Cour d’appel administrative de Nantes, le 7 mars 2025, n°23NT01393

Par une décision rendue le 7 mars 2025, la cour administrative d’appel de Nantes s’est prononcée sur la légalité d’une délibération approuvant un plan local d’urbanisme intercommunal. En l’espèce, des propriétaires contestaient le classement de leurs parcelles en zone agricole, sollicitant leur intégration dans une zone urbaine au motif de leur proximité avec un hameau existant. Ce litige soulevait la question de l’étendue du contrôle exercé par le juge administratif sur les choix de zonage opérés par les autorités compétentes en matière d’urbanisme, dans un contexte de lutte contre l’étalement urbain.

Les requérants avaient initialement saisi le tribunal administratif de Nantes d’une demande d’annulation de la délibération du 18 décembre 2019 du conseil communautaire d’une communauté de communes, en tant qu’elle classait leurs terrains en zone agricole. Par un jugement du 28 février 2023, le tribunal a rejeté leur demande. Les propriétaires ont alors interjeté appel de ce jugement, arguant de plusieurs irrégularités de procédure ainsi que d’erreurs de fond, notamment une incompatibilité du plan avec le schéma de cohérence territoriale, une incohérence avec le projet d’aménagement et de développement durables, et une erreur manifeste d’appréciation dans le choix du classement. Se posait ainsi au juge d’appel la question de savoir si le classement en zone agricole de parcelles situées en lisière d’un hameau, justifié par des objectifs de préservation des terres agricoles, excédait la marge d’appréciation de l’autorité administrative.

À cette question, la cour administrative d’appel répond par la négative, confirmant le jugement de première instance. Elle estime que le classement litigieux ne méconnaît ni les documents de planification supérieurs, ni la cohérence interne du plan local d’urbanisme. De plus, elle juge que les auteurs du plan n’ont pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en choisissant de ne pas intégrer les parcelles à l’enveloppe urbaine du hameau. La décision illustre ainsi la méthode d’analyse du juge administratif, qui combine un contrôle de la conformité du zonage aux objectifs généraux des documents d’urbanisme (I) avec une appréciation restreinte de l’opportunité des choix de délimitation parcellaire (II).

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I. La consécration d’un choix d’urbanisme cohérent au regard des documents de planification

La cour valide le classement en zone agricole en s’assurant d’abord de sa conformité avec les normes d’urbanisme qui lui sont supérieures. Elle examine ainsi successivement la compatibilité du plan local d’urbanisme intercommunal avec le schéma de cohérence territoriale (A), puis la cohérence de ce même plan avec son propre projet d’aménagement et de développement durables (B).

A. Une compatibilité vérifiée avec les normes supra-communales

Le juge administratif rappelle que la compatibilité d’un plan local d’urbanisme avec un schéma de cohérence territoriale s’apprécie de manière globale, à l’échelle de l’ensemble du territoire concerné. Il ne s’agit pas de vérifier une conformité stricte de chaque disposition du plan à chaque orientation du schéma, mais de s’assurer que le premier ne contrarie pas les objectifs fondamentaux du second. En l’espèce, les requérants soutenaient que leurs parcelles remplissaient les critères définis par le schéma pour être incluses dans l’enveloppe urbaine.

La cour écarte cet argument en jugeant que « la circonstance alléguée que celles-ci satisferaient aux critères définis par ce schéma pour être incluse dans l’enveloppe urbaine n’est pas de nature à caractériser une incompatibilité » avec les objectifs du schéma de cohérence territoriale. Ce faisant, elle hiérarchise les objectifs du document supérieur, faisant prévaloir les orientations générales de lutte contre l’artificialisation des sols et de préservation des espaces agricoles sur la situation particulière de quelques parcelles. L’analyse globale permet ainsi de justifier un choix de zonage restrictif, même si une autre option aurait pu paraître conforme à certaines dispositions du schéma.

B. Une cohérence respectée avec le projet d’aménagement et de développement durables

Le contrôle de la cohérence interne du plan local d’urbanisme, entre son règlement et son projet d’aménagement et de développement durables (PADD), obéit à une logique similaire. Le PADD fixe des orientations générales, parfois contradictoires, que le règlement doit concilier sans nécessairement les satisfaire toutes de manière absolue. Les requérants arguaient que le classement de leurs parcelles faisait obstacle à l’objectif de développement de l’habitat dans les hameaux.

La cour rejette cette lecture, considérant qu’il « ne résulte pas des orientations du projet d’aménagement et de développement durables précitées, relatives à la création de nouveaux logements à l’intérieur de l’enveloppe urbaine des hameaux, que le hameau de La Bouvardière doit nécessairement accueillir de nouvelles constructions s’il n’existe pas de terrains libres au sein de son enveloppe urbaine ». La juridiction souligne que l’objectif de densification des hameaux doit être mis en balance avec d’autres objectifs tout aussi fondamentaux du PADD, notamment la préservation des espaces agricoles et la modération de la consommation foncière. Le classement en zone agricole des parcelles litigieuses apparaît ainsi comme une traduction cohérente de cet arbitrage opéré par les auteurs du plan.

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II. La validation d’un pouvoir discrétionnaire de zonage sous le contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation

Après avoir validé la cohérence du choix de zonage, la cour en examine le bien-fondé au regard de la situation concrète des parcelles, par le prisme du contrôle restreint de l’erreur manifeste d’appréciation. Son raisonnement s’articule autour de la notion d’enveloppe urbaine (A) pour finalement refuser de substituer son appréciation à celle, jugée opportune, de l’autorité administrative (B).

A. La délimitation de l’enveloppe urbaine comme clef de voûte de l’appréciation

L’argumentation des requérants reposait sur l’idée que leurs terrains se situaient dans la continuité du bâti existant et devaient donc être intégrés à l’enveloppe urbaine du hameau. La cour procède à une analyse factuelle pour déterminer si les parcelles peuvent être considérées comme faisant partie intégrante de cet espace urbanisé. Elle relève que le tènement foncier « s’ouvre sur un vaste espace naturel et agricole au sud et à l’est et n’est bordée de constructions que sur deux côtés ».

Sur cette base, elle conclut que ce tènement « ne peut, dès lors, être regardé comme intégré à l’enveloppe urbaine de ce hameau, alors même que la parcelle n° 1862 supporte une maison d’habitation ». La présence d’une impasse ou d’un chemin de desserte est jugée insuffisante pour modifier cette appréciation. Cette approche factuelle montre que la qualification d’un terrain dépend moins de sa proximité immédiate avec une construction que de sa position d’interface avec les espaces agricoles environnants, que le plan vise précisément à protéger.

B. Le refus de censurer un choix jugé opportun

Le contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation n’autorise le juge à annuler une décision que si celle-ci est entachée d’une illégalité flagrante, grossière. En matière d’urbanisme, ce contrôle laisse une large part de liberté à l’administration dans ses choix d’aménagement. La cour applique ce principe avec rigueur en affirmant que « ni la circonstance que les parcelles de M A… et autres étaient auparavant classées en zone urbaine, ni celle que ces parcelles auraient pu être légalement classées en zone urbaine n’ont d’incidence sur la légalité du classement en zone agricole litigieux ».

Cette formule classique réaffirme que le juge ne contrôle pas l’opportunité des choix de l’administration. Le fait qu’un autre classement aurait été possible, voire pertinent, ne suffit pas à rendre illégal celui qui a été retenu. Dès lors que le classement en zone agricole n’apparaît pas manifestement erroné au regard des objectifs de préservation poursuivis par le plan et de la situation des parcelles en lisière d’un espace agricole non urbanisé, le choix de l’autorité compétente ne peut qu’être validé.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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