Cour d’appel administrative de Toulouse, le 6 mars 2025, n°24TL01445

Un justiciable, après avoir réalisé des travaux non autorisés sur un immeuble, a entrepris des démarches en vue de leur régularisation. Ayant déposé une demande de permis de construire le 14 octobre 2022, et après avoir complété son dossier le 4 novembre 2022, il s’est prévalu de la naissance d’une autorisation tacite à l’expiration du délai d’instruction de trois mois, soit le 4 février 2023. Face au silence de l’administration suite à sa demande de certificat attestant de ce permis, une décision implicite de refus est née le 9 juillet 2023. Le pétitionnaire a alors saisi le tribunal administratif de Montpellier pour obtenir l’annulation de ce refus. Par un jugement du 23 mai 2024, sa demande a été rejetée au motif qu’un arrêté préfectoral du 15 décembre 2023 avait entre-temps retiré le permis de construire tacite. Saisie en appel, la juridiction du second degré devait déterminer si le retrait, non définitif, d’un permis de construire tacite faisait obstacle à l’annulation du refus de certificat antérieur et, le cas échéant, à une injonction de délivrance. Par sa décision, elle juge que la légalité du refus de délivrer le certificat s’apprécie à la date de son édiction, sans que le retrait ultérieur et non définitif du permis ne puisse la remettre en cause, mais que ce même retrait empêche le juge d’ordonner la délivrance du certificat. Cette solution, qui distingue nettement le temps de l’appréciation de la légalité et celui de l’exécution, consacre une annulation de principe tout en la privant d’effets pratiques immédiats.

Il convient donc d’analyser la consécration par le juge du droit à la certification d’une autorisation administrative précaire (I), avant d’examiner la portée nécessairement limitée de cette annulation face à la disparition ultérieure de son objet (II).

I. La consécration du droit à la certification d’une autorisation précaire

L’arrêt réaffirme avec force le mécanisme d’obtention des autorisations d’urbanisme et le droit qui en découle pour le pétitionnaire. Le juge d’appel rappelle d’abord la naissance d’un droit acquis par le silence de l’administration (A), ce qui conditionne son appréciation de l’illégalité manifeste du refus de le certifier (B).

A. La naissance du droit par le silence gardé par l’administration

Le raisonnement du juge s’ancre dans les dispositions du code de l’urbanisme qui régissent l’instruction des demandes de permis de construire. Conformément à l’article R. 423-19 de ce code, le délai d’instruction ne court qu’à compter de la réception d’un dossier complet. En l’espèce, suite à une demande de pièce complémentaire, le dossier a été considéré comme complet le 4 novembre 2022. Le délai d’instruction de droit commun de trois mois, prévu par l’article R. 423-23, a donc expiré le 4 février 2023. À cette date, en l’absence de décision expresse, l’article R. 424-1 du même code établit que « le silence gardé par l’autorité compétente vaut (…) permis de construire (…) tacite ».

La cour constate ainsi la formation d’une autorisation d’urbanisme, un fait juridique que l’administration elle-même ne conteste pas. Elle souligne que « dès lors que le dossier de demande de permis de construire peut être regardé comme complet le 4 novembre 2022, un permis de construire tacite est intervenu sur cette demande le 4 février 2023, ce qui est reconnu par le ministre en défense ». Cette reconnaissance établit sans équivoque que le pétitionnaire était titulaire d’un droit à la date où il a sollicité la délivrance d’un certificat. Le caractère automatique de ce mécanisme confère au pétitionnaire une sécurité juridique, bien que celle-ci puisse s’avérer fragile.

B. L’illégalité du refus appréciée au jour de son édiction

Fort de ce constat, le juge se penche sur la légalité de la décision implicite de refus du 9 juillet 2023. L’article R. 424-13 du code de l’urbanisme dispose qu’en cas de permis tacite, « l’autorité compétente en délivre certificat sur simple demande du demandeur ». Cette délivrance n’est pas une faculté laissée à la discrétion de l’administration, mais bien une obligation. La cour applique ici un principe fondamental du contentieux administratif : la légalité d’un acte s’apprécie à la date à laquelle il a été pris. Or, à la date du 9 juillet 2023, le permis de construire tacite existait dans l’ordonnancement juridique.

Le refus de l’administration de délivrer le certificat était par conséquent illégal. Le juge écarte l’argument du tribunal administratif qui s’était fondé sur le retrait postérieur du permis, en relevant que cette décision de retrait n’était de surcroît pas définitive. Il affirme ainsi que « à la date d’édiction de la décision implicite née le 9 juillet 2023 […], cette dernière bénéficiait d’un permis de construire tacite ». En conséquence, le refus de certificat « méconnaît les dispositions de l’article R. 424-13 du code de l’urbanisme ». L’annulation prononcée sanctionne donc une illégalité instantanée, indépendamment des événements ultérieurs affectant le permis lui-même.

II. La portée limitée de l’annulation face à la disparition de son objet

Si le juge annule sans hésiter le refus de certificat, il refuse cependant de donner plein effet à sa décision en rejetant les conclusions à fin d’injonction. Cette seconde partie de la solution met en lumière l’obstacle dirimant que constitue le retrait de l’autorisation (A), consacrant ainsi ce qui s’apparente à une victoire de principe pour le requérant (B).

A. L’obstacle constitué par le retrait du permis de construire

La demande d’injonction se heurte à une temporalité différente de celle de l’annulation. Si le juge de l’excès de pouvoir se place au jour de l’édiction de l’acte pour en juger la légalité, le juge de l’injonction doit, quant à lui, statuer au regard de la situation de droit et de fait existante au jour où il rend sa propre décision. L’article L. 911-1 du code de justice administrative subordonne en effet l’injonction à ce que la décision de justice « implique nécessairement » une mesure d’exécution.

Or, au jour où la cour statue, le permis de construire tacite a été retiré par une décision du 15 décembre 2023. Peu importe que ce retrait ne soit pas définitif : il produit ses effets tant qu’il n’a pas été suspendu ou annulé par le juge. Le permis est donc, à cet instant, sorti de l’ordonnancement juridique. Le juge ne peut, dans ces conditions, ordonner à l’administration de certifier l’existence d’un acte qui n’existe plus. Il conclut logiquement que le requérant « ne peut être regardé comme titulaire d’un permis de construire tacite à la date du présent arrêt ». Cette impossibilité matérielle et juridique justifie le rejet des conclusions à fin d’injonction.

B. Une victoire de principe pour le requérant

Le résultat est paradoxal pour le justiciable. Il obtient l’annulation de la décision qu’il attaquait, voyant ainsi son bon droit reconnu sur le principe, mais il n’obtient pas la satisfaction concrète qu’il espérait, à savoir la délivrance du certificat. Sa victoire est purement symbolique et ne lui confère aucun avantage pratique immédiat. L’annulation a un effet essentiellement rétroactif, effaçant une illégalité passée, mais elle est dépourvue de portée pour l’avenir.

Cette décision illustre parfaitement la dissociation qui peut exister entre l’annulation contentieuse et ses conséquences pratiques. Le véritable enjeu du litige s’est déplacé : il ne réside plus dans l’obtention du certificat, mais dans la contestation de la décision de retrait du permis de construire elle-même. C’est désormais l’issue de ce second contentieux qui scellera le sort de la régularisation des travaux. L’arrêt commenté, tout en étant juridiquement irréprochable, laisse le requérant dans une situation d’incertitude, titulaire d’une décision de justice favorable mais sans effet tangible immédiat.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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