Par un arrêt rendu en réponse à une question préjudicielle, la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur la compatibilité avec le droit de l’Union d’une législation fiscale nationale qui exclut la déduction des moins-values immobilières subies dans un autre État membre.
En l’espèce, un résident finlandais a cédé un bien immobilier situé en France, réalisant une perte de 172 623 euros. Au cours de la même année, ce contribuable a perçu en Finlande des plus-values issues de la cession de valeurs mobilières. Il a sollicité l’imputation de la perte immobilière française sur ces gains mobiliers finlandais, arguant ne disposer en France d’aucun autre revenu ou bien qui permettrait d’y absorber cette perte.
Les autorités fiscales finlandaises ont rejeté sa demande, une position confirmée par la commission de vérification fiscale de la Finlande du Sud-Ouest le 13 avril 2006, puis par le tribunal administratif de Turku le 31 octobre 2007. Le contribuable a alors formé un pourvoi devant le Korkein hallinto-oikeus, la juridiction administrative suprême de Finlande. Devant cette juridiction, il a soutenu que l’impossibilité de déduire cette perte de manière définitive constituait une entrave à la libre circulation des capitaux et à la liberté d’établissement. Estimant que la solution du litige dépendait de l’interprétation du droit de l’Union, la juridiction de renvoi a sursis à statuer et a interrogé la Cour de justice. Il s’agissait de déterminer si les articles 63 et 65 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne s’opposent à une réglementation nationale qui ne permet pas à un résident de déduire la perte subie lors de la cession d’un bien immobilier situé dans un autre État membre de plus-values imposables dans l’État de résidence, alors que cette déduction serait possible pour un bien immobilier situé sur le territoire national.
À cette question, la Cour répond par la négative. Elle juge que les articles 63 et 65 TFUE « ne s’opposent pas à une réglementation fiscale d’un État membre, telle que celle en cause au principal, qui ne permet pas à un contribuable qui réside dans cet État membre et qui y est assujetti à l’impôt sur le revenu à titre principal, de déduire les pertes résultant de la cession d’un immeuble situé dans un autre État membre des revenus mobiliers imposables dans le premier État membre ». Si la Cour reconnaît l’existence d’une restriction à la libre circulation des capitaux, elle considère cette dernière comme justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général, sans que la situation du contribuable ne commande une solution différente.
Le raisonnement de la Cour confirme ainsi l’existence d’une entrave à la circulation des capitaux tout en la justifiant au nom de la cohérence des systèmes fiscaux nationaux (I), ce qui la conduit à préciser la portée, finalement limitée, de la prise en compte des pertes transfrontalières dans une telle situation (II).
***
**I. La consécration d’une restriction justifiée à la libre circulation des capitaux**
La Cour adopte une démarche en deux temps, caractéristique de son contrôle en matière de libertés de circulation. Elle commence par identifier une restriction au principe de la libre circulation des capitaux (A) avant de conclure que cette restriction est justifiée par des objectifs légitimes d’intérêt général (B).
**A. La caractérisation d’une entrave à la libre circulation des capitaux**
La Cour rappelle d’abord que l’acquisition d’un bien immobilier dans un autre État membre constitue un mouvement de capitaux au sens de l’article 63 TFUE. Elle réaffirme ensuite sa jurisprudence constante selon laquelle les mesures interdites par cette disposition incluent celles « qui sont de nature à dissuader les résidents d’un État membre d’en faire dans d’autres États ».
En l’espèce, le droit finlandais permet à un contribuable résident de déduire la perte subie lors de la cession d’un bien de la plus-value obtenue lors de la cession d’un autre bien. Toutefois, cet avantage fiscal est réservé aux pertes provenant de la cession d’un immeuble situé en Finlande. En conséquence, la législation nationale crée une différence de traitement désavantageuse pour le contribuable qui investit dans l’immobilier à l’étranger. La situation fiscale d’un résident finlandais qui subit une perte sur un immeuble en France est ainsi « moins favorable que celle d’un contribuable qui subit une perte à la suite de la vente d’un immeuble situé en Finlande ».
La Cour estime que cette différence de traitement fondée sur la localisation du bien « est susceptible de dissuader un contribuable de procéder à des investissements immobiliers dans un autre État membre ». Elle y voit donc une restriction à la libre circulation des capitaux, prohibée en principe par le traité. Cette première étape du raisonnement, sans surprise, s’inscrit dans une ligne jurisprudentielle bien établie qui analyse de manière extensive la notion de restriction.
**B. La justification de l’entrave par la cohérence fiscale**
Après avoir constaté l’existence d’une restriction, la Cour examine si celle-ci peut être justifiée. Elle écarte d’abord l’argument selon lequel les situations ne seraient pas objectivement comparables. Elle se concentre ensuite sur les justifications tirées de raisons impérieuses d’intérêt général. Deux justifications retiennent particulièrement son attention : la nécessité d’assurer une répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres et la sauvegarde de la cohérence du système fiscal.
