Par une décision du 12 mars 2025, le Conseil d’État s’est prononcé sur les conséquences procédurales d’une transmission de question prioritaire de constitutionnalité devenue redondante. En l’espèce, un particulier avait engagé une action en responsabilité contre l’État et un établissement public à la suite d’un arrêté préfectoral ayant prononcé le transfert de propriété de son bateau. Dans le cadre de ce litige indemnitaire, le requérant a soulevé, devant le tribunal administratif de Melun, une question prioritaire de constitutionnalité portant sur la conformité de l’article L. 1127-3 du code général de la propriété des personnes publiques aux droits et libertés garantis par la Constitution. Le tribunal administratif, par une ordonnance du 18 décembre 2024, a transmis cette question au Conseil d’État, conformément à la procédure prévue par l’ordonnance du 7 novembre 1958. Cependant, il est apparu que la haute juridiction administrative avait, le même jour, déjà renvoyé au Conseil constitutionnel une question identique, soulevée dans une autre affaire mais portant sur les mêmes dispositions et fondée sur les mêmes motifs. Il revenait ainsi au Conseil d’État de déterminer le sort à réserver à cette seconde question prioritaire de constitutionnalité, dont l’objet était devenu identique à celui d’une question déjà déférée au juge constitutionnel. Le Conseil d’État juge qu’il n’y a plus lieu de statuer sur la question transmise, celle-ci étant devenue sans objet. Cette solution, qui procède d’une analyse rigoureuse du mécanisme de la question prioritaire de constitutionnalité (I), consacre une approche pragmatique au service d’une bonne administration de la justice (II).
I. La clarification d’un mécanisme procédural spécifique à la QPC
La décision commentée offre une illustration précise du rôle de filtre exercé par le Conseil d’État et des conséquences qu’emporte la saisine parallèle du Conseil constitutionnel.
A. Le rôle de filtre du Conseil d’État face à une question transmise
La procédure de la question prioritaire de constitutionnalité organise un double filtre avant la saisine du Conseil constitutionnel, le premier étant exercé par les juridictions du fond et le second par les juridictions suprêmes. En l’espèce, le tribunal administratif de Melun a estimé que les conditions de transmission étaient réunies et a donc saisi le Conseil d’État. Celui-ci devait alors, en sa qualité de juge de renvoi, vérifier à son tour si la question présentait un caractère sérieux ou nouveau et si la disposition contestée était applicable au litige. C’est dans l’exercice de cette mission que le Conseil d’État a été confronté à une situation procédurale particulière, née de la concomitance de deux affaires distinctes portant sur une interrogation constitutionnelle rigoureusement identique. La haute juridiction a ainsi pris acte qu’elle avait elle-même déjà procédé au renvoi dans une autre instance.
B. Le constat du non-lieu à statuer en cas de saisine parallèle du Conseil constitutionnel
Le cœur du raisonnement du Conseil d’État réside dans les conséquences qu’il tire de sa propre décision de renvoi prise le même jour dans une affaire distincte. Ayant déjà saisi le Conseil constitutionnel « de la conformité à la Constitution des dispositions de l’article L. 1127-3 du code général de la propriété des personnes publiques », il en déduit que la seconde question est privée d’utilité. La haute juridiction énonce ainsi que, dans une telle circonstance, « la demande de renvoi de cette question au Conseil constitutionnel devient sans objet et il appartient au Conseil d’Etat de constater qu’il n’y a plus lieu d’y statuer ». Le non-lieu à statuer s’impose logiquement dès lors que l’office du juge de renvoi a déjà été rempli. Poursuivre l’examen de la seconde question aurait conduit soit à un second renvoi superflu, soit à un refus de renvoi qui n’aurait eu aucune portée pratique, le Conseil constitutionnel étant dans tous les cas déjà saisi.
II. La portée d’une solution pragmatique au service d’une bonne administration de la justice
Cette décision, en apparence purement technique, révèle une approche dictée par un souci d’économie procédurale, dont la portée jurisprudentielle doit cependant être appréciée avec mesure.
A. Une décision dictée par un impératif d’économie procédurale
La solution retenue par le Conseil d’État est empreinte de pragmatisme et participe d’une bonne administration de la justice. En déclarant la question sans objet, il évite un examen inutile et une duplication des procédures qui alourdirait sans justification le fonctionnement des hautes juridictions. Cette approche est à rapprocher, tout en s’en distinguant, des dispositions de l’article R. * 771-18 du code de justice administrative, qui prévoient un sursis à statuer lorsque le Conseil constitutionnel est déjà saisi. Ici, le Conseil d’État opte pour une solution plus radicale, le non-lieu, qui se justifie par le fait que c’est lui-même qui a initié la saisine du juge constitutionnel. La finalité de la procédure de renvoi étant atteinte, il est logique d’y mettre un terme définitif pour la seconde question.
B. Une portée jurisprudentielle limitée à l’hypothèse d’une saisine simultanée
Il convient de ne pas surévaluer la portée de cette décision, qui demeure avant tout une décision d’espèce. Elle apporte une précision utile sur la gestion des flux de questions prioritaires de constitutionnalité, mais ne constitue pas un revirement ou une innovation majeure. Sa portée est circonscrite à l’hypothèse spécifique d’une identité de questions (dispositions, motifs et arguments) examinées de manière quasi-simultanée par la haute juridiction. La solution n’affecte en rien les critères de fond de l’appréciation du caractère sérieux ou nouveau d’une question. Elle constitue davantage une mesure d’administration judiciaire qu’une nouvelle pierre à l’édifice du contentieux constitutionnel. Elle vient ainsi utilement clarifier un point de procédure, garantissant la cohérence et l’efficacité du dialogue des juges sans en modifier les principes fondamentaux.