Cour de justice de l’Union européenne, le 15 juin 2023, n°C-520/21

Par un arrêt rendu sur question préjudicielle, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé l’étendue des droits à restitution et à compensation des parties à la suite de l’annulation d’un contrat de prêt en raison de la présence de clauses abusives. En l’espèce, un consommateur avait conclu un contrat de prêt hypothécaire avec un établissement de crédit. Ce contrat s’est révélé contenir des clauses jugées abusives, entraînant son invalidation totale. La juridiction nationale saisie du litige a alors interrogé la Cour de justice, dans le cadre de l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, sur les conséquences pécuniaires d’une telle annulation. Il s’agissait de déterminer si le droit de l’Union s’opposait à ce que le consommateur, d’une part, et le professionnel, d’autre part, puissent réclamer des sommes excédant la simple restitution des prestations réciproquement exécutées. Le consommateur souhaitait obtenir une indemnisation au-delà du remboursement des mensualités déjà versées, tandis que l’établissement de crédit entendait se voir reconnaître un droit à rémunération pour la mise à disposition du capital, en sus de la restitution de celui-ci. La question posée à la Cour était donc de savoir si la directive 93/13/CEE sur les clauses abusives permettait de faire droit à de telles prétentions respectives ou si, au contraire, elle y faisait obstacle. La Cour a répondu en distinguant nettement la situation du consommateur de celle du professionnel. Elle a jugé que la directive n’interdit pas au consommateur de demander une compensation complémentaire, sous réserve du respect du principe de proportionnalité. En revanche, elle a affirmé que la directive « s’oppose à une interprétation juridictionnelle du droit national selon laquelle l’établissement de crédit a le droit de demander au consommateur une compensation allant au-delà du remboursement du capital versé ». Cette solution, créant une asymétrie délibérée dans les droits des cocontractants, consacre une conception extensive de la protection du consommateur (I), fondée sur une application rigoureuse de l’effet dissuasif de la directive, qui prime sur toute autre considération d’ordre économique (II).

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**I. La consécration d’une restitution asymétrique au service de la protection du consommateur**

La Cour de justice établit une distinction fondamentale entre les prétentions du consommateur et celles du professionnel, en validant la possibilité d’une compensation élargie pour le premier (A) tout en rejetant fermement toute forme de rémunération pour le second (B).

**A. La validation du droit du consommateur à une compensation étendue**

La décision reconnaît que la protection effective du consommateur peut exiger davantage que le simple remboursement des sommes indûment versées. En jugeant que la directive « ne s’oppose pas à une interprétation juridictionnelle du droit national selon laquelle le consommateur a le droit de demander à l’établissement de crédit une compensation allant au-delà du remboursement des mensualités versées », la Cour admet que l’annulation du contrat doit permettre un rétablissement complet de la situation du consommateur. Ce rétablissement ne se limite pas à une opération comptable de restitution, mais doit également indemniser le préjudice né de l’indisponibilité des fonds versés en exécution d’un contrat vicié. La Cour laisse ainsi au juge national le soin d’apprécier la pertinence de telles demandes, qui doivent toutefois respecter le principe de proportionnalité. Cette approche pragmatique permet de garantir que le consommateur, partie faible au contrat, ne subisse aucune perte financière du fait du comportement illicite du professionnel. Le droit à restitution, pierre angulaire de la sanction des clauses abusives, se voit ainsi complété par un droit à réparation qui en renforce l’efficacité.

**B. Le rejet catégorique de la prétention du professionnel à une rémunération**

À l’inverse, la Cour oppose une fin de non-recevoir absolue à toute demande d’indemnisation de la part de l’établissement de crédit au-delà du remboursement du capital prêté. La solution est sans équivoque : la directive 93/13/CEE « s’oppose à une interprétation juridictionnelle du droit national selon laquelle l’établissement de crédit a le droit de demander au consommateur une compensation allant au-delà du remboursement du capital versé ». Admettre une telle prétention reviendrait à garantir au professionnel une rémunération pour l’usage du capital, neutralisant ainsi les conséquences de l’annulation du contrat. Or, une telle issue serait en contradiction flagrante avec l’objectif de la directive, qui est de dissuader les professionnels d’insérer des clauses abusives dans leurs contrats. Si le professionnel pouvait obtenir une contrepartie financière équivalente aux intérêts qu’il aurait perçus dans le cadre d’un contrat valide, l’invalidation pour cause de clause abusive serait dépourvue de toute portée punitive. Le risque économique pour le professionnel serait quasi nul, ce qui l’inciterait à maintenir des pratiques illicites.

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**II. La primauté de l’effet dissuasif sur les considérations économiques**

La Cour de justice ancre sa décision dans une logique de sanction du professionnel, transformant la restitution en un instrument de politique juridique (A) et écartant délibérément les arguments d’ordre systémique qui lui étaient opposés (B).

**A. L’instrumentalisation de la restitution comme sanction du comportement illicite**

La décision dépasse la simple réparation d’un déséquilibre contractuel pour revêtir un caractère punitif. En refusant au professionnel toute compensation, la Cour applique rigoureusement le principe selon lequel nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude, comme le souligne l’arrêt en son point 81. L’annulation du contrat résulte directement de l’insertion de clauses abusives par l’établissement de crédit ; celui-ci ne peut donc prétendre à être indemnisé pour les désavantages nés de son propre fait. La Cour établit un parallèle avec sa jurisprudence constante qui interdit au juge national de réviser le contenu d’une clause abusive. Dans les deux cas, l’objectif est « d’éliminer l’effet dissuasif exercé sur les professionnels par la pure et simple non-application à l’égard du consommateur de telles clauses abusives ». L’absence de gain, voire la perte financière, est l’unique moyen de garantir que les professionnels soient activement découragés de recourir à des pratiques interdites. La sanction de l’annulation doit donc être réelle et économiquement tangible pour celui qui en est à l’origine.

**B. Le rejet des arguments systémiques au profit de la protection individuelle**

Face aux arguments soulevés par le professionnel et certaines autorités nationales concernant le risque pour la stabilité des marchés financiers, la Cour reste inflexible. Elle affirme que de telles considérations ne sont pas pertinentes dans le cadre de l’interprétation de la directive 93/13/CEE, dont l’unique objet est la protection des consommateurs. La Cour rappelle qu’il « incombe aux établissements bancaires d’organiser leurs activités de manière conforme à cette directive ». Ce faisant, elle érige la protection des consommateurs en impératif supérieur, qui ne saurait être contourné ou atténué pour des motifs de préservation de la stabilité financière. Cette affirmation de principe a une portée considérable, car elle signifie que le respect du droit de la consommation de l’Union est une contrainte non négociable pour les acteurs économiques, quelles que puissent être les conséquences macroéconomiques de son application. La charge de la conformité pèse entièrement sur le professionnel, qui ne peut invoquer un risque systémique pour échapper aux conséquences de ses propres manquements.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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