La Cour souligne que l’objectif de répartition équilibrée du pouvoir d’imposition vise notamment à « sauvegarder la symétrie entre le droit d’imposition des bénéfices et la faculté de déduction des pertes ». Or, en vertu de la convention fiscale franco-finlandaise, la Finlande a renoncé à imposer les plus-values réalisées sur les biens immobiliers situés en France. Admettre la déduction des pertes correspondantes reviendrait à rompre cette symétrie et à permettre au contribuable de choisir l’État où la prise en compte des pertes serait la plus avantageuse. Le refus de déduction apparaît donc comme le corollaire logique de l’exonération des plus-values.
De même, la Cour valide la justification fondée sur la cohérence du régime fiscal. Elle relève l’existence d’un « lien direct, s’agissant du même contribuable et du même impôt, entre, d’une part, l’avantage fiscal consenti, à savoir la prise en compte des pertes générées par un investissement en capital, et, d’autre part, l’imposition des bénéfices dégagés par ledit investissement ». En refusant de déduire des pertes afférentes à des revenus qu’elle n’impose pas, la Finlande applique une logique symétrique qui préserve la cohérence de son système fiscal. La restriction est donc considérée comme justifiée par des objectifs légitimes et apte à les atteindre.
***
**II. La portée limitée de la prise en compte des pertes transfrontalières**
Le cœur du débat portait sur le caractère prétendument définitif de la perte, qui, selon le requérant, devait rendre la restriction disproportionnée. La Cour va cependant refuser d’appliquer à l’identique sa jurisprudence sur les pertes définitives des filiales (A), réaffirmant ainsi avec force le principe de l’autonomie fiscale des États membres en l’absence d’harmonisation (B).
**A. Le refus d’étendre l’exception des « pertes définitives »**
Le contribuable et la juridiction de renvoi s’interrogeaient sur la portée de la jurisprudence issue de l’arrêt *Marks & Spencer*, selon laquelle une restriction à la déduction des pertes d’un établissement étranger devient disproportionnée lorsque la filiale non-résidente « a épuisé les possibilités de prise en compte des pertes qui existent dans son État membre de résidence ». Dans ce cas, la perte est qualifiée de « définitive » et l’État de la société mère doit en autoriser la déduction pour ne pas porter une atteinte excessive à la liberté d’établissement.
Toutefois, la Cour distingue nettement la situation d’espèce. Elle observe que si le contribuable ne peut effectivement pas imputer sa perte en France, ce n’est pas parce qu’il a épuisé des possibilités existantes, mais parce que la législation fiscale française « ne prévoit pas de possibilité de prise en compte des pertes encourues lors de la vente de l’immeuble ». Autrement dit, une telle possibilité « n’a jamais existé ». La condition posée par la jurisprudence *Marks & Spencer* n’est donc pas remplie. La Cour refuse de considérer la perte comme définitive au sens de sa jurisprudence antérieure.
Forcer la Finlande à accepter la déduction reviendrait, selon la Cour, à l’obliger « à supporter les conséquences défavorables découlant de l’application de la législation fiscale adoptée par l’État membre sur le territoire duquel est sis l’immeuble ». La Cour se refuse à une telle extension, circonscrivant l’exception des pertes définitives aux seules situations où un mécanisme de déduction existe dans l’État de la source mais ne peut plus être utilisé.
**B. La réaffirmation de l’autonomie fiscale des États membres**
En filigrane de cette solution se dessine une réaffirmation vigoureuse du principe d’autonomie fiscale des États membres. La Cour énonce clairement que « la libre circulation des capitaux ne saurait être comprise en ce sens qu’un État membre est obligé d’aménager ses règles fiscales en fonction de celles d’un autre État membre afin de garantir, dans toutes les situations, une imposition qui efface toute disparité ».
Cette décision confirme que les inconvénients résultant de l’interaction, voire de l’incohérence, entre deux systèmes fiscaux nationaux ne constituent pas, en soi, une violation du droit de l’Union. En l’absence de mesures d’harmonisation fiscale au niveau de l’Union, les États membres conservent la compétence de déterminer les critères d’imposition, même si cela conduit à des situations où un contribuable ne peut déduire une perte ni dans son État de résidence, ni dans l’État de la source du revenu.
L’arrêt commenté a donc une portée significative. Il vient borner l’application de la jurisprudence sur les pertes définitives au contexte des personnes physiques et clarifie que l’absence de toute possibilité de déduction dans un État membre n’oblige pas un autre État membre à y remédier. Il s’agit d’une solution pragmatique qui préserve l’équilibre des souverainetés fiscales nationales, au risque de laisser subsister certaines situations de non-déduction complète des pertes au sein du marché intérieur.