Cour d’appel administrative de Marseille, le 23 juin 2025, n°24MA03279

Par une décision en date du 23 juin 2025, la cour administrative d’appel de Marseille, statuant sur renvoi du Conseil d’État, a précisé les conditions de qualification d’un avantage occulte et les modalités de son imposition entre les mains de l’associé d’une société de personnes.

En l’espèce, une société à responsabilité limitée, contrôlée par un associé unique via une société holding, a cédé la nue-propriété d’un bien immobilier à une société civile immobilière détenue quasi intégralement par ce même associé. Une partie substantielle du prix de vente a été réglée par compensation avec une créance que la société civile immobilière prétendait détenir sur la société venderesse. L’administration fiscale, lors d’une vérification de comptabilité, a considéré que ce montage dissimulait un avantage occulte. Elle a estimé que le transfert de créance de la société holding vers la société civile immobilière n’était pas justifié, requalifiant l’opération en abandon de créance imposable. Par conséquent, l’administration a notifié des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu au nom de l’associé, considérant qu’il était le bénéficiaire ultime de cet avantage.

La procédure contentieuse a suivi un parcours complexe. Le tribunal administratif de Marseille, saisi par le contribuable, a rejeté l’essentiel de sa demande de décharge. Saisie en appel, la cour administrative d’appel de Marseille a confirmé ce jugement. Le Conseil d’État, saisi d’un pourvoi, a cependant cassé l’arrêt d’appel et a renvoyé l’affaire devant la même cour pour qu’elle soit rejugée. La question de droit principale soumise à la cour de renvoi était de déterminer si l’avantage financier octroyé par une société à une autre, toutes deux contrôlées par la même personne physique, pouvait être qualifié de revenu distribué de manière occulte et imposé au nom de cet associé, alors même que la société bénéficiaire est une société de personnes fiscalement transparente. Il s’agissait également de statuer sur la conformité de la majoration d’impôt appliquée et sur la nature des revenus pour le calcul des contributions sociales.

La cour administrative d’appel a jugé que l’avantage consenti à la société civile immobilière constituait bien un avantage occulte imposable au nom de l’associé à hauteur de sa participation. Elle a cependant limité l’imposition à la seule quote-part qu’il a effectivement appréhendée, excluant la part correspondant à la participation d’une autre de ses sociétés. La solution retenue, si elle confirme une approche rigoureuse de la notion d’avantage occulte, en précise les limites d’imposition au niveau de l’associé tout en validant les mécanismes de majoration contestés.

I. La caractérisation maintenue de l’avantage occulte au profit de l’associé

La cour fonde sa décision sur une analyse classique de la libéralité (A) pour en déduire une imposition logique au niveau de l’associé de la société transparente (B).

A. L’absence de contrepartie, critère déterminant de la libéralité

La juridiction s’attache d’abord à démontrer l’existence d’une libéralité consentie par la société venderesse. Elle relève que le paiement d’une partie du prix de vente par compensation reposait sur un transfert de créance non formalisé. Les exigences de l’article 1690 du code civil relatives à la signification du transport de créance au débiteur ou à son acceptation dans un acte authentique n’ont pas été respectées. La cour souligne que la simple connaissance de l’opération par le débiteur ou les écritures comptables ne suffisent pas à prouver la réalité du transfert.

En l’absence de preuve d’un transfert de créance valable, la cour conclut que la société venderesse a accepté une modalité de paiement sans fondement juridique réel. Elle s’est ainsi privée d’une partie du prix de vente, ce que la cour analyse comme un dessaisissement sans contrepartie. Il est énoncé que « en acceptant le paiement de la vente immobilière par compensation avec la dette constatée dans ses comptes au profit de la SCI Victoria dans de telles circonstances, la SARL Richard Property s’est dessaisie de la somme correspondante sans aucune contrepartie ». La relation d’intérêts entre les sociétés, toutes contrôlées par la même personne, emporte présomption d’intention libérale. La dissimulation de l’avantage dans les écritures comptables achève de caractériser l’avantage occulte au sens du c) de l’article 111 du code général des impôts.

