Cour d’appel administrative de Versailles, le 13 mars 2025, n°23VE01364

Par un arrêt en date du 13 mars 2025, la cour administrative d’appel se prononce sur la légalité d’un refus de permis de construire opposé à une demande de régularisation d’une piscine en zone agricole. En l’espèce, une société civile d’exploitation agricole, gérant un domaine viticole, s’est vu refuser par le maire d’une commune l’autorisation d’urbanisme visant à régulariser la construction d’une piscine et d’un local technique. La société a saisi le tribunal administratif d’Orléans afin d’obtenir l’annulation de cette décision ainsi que du rejet de son recours gracieux. Par un jugement du 18 avril 2023, le tribunal a rejeté sa demande. La société a interjeté appel de ce jugement, arguant principalement que son projet ne méconnaissait pas les dispositions du plan local d’urbanisme. La commune, en défense, a sollicité le rejet de la requête et a présenté des moyens tendant à la substitution des motifs de son refus initial. La question se posait de savoir si une piscine pouvait être considérée comme une construction annexe à un bâtiment lié à une activité agricole au sens du règlement d’urbanisme applicable. Il appartenait également au juge de se prononcer sur la validité des motifs de substitution invoqués par la commune. La cour administrative d’appel annule le jugement de première instance ainsi que la décision de refus du maire. Elle juge que la piscine litigieuse doit bien être regardée comme une « construction annexe » à un « bâtiment lié à l’activité agricole et vitivinicole », et écarte par conséquent le motif de refus opposé par l’administration. La cour rejette en outre les motifs de substitution proposés par la commune et enjoint à cette dernière de délivrer le permis de construire sollicité.

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**I. La consécration d’une conception extensive du lien avec l’activité agricole**

La solution retenue par la cour repose sur une interprétation large des dispositions du plan local d’urbanisme, tant en ce qui concerne la nature du bâtiment principal (A) que la qualification de la construction qui lui est adjointe (B).

**A. L’assimilation d’une résidence de prestige à un bâtiment d’exploitation**

Pour autoriser la construction de la piscine, le juge devait d’abord confirmer que le bâtiment principal auquel elle se rattachait était bien lié à l’activité agricole, condition posée par le règlement. La cour s’attache à démontrer que le château de l’exploitation, bien qu’étant une résidence, participe directement à l’activité viticole. Elle relève que le bâtiment sert de « logement au propriétaire du vignoble et à l’accueil de clients à l’occasion de divers évènements de nature commerciale ». Le juge constate également l’existence d’une activité de chambres d’hôtes et de location pour des clients, qu’il qualifie d’activité ayant « pour support l’exploitation agricole et vitivinicole ». Cette analyse pragmatique permet de dépasser une vision restrictive qui dissocierait l’habitat du dirigeant de l’activité économique de l’entreprise. En se fondant sur un faisceau d’indices, incluant des éléments comptables et des observations matérielles, la cour conclut que le château « doit être considéré comme un bâtiment utilisé dans le prolongement de l’activité viticole ». Cette qualification est déterminante, car elle constitue le point d’ancrage nécessaire pour ensuite analyser la nature de la construction annexe.

**B. La reconnaissance du caractère annexe d’un équipement de loisir**

Une fois le bâtiment principal qualifié d’agricole, la cour examine le lien entre celui-ci et la piscine pour en déterminer le caractère annexe. Elle retient une approche fonctionnelle, considérant que la piscine a « vocation à être utilisée tant pour l’agrément personnel du propriétaire du château, que pour les clients et invités de manifestations de promotion de la production viticole de la société ». Le juge prend en compte la proximité des constructions, leurs dimensions respectives jugées proportionnées et le cheminement qui les relie pour établir un lien physique et d’usage. La décision de la cour valide ainsi l’idée qu’un équipement de confort et de loisir peut constituer l’accessoire d’un bâtiment agricole dès lors qu’il contribue, même indirectement, à l’attractivité commerciale de l’exploitation. En qualifiant la piscine de « construction annexe », la cour admet que le développement d’activités connexes comme l’œnotourisme justifie des aménagements qui ne sont pas strictement productifs. Cette interprétation souple de la notion d’annexe permet d’adapter l’application des règles d’urbanisme en zone agricole aux réalités économiques contemporaines des exploitations.

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**II. Le contrôle strict des motifs de substitution invoqués en défense**

Après avoir invalidé le motif initial du refus, la cour examine et rejette successivement les deux moyens que la commune entendait substituer à sa motivation première, exerçant ainsi un contrôle rigoureux sur cette technique de régularisation contentieuse (A et B).

**A. L’écartement d’un motif tiré d’une règle d’urbanisme inapplicable**

La commune soutenait en premier lieu que son refus pouvait être fondé sur un article du plan local d’urbanisme limitant les affouillements et exhaussements de sol aux seuls besoins de l’activité agricole. La cour rejette fermement cet argument en rappelant le champ d’application respectif des différentes réglementations. Elle juge que de telles dispositions « ne sont pas applicables aux travaux de mise en état des terrains d’assiette d’ouvrages dont la construction fait l’objet d’un permis de construire ». Le juge souligne en effet que l’instruction d’un permis de construire intègre déjà l’analyse des modifications du terrain nécessaires à la réalisation du projet. Ce faisant, il ne saurait être opposé au pétitionnaire des règles relatives aux mouvements de sol qui ne visent pas les travaux accessoires à une construction autorisée par permis. Le motif est donc écarté car juridiquement inopérant, l’administration ne pouvant invoquer une règle dont le champ d’application ne couvre pas la situation de l’espèce.

**B. Le refus de sanctionner le défaut de qualité du demandeur en l’absence de fraude**

La commune demandait en second lieu à ce que son refus soit justifié par le défaut de qualité du signataire de la demande de permis de construire. La cour rappelle sa jurisprudence constante en la matière. Elle énonce que les autorisations d’urbanisme sont délivrées sous réserve du droit des tiers et qu’il n’appartient pas à l’autorité administrative de vérifier la validité de l’attestation par laquelle le pétitionnaire se déclare habilité à déposer sa demande. Le juge précise la seule exception à ce principe : le cas où l’administration « dispose au moment où elle statue […] d’informations de nature à établir son caractère frauduleux ou faisant apparaître, sans que cela puisse donner lieu à une contestation sérieuse, que le pétitionnaire ne dispose […] d’aucun droit à la déposer ». En l’espèce, la cour constate qu’une attestation a bien été produite et qu’aucun élément ne permettait de retenir l’existence d’une fraude. Ce second motif de substitution est par conséquent rejeté, la cour réaffirmant une solution protectrice pour les pétitionnaires et qui préserve l’administration d’investigations complexes sur la propriété ou les mandats qui ne relèvent pas de sa compétence.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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