Cour de justice de l’Union européenne, le 20 janvier 2021, n°C-655/19

Par un arrêt du 20 janvier 2021, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé les contours de la notion d’activité économique au sens de la directive relative à la taxe sur la valeur ajoutée. En l’espèce, un particulier avait consenti plusieurs prêts à un tiers, garantis par des hypothèques sur des biens immobiliers. En raison du défaut de remboursement, le créancier s’est vu adjuger trois de ces immeubles lors d’une procédure d’enchères. Il a procédé à la vente de ces biens au cours des années suivantes afin de recouvrer ses créances. L’administration fiscale nationale a considéré que ces ventes constituaient une activité économique soumise à la taxe sur la valeur ajoutée, ce qui a conduit à un redressement fiscal. Saisi du litige, le tribunal de première instance a annulé cette décision, estimant que les opérations relevaient de la simple récupération d’une créance. La cour d’appel, saisie par l’administration fiscale, a alors décidé d’interroger la Cour de justice sur la qualification de ces opérations. La question posée était de savoir si l’acquisition d’un immeuble par un créancier dans le cadre d’une procédure d’exécution forcée, suivie de sa vente, constitue une activité économique soumise à la taxe sur la valeur ajoutée. La Cour y répond par la négative, jugeant que de telles opérations ne relèvent pas, en soi, d’une activité économique lorsqu’elles s’inscrivent dans le simple exercice du droit de propriété et la bonne gestion d’un patrimoine privé. Cette solution clarifie la frontière entre l’acte de gestion patrimoniale et l’activité économique imposable (I), tout en subordonnant cette qualification à une analyse factuelle dont la portée doit être mesurée (II).

I. La délimitation de l’activité économique à l’aune de la gestion du patrimoine privé

La Cour rappelle la distinction fondamentale entre l’exploitation d’un bien et le simple exercice du droit de propriété (A), en s’appuyant sur le critère matériel des démarches de commercialisation pour qualifier la nature de l’opération (B).

A. La distinction réaffirmée entre exploitation d’un bien et simple exercice du droit de propriété

La Cour de justice souligne que si le champ d’application de la taxe sur la valeur ajoutée est très large, il ne vise que les activités de nature économique. Elle réitère une jurisprudence constante selon laquelle « le simple exercice du droit de propriété par son titulaire ne saurait, en lui-même, être considéré comme constituant une activité économique ». La simple acquisition et la revente d’un bien ne suffisent pas à caractériser une exploitation visant à produire des recettes permanentes. Le seul bénéfice potentiel réalisé lors de la cession ne transforme pas l’opération en une activité économique au sens de la directive. En l’occurrence, le créancier, en se portant acquéreur des immeubles puis en les cédant, n’agit pas dans une logique d’exploitation commerciale. Il cherche avant tout à liquider un actif pour recouvrer une créance préexistante, ce qui s’apparente à un acte de disposition de son patrimoine.

Pour apprécier si une opération dépasse le cadre de la gestion patrimoniale, la Cour emploie des critères objectifs permettant de sonder l’intention réelle de l’opérateur.

B. L’application du critère des démarches actives de commercialisation

La Cour précise qu’une activité devient économique lorsque son auteur entreprend des démarches actives de commercialisation, mobilisant des moyens similaires à ceux d’un producteur, d’un commerçant ou d’un prestataire de services. De telles initiatives sortent en effet du cadre de la simple gestion d’un patrimoine privé. En l’espèce, la Cour relève que le créancier « n’a pas entrepris de démarches actives de commercialisation foncière » et que son unique objectif était la reconstitution de son patrimoine personnel. Le processus de vente n’était donc que la conséquence du recouvrement forcé de sa créance, et non une démarche commerciale autonome visant à générer des profits de manière régulière sur le marché immobilier. L’absence de moyens de commercialisation déployés par le créancier est un indice décisif pour écarter la qualification d’activité économique et le maintenir hors du champ de la taxe.

En fondant sa décision sur l’analyse concrète du comportement du créancier, la Cour en précise la portée tout en laissant entrevoir les limites de l’exonération.

II. La portée de la solution : une qualification dépendante de l’intention et des moyens mis en œuvre

La solution adoptée confère un rôle majeur à la finalité de l’opération (A), mais elle n’exclut pas une requalification dans des situations où les faits révéleraient une intention commerciale plus marquée (B).

A. La finalité de l’opération comme critère déterminant

La Cour de justice attache une importance particulière à l’objectif poursuivi par la personne effectuant les ventes. Elle considère que les opérations relèvent de la gestion d’un patrimoine privé dès lors que « l’intéressé avait comme objectif le recouvrement de ses créances et la reconstitution de son patrimoine ». Cette approche finaliste offre une sécurité juridique aux créanciers qui, sans être des professionnels de l’immobilier, sont contraints de réaliser des actifs pour ne pas subir de perte. La qualification dépend donc moins du nombre d’opérations que de leur contexte et de leur motivation. En protégeant la gestion d’un patrimoine privé des contraintes de la taxe sur la valeur ajoutée, la Cour préserve le principe de neutralité de cet impôt, qui ne doit pas peser sur des transactions étrangères à toute logique d’entreprise. L’intention de l’opérateur, corroborée par des éléments objectifs, devient ainsi la clé de voûte du raisonnement.

Cependant, la solution retenue, bien que protectrice dans le cas d’espèce, n’exclut pas une qualification différente dans des circonstances distinctes.

B. Les limites de l’exonération et les cas de figure ambigus

La Cour prend soin de préciser que sa décision ne s’applique pas aux ventes immobilières qui s’inscriraient « dans le prolongement direct d’une activité économique d’octroi de prêt ». Ainsi, si le créancier était un professionnel du crédit, la solution pourrait être inverse, les ventes étant alors considérées comme l’accessoire de son activité principale. De même, des démarches actives telles que des travaux de rénovation importants en vue d’une plus-value, une division parcellaire ou le recours à des services publicitaires professionnels pourraient faire basculer l’opération dans le champ de l’activité économique. L’arrêt constitue donc une décision d’espèce dont la solution est fortement conditionnée aux faits. Il appartient aux juridictions nationales d’apprécier, au cas par cas, si le comportement du vendeur dépasse la simple gestion patrimoniale pour constituer une véritable exploitation commerciale d’un bien.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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