Cour d’appel administrative de Marseille, le 20 mars 2025, n°23MA01989

Par un arrêt du 20 mars 2025, la cour administrative d’appel de Marseille a précisé les conditions d’engagement de la responsabilité d’un associé de société civile au titre des dettes fiscales de cette dernière. En l’espèce, un associé détenant un quart des parts d’une société civile dissoute s’est vu réclamer par l’administration fiscale le paiement d’une fraction d’une dette de taxe sur la valeur ajoutée. Cette créance fiscale résultait d’agissements frauduleux du gérant, qui avait obtenu des remboursements indus en produisant des factures fictives. Le contribuable a saisi le tribunal administratif de Marseille, qui a rejeté sa demande par un jugement du 13 juin 2023. L’associé a interjeté appel de cette décision, soutenant que les actes du gérant, étant étrangers à l’objet social, ne pouvaient valablement engager la société, ni par conséquent sa propre responsabilité patrimoniale. La cour devait donc déterminer si un associé peut s’opposer au paiement d’une dette sociale au motif que celle-ci trouve son origine dans des fautes du gérant excédant l’objet social. La juridiction d’appel rejette la requête, jugeant que l’obligation indéfinie de l’associé aux dettes sociales, prévue par l’article 1857 du code civil, s’applique dès lors que la créance du tiers est établie, et ce, indépendamment d’une éventuelle violation des statuts par le gérant. La cour souligne que cette circonstance est « sans effet sur l’exigibilité de la dette de la […] auprès de ses associés ». Cette décision réaffirme ainsi le principe de l’autonomie de l’obligation aux dettes à l’égard des tiers (I), consacrant une solution qui renforce la sécurité des créanciers sociaux (II).

I. L’autonomie de l’obligation de l’associé aux dettes sociales

La cour administrative d’appel fonde sa décision sur une distinction nette entre les règles régissant les pouvoirs du gérant et le mécanisme de garantie offert aux créanciers par la responsabilité des associés. Elle estime ainsi que les limites de l’objet social sont inopposables au créancier fiscal (A), ce qui conduit à une application rigoureuse de la responsabilité subsidiaire de l’associé (B).

A. Le rejet de l’objet social comme limite à l’engagement envers les tiers

Le requérant soutenait que la dette fiscale, née d’infractions pénales, ne pouvait être considérée comme entrant dans le cadre de l’objet social de la société civile. Il en déduisait, en s’appuyant sur l’article 1849 du code civil, que la société n’était pas valablement engagée par les actes de son gérant, ce qui devait faire obstacle à la mise en jeu de sa propre responsabilité d’associé. La cour écarte cette argumentation en considérant que la source de la dette, fût-elle frauduleuse et étrangère à l’activité licite de l’entreprise, ne prive pas la créance de l’administration de son existence. L’arrêt précise en effet que « alors même que les remboursements de taxe sur la valeur ajoutée auraient été obtenus par la production, étrangère à l’objet social de la société, de fausses factures », l’obligation de l’associé demeure. Ce faisant, la cour rappelle que l’objet social a pour fonction principale de délimiter les pouvoirs du gérant dans ses rapports avec les associés, mais ne constitue pas une protection absolue contre les engagements pris au nom de la société vis-à-vis des tiers, surtout lorsque la dette est avérée.

B. L’application inconditionnelle de la responsabilité subsidiaire de l’associé

Une fois l’existence de la dette sociale confirmée, la cour se tourne vers l’article 1857 du code civil pour en tirer les conséquences logiques quant à l’obligation de l’associé. Ce texte dispose qu’« à l’égard des tiers, les associés répondent indéfiniment des dettes sociales à proportion de leur part dans le capital social ». La solution de l’arrêt repose sur une application littérale et inconditionnelle de ce principe. L’obligation de l’associé est une conséquence directe de la personnalité morale de la société civile et représente une garantie fondamentale pour ceux qui contractent avec elle. La cour juge que l’associé ne peut « utilement invoquer les articles 1849 et 1850 du même code, qui sont sans effet sur l’exigibilité de la dette ». Ainsi, le caractère subsidiaire et indéfini de la responsabilité de l’associé forme un mécanisme autonome, dont le déclenchement ne dépend que d’une seule condition : l’existence d’une dette sociale certaine et exigible.

La rigueur de cette solution, fondée sur une lecture stricte des textes, vise à garantir l’efficacité du droit de gage des créanciers. Elle emporte des conséquences importantes sur l’équilibre entre la protection des tiers et celle des associés.

II. Une solution protectrice des créanciers et de la sécurité juridique

En refusant de laisser l’associé se prévaloir des turpitudes du gérant pour échapper à son obligation, la cour administrative d’appel privilégie la sécurité des transactions juridiques. Cette approche assure la primauté de la protection du créancier social (A), tout en orientant l’associé floué vers les voies de droit appropriées (B).

A. La primauté de la protection du créancier social

La décision commentée a pour principale valeur de renforcer la position des créanciers d’une société civile. En effet, si l’argument de l’associé avait été accueilli, tout tiers créancier se verrait contraint, avant d’obtenir le paiement de sa créance auprès des associés, de vérifier que l’acte générateur de la dette entrait bien dans l’objet social. Une telle exigence créerait une insécurité juridique considérable et paralyserait les relations d’affaires. La cour évite cet écueil en affirmant que les contestations relatives à la gestion de la société sont une affaire interne. Le créancier, et particulièrement le Trésor public, dont la créance naît de l’application de la loi fiscale, n’a pas à pâtir des fautes ou des excès de pouvoir commis par les organes sociaux. Cette solution est conforme à la nature même de la société civile, où la responsabilité indéfinie des associés constitue la contrepartie d’un formalisme de constitution et de fonctionnement allégé.

B. La redirection de l’associé vers une action en responsabilité contre le gérant

Si la cour se montre inflexible quant à l’obligation de l’associé envers le créancier fiscal, sa décision n’a pas pour portée de le priver de tout recours. Au contraire, l’arrêt délimite clairement les différentes actions en justice. En jugeant que le litige ne porte pas sur la « responsabilité individuelle du gérant à raison d’infractions aux lois et règlements ou de fautes commises dans sa gestion », elle indique implicitement mais nécessairement la voie à suivre. L’associé, une fois qu’il se sera acquitté de la dette sociale, disposera d’une action récursoire contre le gérant fautif sur le fondement de l’article 1850 du code civil. Il pourra ainsi chercher à obtenir réparation du préjudice que la mauvaise gestion lui a causé. L’arrêt a donc une portée pédagogique : il rappelle que chaque action a un objet et un fondement propres, et qu’il n’est pas possible de confondre l’obligation à la dette envers les tiers et l’action en responsabilité pour faute de gestion.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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