B. L’imposition de l’avantage par transparence au niveau de l’associé

Une fois l’avantage occulte qualifié au niveau de la société bénéficiaire, la cour en tire les conséquences pour l’associé. La société civile immobilière étant soumise au régime des sociétés de personnes, elle n’est pas elle-même redevable de l’impôt sur les sociétés. Ses résultats, y compris les avantages dont elle bénéficie, sont déterminés à son niveau puis imposés directement entre les mains de ses associés à proportion de leurs droits.

La cour applique ce principe avec une stricte logique fiscale. L’avantage occulte de 350 000 euros consenti à la société civile immobilière est réputé avoir été distribué à ses associés. Le requérant détenant 99 % des parts de cette société, la cour valide son imposition sur une base de 346 500 euros. Cette solution illustre le mécanisme de la transparence fiscale et confirme que la qualification d’avantage occulte peut viser une société non soumise à l’impôt sur les sociétés, l’imposition effective étant reportée sur ses membres. La décision réaffirme ainsi que le « maître de l’affaire » ne peut s’abriter derrière une structure fiscalement transparente pour échapper à l’imposition des bénéfices qu’il contrôle.

II. Une portée ajustée de l’imposition et la confirmation des redressements accessoires

La cour apporte cependant une nuance importante en limitant le montant de l’imposition (A), avant de rejeter les autres moyens soulevés par le contribuable (B).

A. La limitation de la base imposable à l’appréhension directe

Le point le plus notable de la décision réside dans la décharge partielle accordée au contribuable. La société civile immobilière était détenue à 99 % par le requérant et à 1 % par la société venderesse elle-même. La cour juge que l’associé ne peut être imposé sur la fraction de l’avantage correspondant à la part détenue par une autre entité, même s’il la contrôle indirectement. Elle précise qu’il « ne saurait être imposé sur la partie de cette somme correspondant à la quote-part de capital, soit 1%, détenue par cette société non soumise au même régime des sociétés de personnes, représentant une somme de 3 500 euros qu’il n’a pas appréhendée directement ».

Cette distinction est essentielle. Elle marque la limite de la théorie du maître de l’affaire en matière de revenus distribués. L’imposition personnelle de l’associé est conditionnée à l’appréhension, directe ou indirecte, du revenu. La fraction de l’avantage qui transite par une autre société soumise à l’impôt sur les sociétés ne peut être considérée comme immédiatement appréhendée par l’associé personne physique. La cour refuse ainsi une confusion des patrimoines et s’en tient à une application rigoureuse des règles d’attribution des revenus, offrant une protection contre une extension illimitée de la base imposable de l’associé.

B. La validation des impositions complémentaires et de la majoration

Enfin, la cour écarte les contestations relatives à la majoration de 25 % du revenu et à l’assujettissement aux contributions sociales. Concernant la majoration prévue au 7 de l’article 158 du code général des impôts, elle juge qu’elle ne méconnaît pas l’article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme. La cour distingue cette majoration, qui vise à dissuader les distributions occultes dans un objectif de lutte contre la fraude fiscale, de celle jugée non conventionnelle par la Cour européenne des droits de l’homme dans une autre affaire qui concernait des organismes de gestion agréés.

Quant aux contributions sociales, la cour confirme que les revenus distribués, même de manière occulte, conservent leur nature de revenus de capitaux mobiliers. Ils sont donc soumis à la contribution sociale sur les revenus du patrimoine. Le fait que le bénéficiaire soit gérant des sociétés en cause ne suffit pas à requalifier ces revenus en revenus d’activité. La décision réaffirme ainsi la distinction fondamentale entre la rémunération d’une fonction de direction et la perception de revenus du capital, même au sein d’un groupe de sociétés contrôlé par une même personne.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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