Décision n° 2021-944 QPC du 4 novembre 2021

Par une décision du 4 novembre 2021, le Conseil constitutionnel, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité par le Conseil d’État, s’est prononcé sur la conformité à la Constitution du dernier alinéa de l’article L. 422-18 du code de l’environnement. Ces dispositions réservent le droit de s’opposer à l’inclusion de terrains dans le périmètre d’une association communale de chasse agréée (ACCA) aux seuls propriétaires ou associations de propriétaires dont l’existence est antérieure à la création de ladite ACCA.

En l’espèce, une association de propriétaires, constituée postérieurement à la mise en place d’une ACCA sur le territoire d’une commune, a contesté l’impossibilité pour elle de se retirer du périmètre de chasse de cette dernière, alors même que la superficie totale de ses terrains excédait le seuil minimal requis pour autoriser un tel retrait. Saisi de cette contestation, le Conseil d’État a décidé de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel. L’association requérante soutenait que la distinction opérée par la loi en fonction de la date de constitution des associations de propriétaires instaurait une différence de traitement injustifiée, contraire au principe d’égalité devant la loi. Elle avançait également que cette restriction portait une atteinte disproportionnée au droit de propriété. La question posée au Conseil constitutionnel était donc de savoir si le fait d’exclure du droit de retrait les associations de propriétaires constituées après la création d’une ACCA méconnaissait le principe d’égalité et le droit de propriété.

À cette question, le Conseil constitutionnel a répondu par la négative. Il a jugé que la différence de traitement entre les associations de propriétaires, selon qu’elles sont créées avant ou après l’ACCA, repose sur une différence de situation en rapport direct avec l’objectif de la loi. De plus, il a considéré que l’atteinte portée au droit de propriété n’était pas disproportionnée au regard de l’objectif d’intérêt général poursuivi. Le Conseil a ainsi déclaré les dispositions contestées conformes à la Constitution, validant une conception du droit de retrait subordonnée à la stabilité des territoires de chasse.

Cette décision conduit à examiner la manière dont le juge constitutionnel légitime une rupture d’égalité apparente au nom de la finalité de la loi (I), avant d’analyser la portée de la limitation apportée au droit de propriété, jugée proportionnée à l’objectif collectif (II).

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**I. La validation d’une différence de traitement fondée sur la finalité de la loi**

Le Conseil constitutionnel écarte le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité en s’appuyant sur une distinction de situation entre les associations de propriétaires (A), qu’il rattache directement à l’objectif d’intérêt général poursuivi par le législateur (B).

**A. L’établissement d’une différence de situation objective entre les groupements de propriétaires**

Les dispositions contestées instaurent une distinction claire entre les groupements de propriétaires. Celles dont l’existence est reconnue avant la création de l’ACCA peuvent exercer un droit de retrait, tandis que celles constituées ultérieurement en sont privées. Pour justifier cette différence de traitement, le Conseil constitutionnel analyse la situation respective de ces deux catégories de groupements. Il relève qu’une association préexistante à l’ACCA « gérait déjà un patrimoine cynégétique ». Sa situation est donc comparable à celle d’un propriétaire individuel disposant d’une superficie suffisante pour organiser la chasse de manière autonome.

En revanche, le Conseil estime qu’une association constituée postérieurement à l’ACCA se trouve dans une situation radicalement différente. Il considère qu’un tel regroupement, opéré alors que les droits de chasse individuels ont déjà été transférés à l’ACCA, « ne peut avoir pour but que de retirer ceux-ci du périmètre de cette dernière ». Cette analyse finaliste permet de distinguer non pas les groupements en eux-mêmes, mais l’objet de leur constitution. La création d’une association post-ACCA est perçue comme une manœuvre visant à démembrer un territoire de chasse existant, ce qui la place dans une situation distincte de celle d’une entité gérant historiquement son propre périmètre.

