Cour de justice de l’Union européenne, le 16 juillet 2020, n°C-224/19

Par une décision rendue en réponse à une question préjudicielle, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé l’interprétation de la directive 93/13/CEE du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs. En l’espèce, un consommateur avait conclu un contrat de prêt hypothécaire avec un établissement financier. Ce contrat contenait plusieurs clauses dont le caractère abusif était contesté, notamment une clause imposant au consommateur le paiement d’une commission d’ouverture et une autre mettant à sa charge la totalité des frais de constitution et de mainlevée d’hypothèque. Saisi du litige, le juge national a interrogé la Cour sur la compatibilité de ces clauses et de certaines règles de procédure nationales avec le droit de l’Union. La question de droit posée à la Cour portait sur plusieurs points. Il s’agissait de déterminer, d’une part, les conséquences de la nullité d’une clause abusive en termes de restitution des sommes versées, la nature de la commission d’ouverture au regard de l’objet principal du contrat, et les critères d’appréciation de son caractère abusif. D’autre part, la Cour était invitée à se prononcer sur la conformité au droit de l’Union des délais de prescription nationaux pour les actions en restitution et des règles de répartition des dépens en cas de succès partiel du consommateur. En réponse, la Cour de justice a jugé qu’une clause imposant une commission d’ouverture peut être abusive si le professionnel ne prouve pas qu’elle rémunère un service réel. Elle a également affirmé le droit du consommateur à la restitution totale des frais payés en vertu d’une clause abusive, sauf disposition de droit national contraire applicable en l’absence de clause. Enfin, elle a jugé que ni les délais de prescription ni les règles sur les dépens ne doivent rendre l’exercice des droits du consommateur excessivement difficile.

L’analyse de la Cour se déploie en deux temps. Elle se consacre d’abord au contrôle substantiel exercé sur les clauses du contrat de prêt (I), avant de garantir l’effectivité procédurale des droits reconnus au consommateur (II).

***

I. Le contrôle substantiel renforcé des clauses des contrats de prêt

La Cour de justice opère un contrôle matériel des clauses en interprétant de manière restrictive la notion d’objet principal du contrat (A), ce qui lui permet ensuite d’apprécier le caractère potentiellement abusif de la commission d’ouverture (B).

A. Une interprétation stricte de la notion d’« objet principal du contrat »

La directive 93/13/CEE exclut en principe de son champ d’application les clauses qui définissent l’objet principal du contrat. La Cour précise que cette notion doit être entendue strictement. Elle juge que les clauses relatives à l’objet principal sont « celles qui fixent les prestations essentielles de ce contrat et qui, comme telles, caractérisent celui-ci ». Sont ainsi visées les obligations qui constituent la raison d’être de l’engagement des parties. En revanche, les stipulations qui présentent un caractère accessoire ne sauraient être qualifiées de la sorte.

La Cour applique ce raisonnement à la commission d’ouverture. Elle considère que le simple fait que cette commission soit incluse dans le coût total du prêt ne suffit pas à en faire une prestation essentielle. Une telle clause ne définit pas l’essence du rapport contractuel, qui réside dans la mise à disposition d’une somme d’argent contre le paiement d’intérêts. Cette interprétation restrictive est fondamentale, car elle soumet un plus grand nombre de clauses au contrôle du caractère abusif et empêche les professionnels de se soustraire à leurs obligations en qualifiant artificiellement certaines charges de prestations essentielles.

B. L’appréciation du caractère abusif de la commission d’ouverture

Une fois la commission d’ouverture soumise au contrôle de la directive, la Cour en examine les conditions d’abusivité. Elle rappelle qu’une clause est abusive si, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties. La Cour établit un critère d’appréciation concret pour la commission d’ouverture.

Elle estime qu’une telle clause « est susceptible de créer au détriment du consommateur un déséquilibre significatif » lorsque le prêteur ne parvient pas à démontrer que cette commission correspond à des services réellement fournis ou à des frais qu’il a effectivement supportés. La charge de la preuve pèse donc sur le professionnel. Il ne peut se contenter d’imposer des frais forfaitaires sans justification. Cette solution protège le consommateur contre des coûts non transparents qui augmentent le poids de son engagement sans contrepartie avérée, assurant ainsi un meilleur équilibre contractuel.

II. La garantie de l’effectivité procédurale des droits du consommateur

Après avoir défini les conditions de fond, la Cour s’attache à assurer que les droits du consommateur puissent être exercés concrètement. Elle encadre pour cela les conséquences de la nullité d’une clause (A) et censure les obstacles financiers qui entraveraient l’accès au juge (B).

A. L’encadrement de la restitution des sommes et de l’action en justice

La Cour se prononce d’abord sur les effets de la constatation de la nullité d’une clause abusive, telle que celle imposant au consommateur tous les frais d’hypothèque. Le principe est celui de la restitution intégrale des sommes indûment versées. Le juge national ne peut refuser cette restitution que dans une seule hypothèse : si des dispositions de droit interne, applicables en l’absence de la clause litigieuse, imposent au consommateur de supporter tout ou partie de ces frais. La protection du consommateur prime, et le contrat ne peut être maintenu que si le droit national supplétif le prévoit.

Ensuite, la Cour admet que les actions en restitution puissent être soumises à un délai de prescription. Toutefois, cette possibilité est strictement conditionnée par le principe d’effectivité. Le point de départ du délai et sa durée ne doivent pas « rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice du droit du consommateur ». Le droit national ne doit donc pas imposer des contraintes temporelles qui videraient de sa substance le droit à restitution, garantissant ainsi un recours utile pour le consommateur.

B. La censure des obstacles financiers à l’exercice du droit au recours

Enfin, la Cour examine la compatibilité d’une règle de procédure nationale qui module la répartition des dépens en fonction du montant des sommes restituées au consommateur. Elle juge qu’un tel régime est contraire à la directive. Faire supporter au consommateur une partie des frais de justice, même s’il obtient gain de cause sur le caractère abusif d’une clause, constitue un frein économique à l’action en justice.

La Cour considère qu’un tel mécanisme crée un « obstacle substantiel susceptible de décourager les consommateurs d’exercer le droit à un contrôle juridictionnel effectif ». Cette position est essentielle, car elle reconnaît que l’accès à la justice ne doit pas seulement être théorique mais également économiquement viable. En neutralisant cet obstacle financier, la Cour assure que la protection conférée par la directive 93/13/CEE ne reste pas lettre morte et que les consommateurs oseront faire valoir leurs droits devant les tribunaux, renforçant ainsi l’effet dissuasif de la législation envers les professionnels.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

Laisser un commentaire

En savoir plus sur Avocats en droit immobilier et droit des affaires - Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture