Cour d’appel administrative de Bordeaux, le 7 mai 2025, n°23BX01976

Par une décision en date du 7 mai 2025, la cour administrative d’appel de Bordeaux s’est prononcée sur la qualification de revenus distribués appliquée à la prise en charge par une société des frais de logement de son gérant, ainsi que sur la caractérisation du manquement délibéré justifiant l’application d’une pénalité. En l’espèce, un contribuable, gérant et associé unique d’une société à responsabilité limitée, a fait l’objet d’un contrôle sur pièces. L’administration fiscale a alors constaté que la société prenait en charge le loyer d’un appartement à Paris, mis à la disposition de son dirigeant, sans que cette charge ne soit comptabilisée en tant qu’avantage en nature et sans que ce dernier ne l’ait déclaré sur sa propre déclaration de revenus. En conséquence, l’administration a qualifié ces sommes d’avantages occultes constitutifs de revenus distribués, et a notifié au contribuable des rehaussements d’impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux au titre des années 2015 et 2016, assortis d’une majoration de 40 % pour manquement délibéré. Le contribuable a saisi le tribunal administratif de Bordeaux, qui a rejeté sa demande par un jugement du 17 mai 2023. Le requérant a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant principalement que la proposition de rectification était insuffisamment motivée et que les frais de location, étant engagés dans l’intérêt de la société, ne pouvaient constituer une distribution occulte. Il appartenait donc à la cour de déterminer si le défaut de comptabilisation et de déclaration d’un avantage en nature suffit à le qualifier d’avantage occulte, indépendamment de son utilité professionnelle pour la société, et si l’intention d’éluder l’impôt pouvait être déduite du traitement comptable différencié d’un avantage similaire au sein de la même entreprise. La cour administrative d’appel a rejeté la requête, confirmant l’analyse de l’administration et le jugement de première instance. Elle a jugé que le double défaut d’inscription comptable explicite et de déclaration par le bénéficiaire caractérise l’avantage occulte, et ce, même en présence d’un usage professionnel partiel. Elle a également validé l’application de la majoration pour manquement délibéré, en se fondant sur le fait que le gérant ne pouvait ignorer ses obligations, dès lors que la société avait correctement traité un avantage de même nature pour une autre salariée.

Cette décision illustre avec rigueur la qualification d’un avantage occulte (I), avant de mettre en lumière une méthode pragmatique pour établir l’élément intentionnel du manquement délibéré (II).

I. La qualification rigoureuse de l’avantage occulte

La cour rappelle que la qualification d’avantage occulte découle principalement d’un manquement formel (A), rendant inopérante toute justification fondée sur l’usage professionnel de l’avantage (B).

A. Le critère déterminant du défaut de comptabilisation

L’arrêt énonce clairement que la qualification d’avantage occulte repose sur des critères objectifs et formels. Conformément aux dispositions combinées des articles 109 et 111 du code général des impôts, sont considérés comme des revenus distribués les avantages occultes, lesquels ne sont pas inscrits de manière explicite dans les comptes de la société. La cour relève ainsi que « dès lors que cet avantage n’a pas été explicitement inscrit dans la comptabilité de la société et que M. A… ne l’a pas déclaré comme avantage en nature, c’est à bon droit que l’administration l’a regardé comme constituant un avantage occulte ». Le raisonnement de la juridiction s’attache moins à la substance économique de la dépense qu’à sa traduction comptable. En effet, l’absence de transparence dans les écritures de la société constitue le fait générateur de la qualification. Cette approche, conforme à une jurisprudence constante, vise à garantir que l’administration fiscale soit en mesure d’identifier sans ambiguïté la nature des sommes versées et l’identité de leurs bénéficiaires. La dissimulation, même sans intention frauduleuse avérée à ce stade de l’analyse, résulte du simple fait que ni la comptabilité de la personne morale, ni la déclaration de revenus de la personne physique ne révèlent la réalité de la rémunération indirecte.

