerosité de ces installations ». Cette obligation de surveillance est essentielle pour garantir la sécurité du voisinage et la préservation de l’environnement immédiat du site industriel concerné. L’administration dispose pour cela de pouvoirs d’inspection étendus lui permettant de visiter les locaux et de solliciter toutes les études techniques nécessaires.
B. L’insuffisance du constat d’un résultat dommageable
La cour administrative d’appel de Douai avait retenu la responsabilité de l’État en se fondant uniquement sur l’existence d’une pollution excessive du sol. Elle estimait que les mesures prises par le préfet « s’étaient avérées insuffisantes pour prévenir une pollution » malgré les contrôles exercés depuis plusieurs années. Le Conseil d’État censure ce raisonnement en considérant que la simple survenance d’un dommage ne permet pas de présumer l’existence d’une faute. Une telle approche reviendrait à instaurer une responsabilité sans faute de l’administration pour tout échec de sa mission de police des installations classées. La haute juridiction exige désormais une démonstration plus précise des carences imputables aux services préfectoraux dans l’exercice de leurs prérogatives de puissance publique. Le constat souverain d’une pollution majeure ne dispense pas le juge du fond de rechercher si l’administration a commis des erreurs d’appréciation.
II. L’exigence d’une analyse concrète des pouvoirs de contrôle
A. La nécessité de relever des manquements administratifs spécifiques
Le juge de cassation impose de vérifier si l’administration a tenu compte des facteurs de risques particuliers dont elle avait effectivement connaissance à l’époque. Il incombe aux magistrats de « caractériser les manquements que l’administration aurait commis » malgré les prescriptions et les contrôles successifs mis en œuvre. La cour aurait dû analyser si le rythme des inspections et la teneur des arrêtés préfectoraux étaient adaptés à l’ampleur des rejets atmosphériques. Le Conseil d’État souligne l’existence de nombreux rapports d’inspection et d’études techniques qui témoignaient d’une attention réelle portée aux rejets de l’usine. Cette surveillance active de l’administration rend nécessaire une motivation particulièrement soignée pour conclure à l’existence d’une faute lourde ou d’une négligence fautive. Le juge du fond ne peut donc pas se borner à une appréciation globale de la situation sans examiner chaque étape de l’intervention étatique.
B. La prise en compte de l’état des connaissances techniques
La responsabilité de la puissance publique doit s’apprécier au regard des informations dont elle pouvait raisonnablement disposer au moment des faits litigieux. L’administration doit prévenir les risques « compte tenu des connaissances dont elle pouvait disposer » lors de l’élaboration des prescriptions techniques imposées à l’exploitant. Le droit des installations classées évolue parallèlement aux progrès de la science et aux nouvelles découvertes sur la toxicité de certains rejets industriels. On ne peut reprocher à l’État de ne pas avoir anticipé des pollutions diffuses dont l’ampleur était techniquement difficile à mesurer autrefois. La décision renvoie l’affaire devant la cour administrative d’appel de Douai pour que soit effectuée cette recherche approfondie sur les fautes éventuellement commises. Cette solution préserve l’équilibre entre la protection des victimes de pollutions industrielles et les limites objectives de l’action de police de l’administration.