Par un arrêt en date du 30 avril 2025, la Cour administrative d’appel de Paris s’est prononcée sur les modalités d’imposition d’une plus-value de cession d’un fonds de commerce détenu en nue-propriété par une non-résidente. En l’espèce, une contribuable, résidente fiscale australienne, avait hérité en 1989 de droits indivis en nue-propriété sur un fonds de commerce situé en France, dont l’exploitation était poursuivie par les autres coindivisaires. Lors de la cession de ce fonds en 2013, l’administration fiscale a assujetti l’intéressée à l’impôt sur le revenu en France à raison de sa quote-part de la plus-value réalisée. La contribuable a contesté cette imposition devant le tribunal administratif de Montreuil, qui a rejeté sa demande par un jugement du 23 mai 2023. Elle a interjeté appel de ce jugement, soutenant principalement que le droit d’imposer revenait à l’Australie en application de la convention fiscale franco-australienne. La question de droit soumise à la Cour était donc de déterminer si la plus-value réalisée par une nue-propriétaire non-résidente lors de la cession d’un fonds de commerce exploité en France constituait un bénéfice d’entreprise imposable dans l’État de situation de l’actif, ou un gain en capital relevant de la compétence fiscale de l’État de résidence du cédant. La Cour administrative d’appel a rejeté la requête, jugeant que la plus-value litigieuse procédait de la cession d’un actif professionnel et constituait un bénéfice d’entreprise imposable en France en vertu de la convention.
La solution retenue par la Cour repose sur une qualification de la plus-value qui confirme la compétence fiscale de l’État de la source (I), qualification qui n’est cependant pas exempte de discussion au regard du statut passif de la contribuable (II).
I. La confirmation de l’imposition en France par la qualification de bénéfice d’entreprise
Pour asseoir la compétence fiscale française, le juge administratif a d’abord rattaché le gain au droit interne en le qualifiant de revenu professionnel (A), avant d’en déduire l’application des stipulations conventionnelles relatives aux bénéfices d’entreprise, écartant ainsi la clause d’imposition exclusive par l’État de résidence (B).
A. Le rattachement préalable à un actif professionnel en droit interne
La Cour rappelle, dans un premier temps, la méthodologie applicable en matière de conflit de lois fiscales, qui impose de qualifier le revenu au regard de la loi fiscale nationale avant d’examiner les stipulations de la convention internationale. Elle se fonde sur l’article 164 B du code général des impôts, qui considère comme revenus de source française « Les revenus d’exploitations sises en France ». Pour appliquer ce texte à la situation de l’appelante, le juge énonce une règle prétorienne selon laquelle « les droits indivis que détient un héritier sur la valeur d’actifs affectés à l’activité professionnelle exercée par un autre cohéritier ont toujours du point de vue fiscal le caractère d’un élément de patrimoine professionnel, même dans le cas où cet héritier ne participe pas lui-même à cette activité professionnelle ». Il en résulte que, bien que la requérante n’ait été qu’une nue-propriétaire passive et non-résidente, sa quote-part dans le fonds de commerce était considérée comme un actif professionnel. Dès lors, la plus-value issue de sa cession constituait un revenu de source française imposable en France, sous réserve de l’application de la convention fiscale.
B. L’application conséquente des règles de dévolution des bénéfices d’entreprise
Dans un second temps, la Cour examine les arguments de la requérante fondés sur la convention franco-australienne du 20 juin 2006. Celle-ci soutenait que la plus-value devait être imposée en Australie, son État de résidence, en vertu du paragraphe 6 de l’article 13, qui attribue à l’État de résidence l’imposition des « gains en capital provenant de l’aliénation de tous biens, autres que ceux qui sont visés aux paragraphes précédents ». La Cour écarte cette analyse en s’appuyant sur la qualification préalablement établie en droit interne. Elle juge que les droits indivis sur le camping constituaient « un élément d’actif professionnel dont la cession a généré des bénéfices d’entreprise au sens des stipulations de l’article 7 de la convention bilatérale franco-australienne ». Cet article dispose que les bénéfices d’une entreprise d’un État sont imposables dans l’autre État si l’entreprise y exerce son activité par le biais d’un établissement stable. L’exploitation du camping en France caractérisant un tel établissement, la Cour conclut que la plus-value était imposable en France sur ce fondement, rendant le paragraphe 6 de l’article 13 inapplicable.
II. Une assimilation discutable du gain de la nue-propriétaire à un bénéfice d’entreprise
La solution, si elle est orthodoxe dans sa démarche, interpelle par son caractère extensif (A), affirmant avec force la primauté de la nature de l’actif sur la situation personnelle du contribuable (B).
A. L’interprétation extensive de la notion de bénéfice d’entreprise
La principale critique que l’on peut adresser à cette décision réside dans l’assimilation de la plus-value réalisée par une simple nue-propriétaire à un bénéfice d’entreprise. La requérante, du fait de son statut, ne participait ni à l’exploitation du fonds de commerce, ni aux décisions de gestion, et ne percevait pas les revenus de l’activité, lesquels revenaient aux usufruitiers. Son droit était un droit sur la substance de l’actif, un droit patrimonial qui ne se réalisait financièrement qu’à la cession de celui-ci. Or, l’article 7 de la convention vise les « bénéfices d’une entreprise », ce qui suggère une participation, directe ou indirecte, à une activité économique. En qualifiant le gain de la nue-propriétaire de bénéfice d’entreprise, la Cour opère une fiction juridique où la nature de l’actif contamine le revenu tiré de son aliénation, indépendamment de toute implication de son titulaire dans l’activité. Cette approche privilégie une conception objective et économique de l’établissement stable, attaché au bien lui-même plutôt qu’à la personne qui en tire un revenu.
B. L’affirmation de la prééminence de la nature de l’actif sur le statut du contribuable
Au-delà du cas d’espèce, la portée de cet arrêt réside dans l’affirmation d’un principe de continuité fiscale de l’actif professionnel. La Cour entérine le fait qu’un bien, une fois affecté à une exploitation commerciale, conserve cette nature pour tous ses détenteurs, y compris ceux qui l’ont reçu par succession sans jamais prendre part à l’activité. Cette décision a pour conséquence de renforcer considérablement les droits d’imposition de l’État de la source des revenus. Elle limite la portée des clauses conventionnelles attribuant la compétence fiscale à l’État de résidence, en particulier pour les plus-values sur des biens qui, bien que détenus passivement, sont liés à une entreprise locale. La solution illustre ainsi une tendance jurisprudentielle favorable à l’imposition à la source, garantissant à l’État sur le territoire duquel la richesse est créée le droit de la taxer, et ce, malgré la complexité ou la fragmentation des schémas de détention. L’imposition est attachée au bien et à son usage, bien plus qu’à la personne du contribuable et à son degré d’implication.