**B. Le lien direct entre la différence de traitement et l’objectif d’intérêt général**

Après avoir établi une différence de situation, le Conseil constitutionnel s’assure que la distinction opérée par la loi est en rapport direct avec l’objet de celle-ci. L’objectif des ACCA, tel que rappelé par la décision, est « d’assurer une bonne organisation technique de la chasse et de favoriser une gestion équilibrée du gibier, de la faune sauvage et des biotopes ». Cet objectif d’intérêt général suppose de pouvoir s’appuyer sur des territoires de chasse « d’une superficie suffisamment stable et importante ».

Le législateur, en adoptant les dispositions contestées, a entendu « prévenir le morcellement et le rétrécissement des territoires de chasse des associations communales et assurer ainsi la stabilité et la viabilité de ces territoires ». En empêchant les retraits opportunistes par des associations créées à cette seule fin, la mesure législative sert directement cet impératif de stabilité. La différence de traitement est donc non seulement fondée sur une différence de situation, mais elle constitue également un outil nécessaire à la réalisation de l’objectif d’intérêt général. La cohérence entre le moyen et la fin justifie ainsi, pour le Conseil, la restriction apportée au principe d’égalité.

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**II. La consécration d’une limite proportionnée à l’exercice du droit de propriété**

Le Conseil constitutionnel reconnaît que le droit de chasse est une composante du droit de propriété (A), mais juge que l’atteinte qui lui est portée par les dispositions contestées n’est pas excessive au regard des contreparties et de l’intérêt général poursuivi (B).

**A. L’affirmation du droit de chasse comme un attribut du droit de propriété**

Le Conseil prend soin de rattacher le litige à la protection constitutionnelle du droit de propriété, garantie par l’article 2 de la Déclaration de 1789. Il énonce clairement que « le droit de chasse sur un bien foncier se rattache au droit d’usage de ce bien, attribut du droit de propriété ». Cette reconnaissance préalable est essentielle, car elle soumet toute limitation législative à un contrôle de proportionnalité. Le droit de propriété n’étant pas absolu, le législateur peut y apporter des limitations, à condition qu’elles soient justifiées par l’intérêt général et ne soient pas disproportionnées.

En qualifiant le droit de chasse d’attribut du droit de propriété, le Conseil ancre son raisonnement dans une jurisprudence établie. Il ne minimise pas la nature du droit en jeu, mais prépare le terrain à une mise en balance entre la prérogative individuelle du propriétaire et les exigences collectives liées à la gestion de la faune sauvage. L’enjeu n’est donc pas de nier le droit, mais d’en mesurer les limites acceptables.

**B. L’appréciation d’une atteinte non disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi**

Pour évaluer la proportionnalité de l’atteinte, le Conseil procède à une analyse en deux temps. D’une part, il rappelle l’objectif d’intérêt général déjà exposé, à savoir « une bonne organisation de la chasse et le respect d’un équilibre agro-sylvo-cynégétique ». D’autre part, il mesure la portée réelle de la privation subie par les propriétaires.

Le Conseil souligne que ces derniers ne sont pas privés de leur droit de chasse, « mais seulement de l’exercice exclusif de ce droit sur ces terrains ». La nuance est fondamentale : le propriétaire perd une prérogative d’exclusivité, mais conserve la faculté de chasser. De plus, cette perte est compensée par une contrepartie significative. En tant que membres de droit de l’ACCA, les propriétaires concernés « sont autorisés à chasser sur l’espace constitué par l’ensemble des terrains réunis par cette association ». La restriction du droit d’usage sur leur propre fonds est ainsi contrebalancée par l’acquisition d’un droit d’usage étendu à un territoire plus vaste. Au regard de cette compensation et de l’objectif de gestion durable des ressources cynégétiques, l’atteinte n’apparaît pas disproportionnée. Le Conseil valide ainsi une primauté de la gestion collective et organisée sur l’exercice purement individuel et exclusif du droit de propriété.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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