L’arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne le 7 novembre 2024 apporte une précision essentielle sur la qualification, au regard de la taxe sur la valeur ajoutée, d’un terrain sur lequel seules les fondations d’une construction ont été édifiées. En l’espèce, une société avait acquis un terrain, l’avait divisé en parcelles, puis y avait réalisé des fondations pour des constructions à usage d’habitation avant le 1er janvier 2011, date d’un changement de la législation fiscale danoise. Plusieurs années plus tard, elle a cédé ces parcelles pourvues uniquement de leurs fondations. L’administration fiscale a considéré ces cessions comme des livraisons de terrains à bâtir soumises à la TVA. Les sociétés venderesses ont contesté cette position, soutenant qu’il s’agissait de la livraison de bâtiments ou de fractions de bâtiment, une opération qui, en vertu des dispositions transitoires nationales, était exonérée de la taxe. Saisie d’un recours contre la décision d’une juridiction fiscale nationale qui avait donné raison aux sociétés, une cour d’appel danoise a décidé de surseoir à statuer et d’interroger la Cour de justice. Il était demandé, en substance, si la directive TVA permet de qualifier de « terrain à bâtir » soumis à la taxe un bien immobilier comprenant, au moment de sa livraison, uniquement des fondations sur lesquelles une construction n’a été érigée que postérieurement. La Cour répond par l’affirmative, jugeant qu’« une opération de livraison d’un terrain pourvu, à la date de cette livraison, exclusivement de fondations de constructions à usage d’habitation constitue une livraison d’un “terrain à bâtir” ».
Cette solution repose sur une interprétation finaliste de la notion de bâtiment (I), dont la portée est de renforcer la distinction entre les opérations de construction et la simple cession de terrains destinés à cet usage (II).
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I. La consécration d’une interprétation finaliste de la notion de bâtiment
Pour déterminer si un terrain pourvu de fondations constitue un « terrain à bâtir », la Cour devait préalablement établir si ces mêmes fondations pouvaient être qualifiées de « bâtiment ». Elle écarte une approche purement matérielle (A) au profit d’un critère fonctionnel lié à l’utilisation potentielle du bien (B).
A. Le rejet d’une qualification purement matérielle
La directive TVA définit de manière large la notion de bâtiment comme « toute construction incorporée au sol ». À première vue, cette définition pourrait sembler inclure des fondations, qui sont par nature incorporées au sol et constituent un élément de construction. Toutefois, la Cour refuse de s’en tenir à cette seule lecture littérale. Elle rappelle que cette définition doit être lue en lien avec la disposition qui soumet à la TVA « la livraison d’un bâtiment ou d’une fraction de bâtiment et du sol y attenant, effectuée avant sa première occupation ». Le législateur de l’Union a ainsi lié la qualification de bâtiment neuf taxable à un événement précis, qui est son occupation.
En agissant de la sorte, la Cour écarte l’argument selon lequel la simple présence d’un ouvrage de maçonnerie, même essentiel à la future construction, suffirait à transformer la nature juridique du bien. Elle confirme que l’aménagement d’un terrain, qu’il s’agisse de l’installation de réseaux ou de la réalisation de fondations, ne lui fait pas perdre sa qualité de terrain à bâtir. Cette approche préserve la cohérence du système en évitant qu’un état d’avancement très précoce des travaux ne permette de basculer d’un régime fiscal à un autre, celui des bâtiments, alors même que l’essentiel de la valeur ajoutée reste à créer.
B. L’affirmation du critère de l’occupation potentielle
Le cœur du raisonnement de la Cour réside dans la mobilisation du critère de la « première occupation ». Elle rappelle la finalité de cette notion, qui est de marquer le moment où un bien sort du processus de production pour entrer dans la sphère de la consommation. Comme elle le souligne, ce critère « doit être compris comme correspondant à celui de la première utilisation du bien par son propriétaire ou par son locataire ». Or, des fondations seules ne sont manifestement pas susceptibles de faire l’objet d’une telle occupation ou utilisation. Elles ne constituent qu’une étape préliminaire dans le processus de production d’un bâtiment et ne représentent pas un produit fini prêt à être consommé.
La Cour étend cette logique à la notion de « fraction de bâtiment », en précisant qu’une telle fraction doit également pouvoir faire l’objet d’une occupation autonome, comme un appartement dans un immeuble en cours de construction. Puisqu’une fondation n’est pas habitable, elle ne peut être qualifiée ni de bâtiment, ni de fraction de bâtiment au sens de la directive. Le critère n’est donc pas l’existence d’une structure physique, mais bien son aptitude à remplir la fonction pour laquelle elle est destinée. En liant la définition juridique à la capacité d’usage, la Cour ancre l’analyse dans une réalité économique tangible.
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II. La portée de la solution : une clarification au service de la neutralité de la TVA
En définissant clairement la frontière entre un terrain à bâtir et un bâtiment, la décision de la Cour a une portée significative. Elle consolide une distinction fondamentale pour l’assiette de la taxe (A) et réaffirme la primauté de la réalité économique sur le simple état d’avancement matériel des travaux (B).
A. La distinction consolidée entre bâtiment et terrain à bâtir
La solution retenue a pour effet de sécuriser le champ d’application de la taxation des livraisons de terrains à bâtir. En effet, si de simples fondations avaient été jugées suffisantes pour qualifier un bien de « bâtiment », les opérateurs auraient pu être incités à réaliser des travaux minimes dans le seul but de modifier le régime fiscal applicable à la cession. Une telle interprétation aurait ouvert la voie à des stratégies d’optimisation fiscale contraires à l’objectif de la directive, qui est de taxer la valeur ajoutée générée par les opérations économiques.
En jugeant que des fondations ne sont pas un bâtiment, la Cour établit une ligne de partage claire : tant qu’une construction n’est pas achevée au point de pouvoir être occupée, le terrain sur lequel elle repose demeure un terrain à bâtir. Cette clarification est essentielle pour les États membres, qui disposent d’une marge d’appréciation pour définir cette notion, mais dans les limites fixées par les objectifs de la directive. La Cour réaffirme ainsi que cet objectif est « de n’exonérer de la TVA que les seules livraisons de terrains non bâtis qui ne sont pas destinés à supporter un édifice ».
B. La primauté de la réalité économique sur l’état d’avancement des travaux
Au-delà de la question spécifique des fondations, cet arrêt illustre un principe plus large du droit de la TVA : la prééminence de la substance économique de l’opération. Économiquement, la vente d’une parcelle pourvue de seules fondations est bien plus proche de la vente d’un terrain nu destiné à la construction que de la vente d’un logement achevé. La valeur ajoutée principale de l’opération réside dans le terrain lui-même et son potentiel de constructibilité, et non dans l’ouvrage de maçonnerie qui s’y trouve. Le processus de production qui justifie l’application de la TVA sur un bâtiment neuf n’est qu’à son commencement.
La Cour souligne à juste titre que la valeur ajoutée d’un bâtiment neuf provient « d’un travail de construction qui entraîne une modification substantielle de la réalité matérielle, du fait du passage d’un bien immeuble non bâti […] à un bâtiment habitable ». En exigeant un degré d’achèvement suffisant pour permettre une occupation, la Cour s’assure que la TVA est appliquée à une opération qui a effectivement généré la valeur ajoutée caractéristique de la sortie d’un bien du circuit de production. La qualification fiscale de l’opération est ainsi alignée sur sa réalité économique, garantissant la neutralité et l’effectivité du système commun de TVA.