Par un arrêt rendu dans une affaire opposant une société polonaise à l’administration fiscale de son pays, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé le régime de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) applicable à une dation en paiement réalisée au profit d’une entité publique. En l’espèce, une société assujettie à la TVA, spécialisée dans les transactions immobilières, avait transféré la propriété d’un terrain à une collectivité territoriale en règlement d’arriérés d’impôts. L’administration fiscale avait considéré cette opération comme une livraison de biens à titre onéreux soumise à la TVA. Saisi d’un recours de la société, le tribunal administratif de voïvodie de Varsovie a annulé cette décision par un jugement du 13 février 2014, estimant que l’opération ne comportait pas de contrepartie. L’administration a alors formé un pourvoi devant le Naczelny Sąd Administracyjny, lequel a sursis à statuer afin de poser une question préjudicielle à la Cour de justice. Il s’agissait de déterminer si le transfert de propriété d’un bien par un assujetti à une entité publique en compensation d’une dette fiscale constitue une « livraison de biens effectuée à titre onéreux » au sens des articles 2 et 14 de la directive 2006/112/CE. À cette question, la Cour répond par la négative, jugeant qu’une telle opération, faute de contrepartie, n’entre pas dans le champ de la TVA. Cette solution, qui repose sur une définition stricte de l’opération à titre onéreux (I), n’occulte cependant pas les ajustements nécessaires au maintien de la neutralité de la taxe (II).
I. L’exclusion de la dation en paiement du champ de la TVA par une interprétation stricte de la contrepartie
La Cour de justice fonde sa décision sur une analyse rigoureuse de la notion de contrepartie, élément essentiel de l’opération imposable. Elle constate d’abord l’absence de prestations réciproques dans le cadre du paiement de l’impôt (A), ce qui confirme la nature fondamentalement unilatérale de l’obligation fiscale (B).
A. L’absence de prestations réciproques comme critère d’exclusion
La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle une livraison de biens n’est effectuée « à titre onéreux » que « s’il existe entre le fournisseur et l’acheteur un rapport juridique au cours duquel des prestations réciproques sont échangées, le prix perçu par le fournisseur constituant la contre-valeur effective du bien fourni ». En appliquant ce critère à l’espèce, elle observe que si un rapport juridique lie bien l’assujetti à l’administration fiscale, ce lien ne donne pas lieu à un échange de prestations. Le paiement de l’impôt, même réalisé par le transfert d’un bien, a pour seul effet de libérer le contribuable de sa dette. L’entité publique bénéficiaire du transfert ne fournit aucune prestation en retour qui pourrait être considérée comme la contre-valeur du bien reçu. Cette absence de réciprocité empêche de qualifier l’opération de transaction à titre onéreux. La dation en paiement, dans ce contexte, n’est qu’une modalité d’extinction d’une obligation préexistante et non un acte d’échange économique.
B. La nature unilatérale et non contractuelle de l’obligation fiscale
Pour renforcer son raisonnement, la Cour souligne la nature spécifique de l’impôt. Elle le définit comme « un prélèvement obligatoire effectué par voie d’autorité par la puissance publique sur les ressources des personnes relevant de sa compétence fiscale ». Ce prélèvement est destiné à financer les services d’utilité générale et ne donne lieu à aucune contre-prestation directe et individualisée de la part de l’autorité publique. Que le paiement soit effectué en numéraire ou par la remise d’un bien, sa nature juridique demeure la même : il s’agit de l’exécution d’une obligation légale unilatérale, et non de la contrepartie d’un service rendu. Dès lors, le rapport entre le contribuable et l’État n’est pas synallagmatique. Cette approche s’oppose à une vision purement économique qui verrait dans le transfert de propriété un flux de valeur devant nécessairement être taxé. La Cour privilégie une analyse juridique qui fait prévaloir la nature de l’obligation fiscale sur la matérialité de l’opération.
Si la Cour écarte ainsi clairement la taxation de l’opération principale, elle prend soin de ne pas éluder la question des conséquences d’une telle exclusion sur l’économie générale du système de TVA.
II. La portée de l’exclusion et la sauvegarde de la neutralité de la TVA
La décision de la Cour, bien que catégorique sur le principe, n’ignore pas le risque de distorsion qu’elle pourrait engendrer. Elle évoque ainsi la possible rupture du principe de neutralité (A) tout en orientant la juridiction nationale vers les mécanismes de régularisation prévus par la directive (B).
A. Le risque d’une rupture de la neutralité fiscale
L’un des piliers du système commun de TVA est d’assurer qu’un bien ou un service supporte une charge fiscale jusqu’au consommateur final. Or, si un assujetti a déduit la TVA payée lors de l’acquisition d’un bien et que la sortie de ce bien de son patrimoine n’est pas taxée, il en résulte une consommation finale non imposée. Dans ses observations, la Cour reconnaît implicitement ce risque. L’exclusion de la dation en paiement du champ de la TVA pourrait permettre à un assujetti de bénéficier d’une déduction en amont sans qu’une taxation en aval ne vienne la compenser. Une telle situation créerait une rupture dans la chaîne de taxation et contreviendrait à l’objectif de neutralité de l’impôt, qui vise à ce que le poids de la TVA ne pèse pas sur les entreprises mais sur la consommation finale.
B. L’orientation vers le mécanisme correcteur des prélèvements
Consciente de ce risque, la Cour fournit une piste à la juridiction de renvoi en évoquant l’article 16 de la directive TVA. Cette disposition assimile à une livraison de biens effectuée à titre onéreux « le prélèvement, par un assujetti, d’un bien de son entreprise qu’il destine à ses besoins privés ou à ceux de son personnel, qu’il transmet à titre gratuit ou, plus généralement, qu’il affecte à des fins étrangères à son entreprise, lorsque ce bien ou les éléments le composant ont ouvert droit à une déduction ». En l’espèce, le transfert d’un actif de l’entreprise pour éteindre une dette fiscale constitue une affectation à une fin étrangère à l’activité économique de l’assujetti. Par conséquent, si ce dernier a bénéficié d’une déduction de la TVA lors de l’acquisition du bien, l’opération de prélèvement devrait être taxée sur la base de l’article 16. La Cour s’assure ainsi que, bien que l’opération de dation en paiement elle-même ne soit pas une livraison à titre onéreux, le système de TVA dispose des outils nécessaires pour garantir une imposition effective et préserver la cohérence du régime fiscal.