Cour d’appel administrative de Marseille, le 10 mars 2025, n°22MA01850

Par un arrêt en date du 10 mars 2025, la Cour administrative d’appel s’est prononcée sur les conséquences fiscales découlant de la comptabilisation de factures de sous-traitance jugées fictives. En l’espèce, une société spécialisée dans la maçonnerie générale a fait l’objet d’une vérification de comptabilité à l’issue de laquelle l’administration fiscale a réintégré dans ses résultats imposables des sommes versées à une société de droit anglais, au motif que les prestations facturées n’avaient pas été réellement effectuées. Le dirigeant et associé unique de la société française était également le dirigeant de la société anglaise. Ces redressements ont été assortis de majorations pour manœuvres frauduleuses ainsi que d’une retenue à la source sur les sommes considérées comme des revenus distribués. Le tribunal administratif de Nice, par un jugement du 25 avril 2022, a rejeté la demande en décharge de la société contribuable. Saisie à son tour, la cour devait donc déterminer si un faisceau d’indices concordants suffisait à prouver le caractère fictif de prestations de sous-traitance et, le cas échéant, si cette qualification justifiait la réintégration des charges, l’application de la retenue à la source et l’application de pénalités pour manœuvres frauduleuses. La Cour administrative d’appel rejette la requête, confirmant en tous points l’analyse de l’administration et des premiers juges. Elle estime que l’administration apporte la preuve du caractère fictif des charges, lesquelles ne pouvaient dès lors être déduites du résultat imposable et constituaient des distributions occultes au profit de la société étrangère.

La décision commentée offre une illustration classique de la méthode du faisceau d’indices en contentieux fiscal et du traitement réservé aux charges considérées comme fictives. Il conviendra ainsi d’analyser la caractérisation par le juge de la fictivité des prestations au travers des règles de preuve (I), avant d’examiner les conséquences en cascade qui en découlent logiquement, à savoir la requalification des sommes en distribution et l’application des sanctions (II).

I. La caractérisation de la fictivité des prestations par la méthode du faisceau d’indices

Le juge administratif, pour confirmer le bien-fondé des redressements, s’appuie sur les principes régissant la charge de la preuve en matière de déduction des charges (A), qu’il applique ensuite à une accumulation d’éléments factuels probants apportés par l’administration (B).

A. Le rappel des principes directeurs de la charge de la preuve

L’arrêt rappelle avec orthodoxie les règles probatoires applicables à la déduction des charges d’exploitation. Conformément à l’article 39 du code général des impôts, seules les charges exposées dans l’intérêt de l’entreprise, effectives et dûment justifiées peuvent être admises en déduction du bénéfice imposable. La cour énonce clairement la répartition de la charge de la preuve : « il appartient, dès lors, au contribuable, pour l’application des dispositions précitées du code général des impôts, de justifier tant du montant des charges qu’il entend déduire du bénéfice net […] que de la correction de leur inscription en comptabilité ».

Cette exigence initiale impose à la société de fournir des éléments précis sur la nature de la charge et la réalité de la contrepartie obtenue. Ce n’est que si le contribuable satisfait à cette première obligation que la charge de la preuve est renversée. Il incombe alors à l’administration fiscale, si elle entend contester la déductibilité de la charge, d’apporter la preuve de son caractère anormal ou de l’absence de contrepartie. En l’espèce, l’administration ne conteste pas les documents comptables en tant que tels, mais la réalité même des opérations qu’ils sont censés matérialiser, ce qui la conduit à devoir établir le caractère fictif des prestations.

B. La consolidation de la preuve par l’accumulation d’indices concordants

Le raisonnement du juge administratif se fonde sur une analyse minutieuse et cumulative des différents éléments avancés par le service vérificateur pour chacun des chantiers concernés. La cour ne se contente pas d’un seul élément, mais valide une méthode globale consistant à rassembler des anomalies et des incohérences qui, prises ensemble, emportent sa conviction. Pour un premier chantier, le juge relève que « les contrats de sous-traitance conclus avec la société Ranex Angleterre comportaient une adresse antidatée de plus de deux ans ». S’y ajoutent des déclarations de détachement et des paiements postérieurs à l’achèvement des travaux.

Pour d’autres chantiers, la cour note des factures insuffisamment détaillées, des incohérences de montants, l’absence de déclaration de détachement de travailleurs étrangers, ainsi que l’incapacité pour le prestataire britannique de fournir des justificatifs lors de l’activation de l’assistance administrative internationale. Face à cette accumulation d’indices graves, précis et concordants, les arguments de la société requérante sont jugés insuffisants. L’arrêt souligne leur « caractère général et peu probant », démontrant que de simples allégations ne peuvent suffire à contredire un faisceau de preuves matérielles établissant l’absence de substance des prestations facturées.

II. Les conséquences automatiques de la qualification de charges fictives

Une fois la fictivité des prestations établie, la décision en tire les conséquences logiques tant au regard de l’assiette de l’impôt, en qualifiant l’opération d’acte anormal de gestion (A), qu’au regard des sanctions applicables, confirmant la retenue à la source et les pénalités pour manœuvres frauduleuses (B).

A. La réintégration des sommes au titre de l’acte anormal de gestion

L’arrêt confirme que le paiement de factures ne correspondant à aucune prestation réelle constitue un acte étranger à une gestion commerciale normale. Une telle dépense, étant par définition dépourvue de contrepartie pour l’entreprise, ne peut être engagée dans son intérêt. Par conséquent, les sommes versées sont réintégrées au bénéfice imposable. Le juge précise à cet égard que l’administration n’était pas tenue de mettre en œuvre la procédure spécifique de transfert indirect de bénéfices à l’étranger prévue à l’article 57 du code général des impôts.

Cette procédure vise en effet à rectifier les prix convenus entre entreprises dépendantes qui ne correspondraient pas à ceux du marché. Or, en l’espèce, le litige ne portait pas sur le caractère excessif du prix des prestations, mais bien sur leur absence totale de réalité. L’administration pouvait donc légalement écarter ces charges sur le fondement de la théorie de l’acte anormal de gestion, sans avoir à démontrer l’existence d’un avantage particulier consenti à la société liée.

B. La double sanction de la distribution occulte et des manœuvres frauduleuses

La qualification de charge fictive entraîne une double conséquence en termes de pénalités. D’une part, les sommes versées sans contrepartie sont considérées comme des bénéfices distribués au sens de l’article 109 du code général des impôts. La cour valide la substitution de motifs opérée par l’administration, qui a considéré que les sommes avaient bien été appréhendées par la société britannique et non par son dirigeant. Ces sommes étant versées à un bénéficiaire non-résident, elles sont soumises à la retenue à la source prévue par l’article 119 bis du même code.

D’autre part, la cour confirme l’application de la majoration de 80 % pour manœuvres frauduleuses. Elle énonce de manière péremptoire que le fait pour la société d’avoir « eu recours à des factures fictives, ce qui est en soi constitutif de manœuvres frauduleuses », suffit à justifier cette sanction. L’usage de procédés visant à tromper délibérément l’administration fiscale par la création de documents mensongers caractérise l’élément intentionnel requis par l’article 1729 du code général des impôts, rendant la pénalité pleinement applicable.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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