Cour d’appel administrative de Bordeaux, le 19 décembre 2024, n°24BX00404

Par un arrêt en date du 19 décembre 2024, la cour administrative d’appel de Bordeaux a statué sur la légalité d’un refus de permis de construire opposé par un maire pour l’édification de deux silos de stockage de digestat en zone inconstructible. Une société avait obtenu l’autorisation d’exploiter une unité de méthanisation dans une première commune et sollicitait un permis de construire pour deux silos destinés à stocker le digestat issu de cette activité, sur le territoire d’une seconde commune, sur des parcelles classées en zone inconstructible par la carte communale. Le maire de cette commune a refusé de délivrer le permis de construire, en se fondant sur le fait que le projet n’entrait pas dans les exceptions autorisant les constructions en zone inconstructible et que le terrain n’était pas viabilisé.

Saisi par la société pétitionnaire, le tribunal administratif de Pau, par un jugement du 26 décembre 2023, a annulé cet arrêté de refus et a enjoint au maire de délivrer l’autorisation d’urbanisme. Les premiers juges ont en effet considéré que les silos constituaient des installations nécessaires à une exploitation agricole. La commune a interjeté appel de ce jugement. La cour administrative d’appel de Bordeaux était ainsi amenée à se prononcer sur la question de savoir si des silos de stockage de digestat, destinés à une unité de méthanisation exploitée par une société industrielle, peuvent être qualifiés d’installation nécessaire à une exploitation agricole au sens des dispositions de l’article L. 161-4 du code de l’urbanisme. De manière subsidiaire, il lui revenait de déterminer si le refus pouvait être légalement justifié par le fait que le projet, même qualifié d’équipement collectif, compromettait l’exercice d’une activité agricole sur son terrain d’assiette.

Par sa décision, la cour administrative d’appel annule le jugement de première instance. Elle juge que l’activité de méthanisation, étant pilotée par une entité industrielle et non par des exploitants agricoles, ne peut être qualifiée d’agricole, et que les silos afférents ne sont donc pas des installations nécessaires à une exploitation agricole. Procédant ensuite à une substitution de motifs, elle valide le refus du maire en retenant que le projet, par son emprise au sol, compromet l’exercice d’une activité agricole significative sur la parcelle, ce qui justifie son interdiction en zone inconstructible.

L’arrêt précise ainsi de manière restrictive la notion d’exploitation agricole dans le contexte de la méthanisation (I), avant de consacrer un contrôle concret de l’impact du projet sur le caractère agricole du terrain (II).

I. La qualification restrictive de l’activité de méthanisation comme exploitation agricole

Pour infirmer le raisonnement des premiers juges, la cour administrative d’appel a écarté une lecture extensive de la notion d’activité agricole, rappelant que la qualité de l’exploitant est une condition déterminante pour définir la nature de l’activité de méthanisation (B), rejetant ainsi une analyse purement fonctionnelle du projet (A).

A. Le rejet d’une conception purement fonctionnelle de l’activité agricole

En première instance, le tribunal administratif avait adopté une approche fonctionnelle, liant les silos à l’unité de méthanisation qu’ils desservaient, elle-même perçue comme agricole par sa finalité de valorisation de déchets organiques. La cour d’appel censure cette analyse en se fondant sur une lecture combinée du code de l’urbanisme et du code rural et de la pêche maritime. Elle examine non pas l’objet de l’installation en tant que tel, mais la nature de l’entité qui en assure l’exploitation. Elle constate en l’espèce que « l’unité de méthanisation en cause est un projet porté, non par des exploitants agricoles, mais par le groupe Total, auquel appartient la société BioBéarn ». Cette approche écarte l’idée que la seule participation à un cycle biologique ou à la transformation de produits d’origine agricole suffirait à qualifier une activité industrielle d’agricole. En refusant de considérer le lien fonctionnel comme un critère suffisant, la cour restaure une orthodoxie juridique qui conditionne la qualification d’une activité à la qualité de son acteur principal.

B. Le rappel des conditions organiques de l’activité agricole de méthanisation

La cour s’appuie explicitement sur les articles L. 311-1 et D. 311-18 du code rural et de la pêche maritime pour justifier sa position. Ces textes réputent agricole la production de biogaz par méthanisation « lorsque cette production est issue pour au moins 50 % de matières provenant de ces exploitations » et que l’unité « doit être exploitée et l’énergie commercialisée par un exploitant agricole ou une structure détenue majoritairement par des exploitants agricoles ». La décision commentée en tire une conséquence directe en matière d’urbanisme : puisque la société exploitante n’est pas détenue majoritairement par des agriculteurs, son activité ne peut être considérée comme agricole. Par conséquent, les silos, bien que liés à cette activité, ne peuvent être regardés « comme des constructions nécessaires à une exploitation agricole au sens et pour l’application des dispositions précitées de l’article L. 161-4 du code de l’urbanisme ». L’arrêt réaffirme ainsi que le statut de l’exploitant est une condition organique, et non une simple modalité, pour bénéficier des dérogations prévues pour les constructions agricoles en zone inconstructible.

Ayant établi que le motif retenu par les premiers juges pour annuler le refus de permis était erroné, la cour, par l’effet dévolutif de l’appel, examine les autres arguments et procède à une substitution de motifs qui ancre son contrôle dans une appréciation matérielle de l’atteinte portée au sol agricole.

II. La consécration d’un contrôle concret de la compatibilité du projet avec l’usage agricole du sol

Après avoir écarté la qualification d’installation agricole, la cour examine la compatibilité du projet avec l’usage du sol au regard des dispositions de l’article L. 161-4 du code de l’urbanisme. Elle admet la demande de substitution de motifs de la commune (A) pour ensuite procéder à une appréciation in concreto de l’atteinte portée à l’exploitation agricole, justifiant ainsi le refus du permis de construire (B).

A. L’admission d’une substitution de motifs pour préserver le caractère agricole de la zone

Le juge administratif, faisant usage de son pouvoir de substitution de motif, permet à l’administration de justifier sa décision par un motif de droit ou de fait autre que celui initialement invoqué. En l’espèce, la commune soutenait que même en qualifiant les silos d’équipement collectif, le projet portait atteinte au caractère agricole de la parcelle. La cour accepte d’examiner ce moyen, déplaçant ainsi l’analyse du terrain juridique de la nature de l’installation vers celui de son impact physique et fonctionnel sur la parcelle d’implantation. Elle rappelle que l’autorisation de constructions en zone agricole, même pour des équipements collectifs, est soumise à la condition qu’elles ne soient « pas incompatibles avec l’exercice d’une activité agricole, pastorale ou forestière sur le terrain sur lequel elles sont implantées ». Cette démarche illustre la volonté du juge de faire prévaloir la finalité de la règle d’urbanisme, qui est la protection des terres agricoles, sur une simple vérification formelle des exceptions.

B. L’appréciation in concreto de l’atteinte portée à l’exploitation agricole

Pour évaluer la compatibilité du projet avec l’activité agricole, la cour se livre à une analyse très factuelle. Elle relève que « l’emprise du projet est de 8 740 m², soit plus de 50 % de la surface de l’unité foncière ». Plus encore, elle observe que cette emprise, combinée à la topographie et aux boisements existants, aurait pour effet d’enclaver le reliquat du terrain. Elle en conclut, en se fondant sur les pièces du dossier, que « la partie restante du terrain se trouverait enclavée et ne serait, par conséquent, plus susceptible en l’état de faire l’objet d’une exploitation agricole ». C’est donc bien l’impossibilité de maintenir une « activité agricole significative » qui fonde le refus. L’arrêt souligne ainsi la portée de cette condition : il ne s’agit pas seulement de préserver une partie de la parcelle, mais de garantir qu’une exploitation réelle et viable demeure possible. Par cette appréciation concrète, la cour renforce significativement la protection des zones agricoles en imposant à l’administration, sous son contrôle, un examen rigoureux des conséquences matérielles de tout projet de construction, y compris ceux qui pourraient, par nature, bénéficier d’une dérogation.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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