B. L’indifférence de l’usage professionnel de l’avantage

Le contribuable tentait de justifier la prise en charge du loyer par l’intérêt de la société, arguant que l’appartement était utilisé à des fins professionnelles. La cour écarte cet argument de manière péremptoire, en affirmant que « la circonstance que M. A… a utilisé cet appartement à des fins professionnelles est sans incidence sur le caractère occulte de cet avantage ». Cette formule vient opérer une distinction fondamentale entre la déductibilité d’une charge pour la société et la qualification d’un revenu pour son bénéficiaire. Quand bien même une partie de la dépense pourrait être rattachée à l’activité professionnelle, la mise à disposition d’un logement constitue un avantage personnel pour le dirigeant. À ce titre, il doit impérativement être valorisé et déclaré comme un supplément de rémunération. Le fait de ne pas procéder à cette ventilation et à cette déclaration suffit à rendre l’intégralité de l’avantage occulte, et donc taxable dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers. Cette solution rappelle aux dirigeants qu’ils ne sauraient se prévaloir d’une utilisation mixte d’un bien pour se soustraire à leurs obligations déclaratives, la transparence comptable demeurant la seule voie pour éviter une telle requalification.

Au-delà de la confirmation du caractère occulte de l’avantage, la décision se distingue par la méthode retenue pour justifier la sanction appliquée.

II. La démonstration pragmatique du manquement délibéré

Pour confirmer la majoration de 40 %, la cour s’appuie sur une présomption de connaissance pesant sur le dirigeant (A), renforcée par un indice factuel décisif tiré de la propre gestion de l’entreprise (B).

A. La présomption de connaissance des obligations fiscales du dirigeant

L’application de la majoration pour manquement délibéré prévue par l’article 1729 du code général des impôts exige que l’administration rapporte la preuve de l’intention du contribuable d’éluder l’impôt. La charge de cette preuve pèse sur elle, conformément à l’article L. 195 A du livre des procédures fiscales. Dans cette affaire, la cour estime cette preuve rapportée en considérant qu’« en sa qualité de gérant de la société, M. A… ne pouvait ignorer qu’il bénéficiait d’un avantage en nature devant être déclaré ». Ce faisant, elle fait peser une forte présomption de connaissance sur le dirigeant social. Un tel postulat n’est pas inhabituel : la jurisprudence considère de longue date que les fonctions de direction d’une entreprise impliquent une conscience des obligations comptables et fiscales élémentaires. L’omission de déclarer un avantage aussi manifeste que la prise en charge d’un logement ne saurait être perçue comme une simple négligence de la part de celui qui est le principal responsable de la bonne gestion de la société. Le caractère délibéré du manquement se déduit donc de la position même du contribuable et de l’évidence de la règle méconnue.

B. L’indice décisif du traitement comptable différencié

Toutefois, le raisonnement de la cour ne repose pas uniquement sur cette présomption. Il est conforté par un élément de fait particulièrement probant. L’administration avait en effet relevé que « cette même société a comptabilisé au crédit du compte  » avantage en nature  » au titre de l’année 2016 le montant forfaitaire de l’avantage en nature accordé à la directrice commerciale pour la mise à disposition d’un logement ». Cet argument, repris par la cour, s’avère décisif car il établit que la société, et donc son gérant, connaissait parfaitement la procédure à suivre pour comptabiliser et déclarer un avantage en nature. Le fait d’avoir appliqué correctement la règle pour une salariée tout en s’en abstenant pour le dirigeant lui-même transforme le doute sur l’intention en certitude. Il ne s’agit plus d’une ignorance, mais d’un choix délibéré de traiter différemment deux situations similaires. Cette incohérence dans la gestion de l’entreprise devient la preuve irréfutable de l’intention d’éluder l’impôt. La décision démontre ainsi que la preuve du manquement délibéré peut résulter d’un faisceau d’indices précis et concordants, où les propres pratiques de l’entreprise peuvent se retourner contre son dirigeant.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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